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Développement durable

Le financement de la transition énergétique

Créé le

30.08.2018

-

Mis à jour le

14.09.2018

La table ronde sur le financement de la transition énergétique a rassemblé Adrien Aubert, Associate Partner chez Square Management, Marc-Philippe Botte, Partner chez Omnes Capital, Pierre Ducret, Président de l’Institute for Climate Economic, Léo Lemordant, Cofondateur d’Enerfip, et Jean-Guillaume Péladan, Gérant chez Sycomore.

La filière de l’énergie a toujours nécessité des financements massifs pour lesquels les banques ont joué un rôle central. Les annonces récentes de désengagement de ces dernières dans le financement des énergies fossiles ainsi que les changements opératoires liés à la transition énergétique doivent amener les institutions financières, les investisseurs et les régulateurs à repenser leurs modèles de financement de la croissance.

La position ambivalente de l’industrie financière

Les banques ont un rôle majeur à jouer en matière d’innovation financière pour accompagner le financement des actifs verts, dans un contexte où la Banque Mondiale évalue à 90 000 milliards de dollars l’investissement attendu au niveau mondial d’ici 2030 pour atteindre l’objectif des 2 °C fixé par la COP21. Mais jusqu’à une période très récente, l’industrie financière estimait ne pas être concernée par le sujet du climat et de l’environnement, son métier consistant à allouer le capital en fonction des besoins de l’économie réelle. Récemment, plusieurs groupes bancaires ont néanmoins communiqué sur des décisions fortes, comme l’arrêt du financement de centrales thermiques émettrices de gaz à effet de serre. Néanmoins, cela n’empêche pas certains groupes de continuer à financer des pratiques peu respectueuses de l’environnement, comme l’exploitation du gaz de schiste. Mais comme l’explique Adrien Aubert, Associate Partner chez Square Management, « ne pas s’emparer de la problématique de la transition énergétique n’est pas exempt de risques pour les banques et les assurances ». Les risques réputationnel, systémique ou encore de solvabilité future doivent désormais être pris en compte par ces acteurs du financement de l’économie. Mark Carney, gouverneur de la Banque d’Angleterre et président du FSB, en identifie trois : « un risque physique, un risque de transition et un risque de litigation ». La finance verte est ainsi désormais traitée par les directions des risques des grands groupes, dynamique confortée par l’accord de Paris de 2015, qui mentionne la finance dans les objectifs majeurs de la communauté internationale : réduire les émissions pour tenir l’objectif des 2 °C, s’adapter au réchauffement climatique et aligner tous les flux de capitaux sur ces deux objectifs.
Les gérants d’actifs ont également décidé d’augmenter leurs investissements dans le domaine : il importe désormais de retenir les externalités que sont l’empreinte eau, la biodiversité, les pesticides, l’usage des ressources, l’économie circulaire, mais aussi des critères extra-financiers dans la décision d’investissement. Dans cette optique, Jean-Guillaume Péladan, gérant chez Sycomore, explique que « la métrique NEC (Net Environmental Contribution) a été développée chez Sycomore. Celle-ci permet de positionner un business model sur une échelle de -100 (désalignement complet avec la transition écologique et énergétique) à +100 (alignement complet) ». Financer massivement une économie bas carbone reste aujourd’hui un pari fort, dont la réussite passe par la construction de nouvelles grilles d’analyse, mais aussi, selon Adrien Aubert, « par un soutien solide à l’égard des secteurs fortement dépendants des énergies fossiles ».

Un marché des actifs verts dynamique

Jugé peu attractif il y a dix ans, le secteur de la transition énergétique suscite désormais l’intérêt des investisseurs. Marc-Philippe Botte, Partner chez Omnes Capital, souligne par exemple que « le montant des encours gérés par Omnes Captal a été multiplié par 12 » sur la période, traduisant l’appétence des institutionnels pour le sous-jacent. Le marché de la production d’électricité issue de sources renouvelables est passé de 40 milliards de dollars en 2010 à près de 300 milliards aujourd’hui. La forte baisse du coût de l’investissement dans les renouvelables et le changement de perception des investisseurs expliquent en grande partie cette nouvelle dimension. Dans de nombreuses régions, l’électricité produite par le renouvelable est devenue la solution la moins chère et les développeurs de projet se contentent d’une rémunération (« tarif d’achat ») à long terme, ce qui pousse davantage les coûts à la baisse. Certains appels d’offres publics, comme aux Pays-Bas, fixent même comme condition de participation la renonciation à un tarif d’achat à long terme : les opérateurs paient désormais pour installer un parc d’éoliennes, signe que le système est devenu économiquement viable. Ainsi, selon Marc-Philippe Botte, « 70 % des nouvelles capacités énergétiques sont renouvelables ». La plupart des financements se font directement au niveau des actifs, et de manière classique, 80 à 90 % d’un projet sont financés par les banques. Les modèles de revenus sont très clairs et prévisibles (en particulier celui du photovoltaïque), car le chiffre d’affaires et les charges opérationnelles sont connus à l’avance, ce qui permet de définir en amont le cash-flow qui servira au remboursement de la dette. Le métier de développeur d’actifs verts se développe également. Néanmoins, cette activité étant par essence risquée, son financement se fait davantage par fonds propres que par dette : les fonds d’investissement assureront donc les risques. Cette classe d’actifs est populaire auprès des investisseurs pour deux raisons. D’une part, il s’agit d’une classe d’actifs en forte croissance : le fonds souverain norvégien a décidé de ne plus investir dans le conventionnel, mais uniquement dans le renouvelable. D’autre part, le profil de ces actifs ressemble à celui des obligations par la prévisibilité des revenus, mais « les actifs verts rapportent désormais beaucoup plus » selon Marc-Philippe Botte. La performance de certains fonds d’actions vertes démontre également l’intérêt pour les investisseurs de ces nouveaux placements. Par exemple, selon Jean-Guillaume Péladan, « la performance du fonds Sycomore Eco Solutions (labellisé TEC et ISR) était autour de 30 % en début d’année, contre 11 % pour l’indice de référence MSCI Europe Net Return ».

De nouvelles sources de financement pour stimuler la croissance du secteur

Des acteurs alternatifs s’engagent également pour financer de nouveaux projets liés aux énergies renouvelables. Ces structures proposent aux citoyens d’investir leur épargne directement dans des projets photovoltaïques, éoliens ou de biogaz en injection, ou dans des obligations, actions ou prêts participatifs de start-up portant des projets innovants. L’activité de conseiller en investissement participatif est régulée par l’État depuis 2014. Léo Lemordant, cofondateur chez Enerfip, explique que via sa plateforme « 35 projets ont été financés en deux ans et demi, portés par des spécialistes de toute taille du secteur ». L’appétit des particuliers est très fort pour ces produits, avec des taux d’intérêt annuels de 5 à 7 % sur des maturités de deux à cinq ans. L’enjeu consiste donc désormais à trouver suffisamment de projets satisfaisants pour répondre à la demande de ces investisseurs. Néanmoins, les besoins en financement dans le secteur sont évalués à 80 milliards d’euros d’ici 2025 en France. Ces plateformes ne sont donc pas encore en mesure de financer à elles seules la transition énergétique, mais peuvent faire de la pédagogie auprès du grand public. Un des objectifs est que les particuliers « viennent pour le taux d’intérêt intéressant et repartent convaincus par la transition énergétique » selon Léo Lemordant. Cette pédagogie est opérée également sur les produits financiers complexes mis en place pour la démarche, sous la surveillance de l’AMF. Enfin, un autre atout majeur de ces plateformes vient de leur dimension locale, qui paraît indispensable pour développer l’acceptabilité sociale des projets et ainsi utiliser le financement participatif comme un outil de concertation.

Quelle stratégie verte ?

Le développement à un niveau global d’une stratégie de financement tournée autour de la transition énergétique doit donc s’accompagner de nouvelles mesures de la part de tous les acteurs économiques et financiers. Selon Pierre Ducret, président de l’Institute for Climate Economics (I4CE), une exigence de transparence doit s’appliquer vis-à-vis des épargnants. La Commission européenne s’oriente vers la création d’un éco-label européen pour les produits financiers. L’IC4E propose à la France de faire de même dans le sillon des labels ISR (Investissement socialement responsable) et TEC (Transition énergétique et climat), ainsi que de mettre en place une structure commune de gestion et de prévoir un budget de promotion. La transparence doit aussi concerner les indices, donc la gestion passive. En France, ce sujet devrait être traité en accord avec les gestionnaires d’actifs. La prise en compte de l’impact de la dégradation environnementale est également un challenge de taille : estimer la juste valeur des actifs s’avère très difficile. Pour le moment, la norme IAS 37 impose l’enregistrement de provisions pour la remise en état des infrastructures terrestres ou maritimes, mais son périmètre d’application reste relativement marginal. Établir de véritables standards internationaux constitue encore un défi de taille. La sous-estimation systématique du risque financier qu’entraîne le changement climatique peut inciter à percevoir les évolutions réglementaires comme contraignantes et punitives. Pour y remédier, l’ACPR avait proposé aux banques des stress-tests incluant une transformation climatique majeure et accélérée leur faisant courir un risque financier significatif. Cette occasion n’a néanmoins pas été saisie, signe qu’il reste encore du lobbying à mener pour inciter à une harmonisation des positions française et européenne. En outre, Adrien Aubert explique que, « alors que les banques sont challengées sur leur niveau de capital et de liquidité, des dispositifs incitatifs pourraient être mis en place afin d’attirer l’attention des investisseurs sur des actifs qui répondraient à une taxonomie verte ». Quand bien même les institutions bancaires ont commencé à prendre la mesure de la transition énergétique à mener, ces dispositifs restent aujourd’hui à définir clairement.·

À retrouver dans la revue
Revue Banque NºHOF2018