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Frederik Ducrozet : « La quasi-totalité des banques centrales assouplissent leur politique monétaire »

Créé le

20.09.2019

Après l’intervention de la Fed sur le marché du Repo, Frederik Ducrozet déplore des maladresses.

Dans le paquet de mesures annoncées le 12 septembre par Mario Draghi, quel est l’outil le plus important ?

La mesure la plus importante est la décision d’acheter, sans limitation dans le temps, des actifs sur les marchés, tant que l’inflation n’atteindra pas le niveau souhaité (proche mais en dessous des 2 %) ; les achats ne cesseront que peu de temps avant que la BCE n’augmente ses taux. Cette décision a fortement divisé le Conseil des gouverneurs. L’opposition de l’Allemagne et des Pays-Bas à la politique de la BCE est ancienne, mais cette fois les protestations ont été plus véhémentes.

Comment va se situer Christine Lagarde dans ce Conseil des gouverneurs ?

Christine Lagarde – qui a toujours soutenu les mesures de politique monétaire accommodantes – risque de trouver une atmosphère glaciale au Conseil. N’ayant pas d’expérience en tant que banquier central, ni une formation d’économiste, elle n’aura pas la même autorité en la matière que Mario Draghi, mais elle pourra s’appuyer sur le chef économiste Philip Lane et sur l’équipe. Elle est par ailleurs connue pour sa capacité à gérer ses équipes et la communication en temps de crise.

Est-il imaginable que la BCE renonce, à court terme, à la politique d’achat d’actifs annoncée le 12 septembre ?

Un revirement soudain me semble inimaginable : le Conseil dans son ensemble est soucieux de la crédibilité de l’institution.

Que pensez-vous du tiering [1] , qui doit rendre moins douloureux pour les banques le taux de dépôt négatif qui est passé de -0,40 % à -0,50 % ?

Le tiering est utilisé en Suisse et également au Japon. Mais la zone euro est constituée de plusieurs pays et, dans un premier temps, certains profiteront plus que d’autres de ce système. Par exemple, les banques italiennes ont moins de réserves et n’atteindront pas le multiple de 6 des réserves obligatoires. Elles ne profiteront donc pas pleinement, dans un premier temps, du tiering, tandis que les banques françaises et allemandes, dont les réserves dépassent largement le multiple de 6, verront leur facture de taux négatifs se réduire sensiblement. Toutefois, les banques italiennes pourront aller chercher de la liquidité à la BCE (elles peuvent emprunter à -0,5 % dans le cadre du TLTRO) ou sur les marchés, pour les replacer à 0 % à la BCE dans le cadre du tiering. Idéalement, la liquidité va donc migrer des pays « core » aux pays périphériques (essentiellement l'Italie et l'Espagne). En attendant de trouver un équilibre, les taux à court terme devraient toutefois rester un peu plus élevés, et volatils. Ainsi, les taux à court terme sur les marchés monétaires (Eonia ou Repo) ont légèrement grimpé après les annonces du 12 septembre ; ces tensions ne sont pas dramatiques, mais elles montrent que la transition vers le nouvel équilibre n’est pas immédiate.

De l’autre côté de l’Atlantique, la tendance est également à l’assouplissement puisque la Fed a baissé le 18 septembre 2019, pour la seconde fois consécutive, ses taux directeurs d’un quart de point…

Partout dans le monde, la quasi-totalité des banques centrales assouplissent leur politique monétaire. L’objectif principal aujourd’hui est d’éviter tout resserrement des conditions financières susceptible de perturber l’économie et les marchés. Aux États-Unis, les marchés anticipaient une baisse, et la Fed a fourni le service minimum : 25 points de base. Ne pas délivrer cette baisse aurait pu avoir des conséquences dramatiques.

Bien sûr, la baisse de taux de la Fed est motivée par des données économiques : dans son discours, Jerome Powell a évoqué le ralentissement des économies chinoise et européenne notamment, lié à la guerre commerciale ; je note toutefois qu’il ne s’est pas attardé sur les conditions d’activité domestique aux États-Unis, et encore moins sur les perspectives d’inflation. Là n’est pas la véritable raison de cette seconde baisse dont le caractère est avant tout préventif. Jerome Powell s’inspire en effet de ce qu’a fait Alan Greenspan, qui a baissé trois fois les taux de 25 points de base en 1998, dans un contexte similaire à plusieurs égards.

L’intervention de la Fed mi-septembre sur le marché du Repo [2] est-elle inquiétante ?

Cette intervention est inquiétante, dans le sens où la Fed aurait dû l’anticiper et agir en amont pour éviter d’avoir à intervenir en urgence comme elle l’a fait. Depuis plusieurs mois, on savait que les réserves bancaires diminuaient fortement, au point où des tensions sur les marchés du Repo étaient prévisibles. Il est inquiétant que la Fed de New York – le bras armé de la Fed dans ce domaine – n’ait pas agi préventivement, ce qui pourrait notamment être lié à des questions de personnel, le spécialiste des marchés Simon Potter ayant démissionné de l’institution après la prise de pouvoir de John Williams.

 

1 Tiering : le taux négatif ne s’applique qu’au-delà d’un montant correspondant à six fois le montant des réserves obligatoires. En deça, le taux de 0 % s’applique.
2 Le 17 septembre 2019 et les jours suivants, la Fed a injecté des dizaines de milliards de dollars pour contenir le niveau des taux sur le marché du Repo.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº836
Notes :
1 Tiering : le taux négatif ne s’applique qu’au-delà d’un montant correspondant à six fois le montant des réserves obligatoires. En deça, le taux de 0 % s’applique.
2 Le 17 septembre 2019 et les jours suivants, la Fed a injecté des dizaines de milliards de dollars pour contenir le niveau des taux sur le marché du Repo.