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IRRBB

« Il ne faudrait pas pénaliser les prêts à taux fixe »

Créé le

21.09.2016

-

Mis à jour le

29.09.2016

Dans le texte bâlois IRRBB sur le risque de taux d’intérêt, le calcul de charge en fonds propres est du ressort du superviseur local, soit, pour les banques européennes, la BCE. Celle-ci risque de s’inspirer de la très critiquable méthodologie standard qui existe dans IRRBB.

En tant que superviseur, comment jugez-vous le modèle français de crédit immobilier tel qu’il fonctionne actuellement ?

Le modèle français de crédit immobilier repose sur trois caractéristiques qui font sa différence avec beaucoup d’autres marchés :

  • les crédits sont octroyés en fonction de la capacité de remboursement des emprunteurs (DTI, Debt to Income) et/ou LTI, Loan to Income), et non pas en fonction de la valeur du bien (LTV, Loan to Value), critère utilisé dans les pays anglo-saxons ;
  • le marché est dominé par le système du cautionnement qui est préférable à l’hypothèque. Le cautionnement apporte une sécurité supplémentaire puisque la société de cautionnement, elle aussi, évalue le risque que présente l’emprunteur ;
  • l’essentiel des emprunts est à taux fixe. Le client ne porte donc pas le risque de taux. Il bénéficie tout de même des éventuelles baisses des taux en renégociant son crédit.
Ces caractéristiques font que le marché immobilier français n’a pas connu de crise dans la période récente.

De quelle façon ce modèle français de crédit immobilier pourrait-il être touché par la réforme en cours de Bâle III (ce que certains appellent Bâle IV) ?

Dans le cadre de sa réforme de Bâle III, le Comité de Bâle avait bien prévu, dans sa première consultation fin 2014, de fonder la charge en fonds propres sur deux critères : le LTI et le LTV. Mais, seule la profession bancaire française a défendu le LTI. Tous les autres pays se sont insurgés contre le LTI, avec des arguments spécieux comme la difficulté de définir le revenu. Le LTI a donc disparu de la seconde consultation de décembre 2015 Dans cette proposition, seule le LTV est retenu, et il y a très peu de chance pour que cela change puisque seule le France défend le LTI. En revanche, il peut y avoir des évolutions dans la matrice LTV et les taux de pondération.

Toutefois, la disparition du LTI des textes de Bâle ne doit pas empêcher les banques françaises de continuer à utiliser ce critère pour octroyer les crédits. L’ACPR ne peut qu’encourager le maintien de cette bonne pratique. Mais cette pratique du LTI sera déconnectée de la façon dont les fonds propres réglementaires seront calculés, c’est-à-dire en fonction du LTV.

Il est toutefois incompréhensible de voir le LTI disparaître des textes de Bâle alors que de nombreux pays l’utilisent pour leur analyse macroprudentielle [1] , comme le montre un document de l’ESRB (European Systemic Risk Board) mais aussi une étude publiée par le FMI. Étonnamment, ces éléments ne semblent pas influencer le Comité de Bâle.

Pourtant, grâce au LTI, le risque de crédit encouru par les banques françaises est faible : le taux de créances douteuses est extrêmement bas, inférieur à 2 % sur le crédit immobilier, ce qui explique le taux de créances douteuses sur l’ensemble des crédits qui est de 4 % en France contre près de 5,7 % en Europe (selon les données publiées par l’Autorité bancaire européenne).

Concernant le risque de taux pris par les banques qui octroient des crédits à taux fixe, va-t-il donner lieu à davantage d’exigences en fonds propres ?

Les évolutions bâloises concernant le risque de taux ne concernent pas que les établissements français. Par exemple, l’Italie qui faisait beaucoup de taux variables renforce maintenant la part de taux fixes.

Les banques vont à l’avenir devoir donner davantage d’explications sur leur risque de taux avec les nouvelles règles édictées par le Comité de Bâle début 2016. Certes, dans le texte bâlois sur le risque de taux d’intérêt dans le portefeuille bancaire (dit IRRBB), le risque de taux continue de relever du pilier 2. En d’autres termes, le calcul de charge en fonds propres ne sera pas automatique et sera donc du ressort du superviseur qui mènera l’analyse. Mais, il faudra par exemple voir comment la BCE traitera ce risque alors qu’il existe des différences au sein des systèmes bancaires de la zone euro ; il ne faudrait pas pénaliser les prêts à taux fixe en exigeant plus de fonds propres face à ces actifs. Cette crainte est justifiée car il existe une méthode standard dans IRRBB dont le superviseur pourrait se servir comme « benchmark ».

Et cette méthodologie standard revient fortement à méconnaître le rôle de transformation des banques : les hypothèses sont peu conformes à la réalité, notamment sur les dépôts et, au total, cette démarche pourrait pénaliser les modèles bancaires fondés sur le taux fixe. Si elle est appliquée sans différenciation, la méthode standard risque d’aboutir à des montants d’exigences de fonds propres plus élevés pour les banques françaises que pour les banques qui font du taux variable. Pourtant les banques françaises ne prennent pas davantage de risque de taux puisqu’elles le couvrent. Mais en prenant des hypothèses très sévères (maturité des dépôts très courte, exclusion des fonds propres…), la méthode standard proposée par le Comité de Bâle majorerait, de manière indue, le risque de taux des banques françaises, ce qui n’aurait pas de sens ! Espérons que la banque centrale fera la bonne analyse en s’émancipant de cette méthode standard.

Il serait injuste de pénaliser le système français car toutes les études confirment sa solidité, notamment les études du FMI dans le cadre de son examen de la France (dit article IV). À l’inverse, aux États-Unis et en Espagne où le taux variable est très pratiqué, l’augmentation des taux a provoqué des crises immobilières. Les personnes endettées ont vendu leurs biens ce qui a fait baisser les prix (mécanisme qui a opéré notamment lors de la crise des subprime).

En période de taux très bas, les banques françaises n’encourent-elles pas davantage de risques étant donné qu’elles prennent le risque de taux et que les taux vont très probablement remonter ?

Les taux bas réduisent les marges des banques mais ils ne mettent pas en risque les établissements français du point de vue de la solidité du crédit. Ceux-ci se couvrent contre le risque de taux.

La pratique du cautionnement est-elle menacée ?

Historiquement, le modèle du cautionnement a montré sa solidité. En effet, le taux de défaut sur les crédits cautionnés est plus bas qu’en cas de crédit hypothécaire, comme les montrent les études de Crédit Logement, l’un des principaux établissements délivrant des cautions. Le cautionnement représente 60 % des encours de crédits immobiliers en France, moins de 2 % n’ont aucune garantie et le reste est hypothéqué, avec garantie personnelle.

Dans les accords de Bâle, le crédit immobilier correspond à du « mortgage » c’est-à-dire du crédit hypothécaire. Mais la France a toujours obtenu une reconnaissance équivalente du système de cautionnement. Dans le cadre de la réforme de Bâle III, l’enjeu se situe au niveau du traitement de l’organisme de cautionnement : quelle pondération sera appliquée à cet organisme ? et donc quel montant de fonds propres la banque prêteuse devra-t-elle détenir ?

Aujourd’hui, la pondération pour un crédit hypothécaire est de 35 % en méthode standard. Dans le cas d’un crédit cautionné, la pondération est de 20 % si le garant est bien noté et de 50 % dans le cas inverse.

Dans la consultation de mars 2016, la pondération du crédit hypothécaire n’est plus de 35 % mais, en fonction de la LTV, de 25 à 55 %. L’enjeu pour les banques Françaises est de s’assurer qu’un crédit cautionné ne va pas coûter plus cher en fonds propres qu’un crédit hypothécaire. Dans la dernière consultation, seule la méthode standard est proposée pour calculer les fonds propres à placer face à une contrepartie bancaire telle qu’un organisme de cautionnement. En effet, cette consultation ne prévoit plus la possibilité de traitement des banques selon les méthodes internes.

L’ACPR fait en sorte, dans les négociations, d’obtenir un dispositif qui ne vienne pas pénaliser le crédit cautionné puisque nous sommes convaincus de sa solidité.

En crédit immobilier, où se situent les RWA des banques françaises par rapport à la moyenne européenne ?

Le taux de pondération est de 15-18 % pour le crédit immobilier, mais il faut également tenir compte du coût en fonds propres lié à la caution (puisque les banques déduisent de leurs fonds propres leur participation, soit dans Crédit logement, soit également pour certains groupes mutualistes la participation dans leur filiale de caution) ; au total, les RWA des banques françaises sont légèrement supérieurs à la moyenne européenne alors que leur risque est plus faible. De ce fait, leur charge en fonds propres est supérieure au risque réel qu’elles encourent.

Pourquoi le Comité de Bâle cherche-t-il à brider les modèles internes ?

Il est vrai que les superviseurs ne se sont pas tous équipés des moyens nécessaires pour vérifier que les banques utilisaient les modèles de façon juste. Ainsi, les modèles ont donné lieu à certaines dérives mais il est difficile de démontrer que la variabilité des risques pondérés est liée à des manipulations par les banques. En revanche, elle est liée de façon assez évidente à des facteurs tels que l’hétérogénéité des risques ou encore des systèmes de recouvrement. Bien sûr, il peut y avoir de la manipulation mais c’est au superviseur de surveiller cela. L’ACPR a investi pour être capable de contrôler les modèles des banques françaises qui sont tout à fait pertinents, même s’il existe toujours des axes d’amélioration. Les modèles internes ont favorisé une meilleure gestion des risques et des résultats. L’AQR de 2014 et les stress tests sont là pour nous conforter dans cette idée : les banques affichent une qualité d’actifs qui est meilleure que dans les autres pays. Donc l’ACPR ne souhaite pas revenir à la méthode standard car elle souhaite que les banques conservent cette incitation à une meilleure gestion de leurs risques.

Que pensez-vous de l’introduction d’un output floor ?

L’ACPR pense qu’un output floor est inutile. Il y a déjà des input floors à l’intérieur des modèles internes. Ces input floors contraignent les modèles afin de limiter la capacité des banques à avoir des RWA calculés par modèles qui soient trop faibles. De plus, le ratio de levier joue aussi le rôle de floor.

Si la nouvelle mouture de Bâle III introduit un output floor, cela diminuera, voire annulera, l’intérêt du modèle. Certes, dans Bâle II, il existait un output floor, mais il s’agissait des débuts des modèles internes et un filet de sécurité était nécessaire avant de nous lancer dans l’inconnu. De plus, il n’y avait pas de ratio de levier.

Pour sa réforme de Bâle III, le Comité de Bâle envisage un output floor situé entre 60 et 90 % des RWA issus de la nouvelle méthode standard. L’introduction éventuelle de ce floor sera au cœur de la négociation finale.

Le travail de l’EBA sur les modèles internes, qui n’aboutira que dans le courant de l’année 2017, ne peut guère influencer la négociation actuelle à Bâle ; n’est-ce pas regrettable ?

Le travail de l’EBA est utile mais il n’influencera pas la négociation actuelle sur la réforme de Bâle III car les efforts de clarifications n’aboutiront pas à temps, ce qui est regrettable.

Toutefois, à la table de Bâle, l’EBA défend le maintien des modèles. De plus, la réforme de Bâle ne s’appliquera qu’en 2019 ou 2020. Et d’ici là, les clarifications apportées par l’EBA vont pouvoir s’appliquer. Enfin, dans les propositions de Bâle, les modèles n’ont pas disparu, donc là aussi, les standards de l’EBA pourront s’appliquer.

Si les principes adoptés par le Comité de Bâle gênent certains systèmes bancaires européens, l’Europe pourrait-elle diverger ?

L’ACPR, tous les pays européens et la Commission tiennent le même discours : nous sommes autour de la table à Bâle donc il faut que le texte de Bâle, même s’il n’a pas de valeur juridique, soit le bon et que l’Europe l’adopte dans sa législation car il n’est pas souhaitable que l’Europe diverge d’un accord international. Après, il peut arriver que l’Europe fasse des adaptations, notamment parce que l’Europe a fait le choix d’appliquer les règles de Bâle à toutes les banques, choix qui n’est pas fait par tous les pays. Les États-Unis par exemple n’appliquent ces règles qu’à leurs banques internationales. L’Europe a déjà réalisé par le passé des adaptations, par exemple sur le traitement des petites et moyennes entreprises. Cela n’est pas notre objectif mais si, au final, il devait y avoir un accord à Bâle qui n’intègre pas de manière satisfaisante les préoccupations européennes, il relèvera de la responsabilité de la Commission de choisir la manière de l’appliquer en Europe. Au plan juridique, le plus important n’est pas le standard décidé à Bâle, car il ne s’applique pas directement, mais le texte européen.

Même en Europe, la France n’est-elle pas, là aussi, isolée ?

Nous allons mettre en avant la solidité du système bancaire français, démontrée par différentes analyses et surtout la réalité du coût du risque par exemple. De plus, au niveau européen, la sensibilité est plus grande sur les aspects de financement de l’économie et de protection du consommateur. Or, si les banques françaises en matière de crédit immobilier devaient évoluer vers un système plus anglo-saxon, cela voudrait dire, par exemple, que les emprunteurs auraient demain à supporter le risque de taux, alors qu’aujourd’hui ils connaissent avec certitude leur charge de remboursement.

 

1 Indicateurs de risque permettant de mesurer les bulles financières et de mettre en œuvre des outils pour contenir leur développement.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº800
Notes :
1 Indicateurs de risque permettant de mesurer les bulles financières et de mettre en œuvre des outils pour contenir leur développement.
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