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Management

Former à la conformité : un exercice difficile

Créé le

02.05.2013

-

Mis à jour le

26.06.2013

La formation à la conformité doit enseigner aux collaborateurs les réglementations spécifiques à leurs opérations et créer des réflexes comportementaux de surveillance et de détection des anomalies. Mais elle doit aussi encourager les collaborateurs à mieux ​comprendre la finalité des opérations qu’ils traitent et à être ​pleinement responsables de leurs actes.

Depuis l’arrêté du CRBF 97-02 du 31 mars 2005, les entreprises assujetties doivent assurer « à tous les membres de leur personnel concernés une formation aux procédures de contrôle de la conformité, adaptée aux opérations qu'ils effectuent ». Par ailleurs, en appui d’un dispositif de veille réglementaire qui permet le « suivi régulier et le plus fréquent possible des modifications » pouvant intervenir dans le dispositif réglementaire, ces mêmes établissements « mettent en place un dispositif permettant […] l'information immédiate de tous les membres de leur personnel concernés [1] ». La formation aux enjeux de conformité devient alors à la fois un enjeu réglementaire et comportemental du fait même de la spécificité de ce thème. C’est toute la difficulté de la pédagogie que de trouver l’équilibre entre les deux : un enjeu de développement tant collectif que personnel.

La conformité : former au dispositif réglementaire

La première exigence des dispositifs de formation est d’enseigner aux collaborateurs le contenu des dispositifs réglementaires spécifiques à leurs opérations. Une banque spécialisée dans le crédit conso devra former ses équipes aux règlements afférents à ce type de crédit. Un prestataire de service d’investissement devra sensibiliser au Règlement général de l’AMF (dont le devoir de conseil, par exemple). Un gestionnaire de fonds sera formé aux directives UCIT, etc.

La conformité est avant tout un ensemble de règles, allant des lois et règlements jusqu’aux instructions de l’organe exécutif, qui facilitent la cohésion et la cohérence des comportements. Par exemple, l’ensemble des évolutions réglementaires au sein du paysage titres européen ont pour objectif d’harmoniser les pratiques au sein des marchés financiers, afin de servir l’équité des investisseurs et la transparence des transactions.

La conformité au dispositif réglementaire suppose la mise en place d’un ensemble de dispositifs spécifiques : procédure de remontée des dysfonctionnements, comité nouvelles activités/nouveaux produits, cartographie des risques de blanchiment, etc., autant d’éléments qui mettent en avant l’obligation de moyen. La visibilité devient ainsi très forte sur la conformité des systèmes de contrôle mis en œuvre en réponse aux évolutions réglementaires. Ces systèmes se traduisent par des formations spécifiques, des compétences dédiées, des procédures adaptées et des systèmes d’information qui évoluent de manière significative, support de ces dispositifs. Les dispositifs de formation eux-mêmes se standardisent (tels les e-learning), pour répondre à une obligation de former le plus grand nombre.

Cependant, cela ne signifie pas que ces exigences réglementaires doivent dicter la conduite de chacun, mais il existe une telle hiérarchisation des objectifs au sein des établissements financiers que chacun doit être responsable de ses actes. La formation se doit alors de donner du sens à ces dispositifs pour montrer comment ces règles du jeu servent l’action opérationnelle.

Être vigilant ou réapprendre à s'étonner

Ce qui est attendu, c’est une attention au fil de l’eau de la conformité des opérations, quelle que soit l’origine du doute. Dans un certain nombre de situations frauduleuses, le collaborateur ne comprenait pas forcément l’opération qui lui était demandée, mais cela ne l’a pas forcément interpellé. Les exigences de conformité font du doute une vertu. Il n’est pas question aujourd’hui de réaliser une opération avec un client si celle-ci ne semble pas avoir de justification économique au regard du profil du client. Il n’est pas possible de respecter à l’aveugle les instructions d’un gérant d’OPCVM quant à la comptabilisation d’événements si ces derniers amènent un doute chez le comptable OPCVM. La vigilance attendue a certes pour origine les exigences réglementaires (LAB/FT, déontologie notamment), mais c’est avant tout une opportunité pour le collaborateur de comprendre ce qu’il fait et la logique économique de l’opération. Dans de très rares cas, il découvrira une fraude ou un flux servant au blanchissement. Dans tous les cas, ce sera l’occasion de réapprendre à s’interroger, de comprendre la finalité de l’action opérationnelle, dans un contexte où les flux sont souvent impersonnels, via des systèmes automatisés et où l’anomalie essentielle devient une anomalie de système. C’est donc une sensibilisation difficile à la prévention alors même que le formalisme réglementaire (par exemple, la fiche de connaissance client avant un conseil en investissement) tend à endormir la vigilance.

Le développement de réflexes

Le déploiement d’outils de détection et de typologie d’alertes renforce le dispositif détectif de la conformité. Il permet de déceler rapidement tout dysfonctionnement, tout non-respect des systèmes de contrôle, et complète la standardisation et la formalisation d’un certain nombre de processus opérationnels. Ainsi, au fil des années, la complétude des dossiers clients (le fameux KYC) devient un exercice incontournable intégré dans les processus d’entrée en relation. Le questionnaire adressé au client dans le cas du devoir de conseil pour apprécier ses connaissances dans le domaine des marchés financier fait dorénavant partie des documents fournis de manière systématique au client. Cette approche comportementale inscrit la conformité comme une routine qui s’inscrit dans un processus opérationnel et qui évolue au fur et à mesure de l’apparition de dysfonctionnements ou de risques spécifiques.

Ces routines se construisent au fur et à mesure de la prise en compte de tout nouvel indice issu de l’environnement. Le dispositif détectif joue le rôle de stimulus. Si un indicateur traduit une faible réactivité dans le traitement des réclamations client, les équipes conformité iront réaliser une mission pour analyser les causes du dysfonctionnement et y remédier (remise à jour de la procédure, sensibilisation du personnel, revue du système d’information par exemple), faisant ainsi évoluer les routines précédemment installées.

Nous sommes dans un contexte d’apprentissage de type comportemental, en situation d’action-réaction face à toute évolution qui parviendrait de l’environnement opérationnel. Cet apprentissage est intéressant pour des risques fréquents de faible ampleur dont le processus opérationnel peut être standardisé. Cependant, développer l’apprentissage comportemental en matière de conformité est nécessaire mais loin d’être suffisant, voire porteur de risque, car cela amène une forme de passivité et d’absence de réaction préjudiciable dans un environnement en perpétuel mouvement.

De l’apprentissage comportemental vers le cognitif

Être conforme, c’est être responsable de ses actes. Que signifie cette responsabilité si elle se résume à respecter des procédures de plus en plus normées et contraignantes lors de la prise de décision ? Les outils d’aide à la décision sont essentiels pour conforter le collaborateur dans l’octroi ou non d’un crédit, mais tout ne sera jamais parfaitement encadré, car non parfaitement prévisible. Et heureusement ! Si l’objectif de la conformité est de fixer des règles, l’automatisation des comportements comporte des limites liées à la liberté de l’action individuelle. Un chargé de clientèle qui s’abrite derrière la décision de l’outil court le risque de se sentir contraint par l’outil et de perdre l’intérêt de sa fonction. La liberté d’action est l’espace d’expression des compétences.

Former le collaborateur consiste alors à modifier sa perception des règles pour lui permettre de les intégrer dans sa finalité opérationnelle ; c’est rendre les règles nécessaires mais non suffisantes pour conserver l’espace de liberté nécessaire à l’exercice de ses fonctions. La conformité n’est alors pas un espace étroit et limité, source de culpabilité face à l’espace infini du risque « réputationnel ». Les formations conformité doivent favoriser le développement de la notion de responsabilité pour les conséquences des actes générés et donner la possibilité aux collaborateurs d’utiliser leur savoir pour favoriser une créativité dans un contexte de règles du jeu définies.

Former à la responsabilité

Les formations relatives à la conformité constituent une opportunité de préciser une évidence quant à la responsabilité des opérationnels sur les actions qu’ils génèrent. Être conforme revient à connaître ses objectifs pour appréhender le corpus de règles qui leur sont attachés et  identifier les conséquences de ses actes. Si les dispositifs de contrôle se normalisent de plus en plus pour limiter les risques récurrents, la standardisation accrue n’est pas une solution pour des métiers évoluant dans des environnements empreints d’incertitude, pour lesquels les compétences doivent plus que jamais être utilisées à bon escient. Ne l’oublions pas, le cœur de la banque est la personne agissante : la banque saura affiner les objectifs, mais elle ne saura jamais anticiper tous les comportements possibles. Profitons de l’essor des dispositifs préventifs, pour permettre au collaborateur d’utiliser son expertise tout en étant à même, si nécessaire, de prouver qu’il agit en toute conformité.

 

1 Art 11-4 CRBF 97-02.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº762
Notes :
1 Art 11-4 CRBF 97-02.