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Bail-out

« L’injection d’argent public dans une banque en difficulté est justifiée »

Créé le

14.03.2017

-

Mis à jour le

04.12.2017

Les concepteurs de la résolution bancaire ont cherché à éviter l’injection d’argent public dans une banque en difficulté. Jean Peyrelevade désapprouve cette nouvelle procédure. Pour celui qui a redressé le Crédit Lyonnais, l’injection rapide d’argent public est indispensable.

La directive BRRD a pour objectif d’éviter le recours à l’argent public dans le cadre du sauvetage d’une banque en difficulté ; que pensez-vous de cette nouvelle réglementation ?

Cette directive qui impose un bail-in [1] avant toute injection d’argent public est inadaptée au système bancaire.

D’une part, le principe qui sous-tend cette directive est que l’argent public ne doit pas servir au renflouement d’une banque. Or, le bon fonctionnement du système bancaire constitue un objectif d’intérêt public : il assure la circulation monétaire par une interpénétration de créances et de dettes. Ainsi, tout risque de nature systémique sur une banque entraîne un risque de crise économique majeure. La chute de Lehman en 2008 en a fait la démonstration de façon spectaculaire. Mais nous observons aujourd’hui ce phénomène à un moindre degré au travers des crises bancaires italienne et espagnole. L’injection d’argent public dans une banque en difficulté est donc justifiée, car elle vise à éviter ce type de crise.

D’autre part, retarder cette injection en exigeant, au préalable, un bail-in tend à aggraver la situation de la banque. Pour s’en persuader, observons la chronologie des faits : la banque centrale (ou plus exactement le SSM) annonce soudainement qu’une banque a besoin de X milliards d’euros et qu’elle doit les trouver à telle date. Si l’État où siège la banque apporte un soutien, il tombe sous la règle européenne de l’aide d’État qui exige elle aussi un bail-in avant l’injection de fonds public. Donc la foudre tombe du jour au lendemain sur l’établissement qui n’a pas de solution immédiate. En attendant que les choses se dénouent, la banque n’inspire plus confiance, notion essentielle dans ce métier, donc sa situation se dégrade et les déposants ont tendance à partir. Ce cadre n’est pas du tout adapté au système bancaire qui est par nature fragile, dans la mesure où il repose sur la confiance c’est-à-dire un paramètre psychologique très mouvant. Quelle que soit la solution apportée, il est absolument nécessaire qu’elle soit rapide.

Si les dirigeants d’une banque savent que l’État ou une autre instance publique viendra au secours de l’établissement en cas de difficulté, ne sont-ils pas incités à prendre des risques, selon le principe du « moral hazard » ou aléa moral ?

Je ne crois pas à l’aléa moral ; il s’agit d’un concept qui n’est pas très bien défini et dont la validité n’a jamais été démontrée. Si des erreurs sont commises par le management, ce n’est pas en raison de ce concept d’aléa moral. Quand une banque frôle la faillite, qu’elle soit sauvée par une intervention publique ou pas, le management en place est éliminé : il perd sa réputation, ses stock-options et autres avantages. En revanche, j’admets que l’aléa moral peut exister au niveau des prêteurs qui savent qu’ils seront remboursés à coup sûr. Ainsi, les banques se financent à des taux plus bas, ce qui n’est pas forcément une mauvaise chose.

Par ailleurs, en cas de sauvetage d’une banque par une recapitalisation publique, de facto, les actionnaires perdent tout, comme en cas de bail-in. En effet, une recapitalisation publique s’appuie en général sur une valorisation très faible voire nulle de l’établissement, donc les actionnaires sont dilués, ce qui n’a rien de choquant car le rôle des actionnaires est de prendre des risques. En revanche, il est important de préserver les prêteurs et, a fortiori, les déposants. Or le bail-in donne la possibilité de mettre à contribution, après les actionnaires qui sont en première ligne, les prêteurs, voire même les déposants, avant que ne puisse être injecté de l’argent public. Pour qu’un tel dispositif soit juste, il faudrait que les prêteurs et les déposants soient en mesure d’apprécier correctement le risque ce qui est impossible, même pour des investisseurs professionnels, du fait de la complexité et de l’opacité de l’activité bancaire (voir Encadré). Pire : la plupart des déposants n’ont pas même conscience du fait que leurs dépôts excédant 100 000 euros sont susceptibles d’être utilisés pour renflouer la banque. Une telle règle est de nature à saper la confiance envers le système bancaire. Quand ils sont informés, ils morcellent leurs avoirs. Les prêteurs quant à eux pourraient devenir réticents à l’idée de prêter au secteur bancaire.

Le cadre de la Résolution a été mis en place notamment pour éviter d’utiliser l’argent du contribuable dans le cadre d’un bail-out (renflouement par l’État)…

Il est encore plus injuste de mettre à contribution des déposants pris dans la nasse aléatoirement. Dans un bail-out, l’effort est réparti entre tous les contribuables en fonction de leur niveau d’imposition donc de revenu et de patrimoine. De plus, l’argent public injecté dans le cadre d’un renflouement bancaire n’est pas forcément une mauvaise affaire pour le contribuable si le régulateur est efficace et si le sauvetage intervient rapidement. En imposant un bail-in préalable à toute injection d’argent public, le régulateur retarde le sauvetage public qui risque alors d’être plus coûteux et plus difficile. Voire même d’échouer complètement.

La rapidité d’intervention n’est-elle pas prévue par le processus de résolution ?

Dans les faits, les crises bancaires des pays du sud de l’Europe nous montrent une réalité tout autre : les banques en difficulté demandent d’abord un effort aux porteurs obligataires (conversion des titres en fonds propres par exemple) puis se tournent vers le marché pour réaliser une augmentation de capital et quand cette voie du marché s’avère impraticable, alors seulement, l’État propose d’injecter de l’argent public et c’est trop tard car la situation de la banque, pendant tout ce temps, a continué de se dégrader.

L’un des objectifs de la résolution bancaire c’est de couper le lien entre banque et état. N’est-ce pas une bonne chose ?

Couper le lien entre les banques et l’État où elles siègent est une bonne chose car si l’État est fragile, le fait de porter secours à son secteur bancaire peut aggraver la situation des comptes publics. C’est donc une instance européenne (et non pas nationale) qui doit venir au secours des banques qui en ont besoin. Le MES ou le Fonds de résolution unique pourraient jouer ce rôle mais aujourd’hui, ils ne peuvent intervenir qu’à la suite d’un bail-in, ce qui n’a pas de sens. Un autre acteur tiendrait parfaitement ce rôle : la BCE.

Ainsi, vous préconisez de revenir au système du bail-out mais en injectant des fonds publics européens. Est-ce le seul amendement que vous apporteriez au système du bail-out ?

Le système du bail-out, hier, était trop lourd et trop lent dans ses procédures

Dans le système que je préconise, l’instance européenne qui sera à la manœuvre doit avoir le pouvoir de forcer une augmentation de capital en disant aux actionnaires « vous avez tel délai pour apporter telle somme d’argent frais ». Si les actionnaires ne procèdent pas à l’augmentation de capital, l’instance européenne sera en droit de se substituer à eux et pour la réaliser en apportant elle-même l’argent frais. Cette prise de contrôle s’accompagnerait bien sûr d’une éviction du management.

Avez-vous des exemples récents de sauvetages de banques qui se sont bien passés ?

Au Royaume-Uni, aux Pays-Bas, l’arme de la nationalisation puis celle de la privatisation ont été utilisées sans hésitation. C’est une assez bonne solution si ce n’est que le processus de nationalisation est aujourd’hui trop lourd parce que géré à travers des procédures législatives exceptionnelles., C’est pourquoi je propose une solution européenne plus automatique et donc plus rapide.

Pensez-vous qu’il faut protéger tous les prêteurs,  y compris les porteurs d’obligations subordonnées qui sont par nature plus risquées ?

Ces obligations se retrouvent parfois dans les portefeuilles de particuliers sans qu’ils aient bien conscience des risques. Pendant des années, les banques se sont financées en vendant leurs obligations notamment à leurs clients et ce système n’a rien de choquant tant que la force publique est là pour sauver la banque en cas de difficulté. Ce système était moins mauvais que ce qui a été mis en place avec la résolution bancaire.

 

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1 En français, renflouement interne. Ce mécanisme, tel qu’il est défini dans la directive BRRD, est devenu obligatoire le 1er janvier 2016. Il instaure qu’en cas de renflouement, les actionnaires de l’établissement sont mis à contribution en priorité. Si cela ne suffit pas, les obligations émises par la banque sont touchées, en fonction de leur niveau de séniorité. Et les dépôts de l’établissement ne sont pas totalement à l’abri.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº807
Notes :
1 En français, renflouement interne. Ce mécanisme, tel qu’il est défini dans la directive BRRD, est devenu obligatoire le 1er janvier 2016. Il instaure qu’en cas de renflouement, les actionnaires de l’établissement sont mis à contribution en priorité. Si cela ne suffit pas, les obligations émises par la banque sont touchées, en fonction de leur niveau de séniorité. Et les dépôts de l’établissement ne sont pas totalement à l’abri.