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La fiducie dans les financements d’infrastructures

Créé le

19.07.2011

-

Mis à jour le

03.10.2011

La fiducie constitue un outil intéressant dans les financements de projets d’infrastructures, en concessions ou partenariats public-privé. Mécanisme de sûreté souple et robuste, la fiducie renforce la sécurité des prêteurs sur les actifs essentiels du projet, ce qui offre une meilleure maîtrise de la continuité en cas de défaillance du Special Purpose Vehicule (SPV). Structure de cantonnement des actifs et passifs du projet, la fiducie peut aussi être un substitut au SPV. Enfin, à certaines conditions, la fiducie permet aux sponsors de déconsolider le projet et la dette qui s’y attache.

La structuration des financements d’infrastructures est déterminée par le fait que les bailleurs de fonds bancaires ou obligataires ne disposent pas de recours à l’encontre des sponsors ou investisseurs, qui ne prennent pas de risque sur leur bilan. Aussi, les actifs du projet sont généralement cantonnés au sein d’un véhicule ad hoc, le SPV, et à défaut donnent lieu à des mécanismes contractuels de non-recours. Le remboursement des financiers se fait au moyen des seuls cash-flows générés par les recettes du projet.

La fiducie-sûreté sur les actifs du projet

La qualité des sûretés sur les flux et de la préservation de ces derniers par la maîtrise des contrats structurants, en cas de défaillance de la société de projet ou de transfert du projet, sont essentielles. Les sûretés sur les actifs autres que les recettes visent quant à elles avant tout à assurer l’intégrité du SPV en cas de défaillance ou de transfert du projet.

Les flux. Les sûretés classiques sur créances – cession de créances professionnelles à titre de garantie, nantissement de créance et délégation – confèrent aux créanciers bénéficiaires une exclusivité sur la créance présente et même future affectée en garantie, en cas de procédure collective, appréciée des financiers du projet. Cette exclusivité est toutefois limitée au cas de nantissement et retardée, en cas de délégation non novatoire, jusqu’à la date de paiement par le débiteur délégué. Comme la cession Dailly en garantie, la sûreté propriété fiduciaire produit une exclusivité absolue, mais elle bénéficie en outre à tous les bailleurs de fonds, et non seulement aux seuls établissements de crédit prêteurs. Le rôle de tiers de confiance du fiduciaire permet à celui-ci d’administrer les cascades de flux au bénéfice des créanciers de rangs différents concernés. Il permet aussi, par un contrôle sur le processus de renouvellement des contrats par exemple d’offtake dont les créances cédées ont un terme plus court que le financement, de rendre déterminables les créances à naître de ces contrats alors même que le débiteur et le prix ne sont pas connus.

Les contrats structurants. La prise de sûretés sur les contrats structurants du SPV (tels que le contrat de  concession, de bail emphytéotique sur le terrain et encore de vente de la production, par exemple, d’énergie) ou les droits de la société de projet en découlant facilitent la maîtrise par les bailleurs de fonds de la poursuite de ces contrats, essentiels à la pérennité du projet en cas de défaillance du SPV. Les créanciers garantis peuvent alors se substituer – ou désigner un tiers se substituant – au SPV dans ces contrats. De plus, ils peuvent se voir reconnaître le droit, lorsque le SPV est en défaut vis-à-vis de ses contractants, de faire surseoir à la résiliation du contrat par le contractant du SPV durant le temps nécessaire à la régularisation du défaut par le financier ou la recherche d’une nouvelle société de projet à laquelle le contrat sera transféré. En droit français,  les contrats ou droits contractuels ne peuvent faire l’objet de sûretés classiques car ils ne font pas partie des actifs limitativement définis sur lesquels elles peuvent porter. Aussi, la substitution des financiers au SPV défaillant (step in rights) comme la paralysie temporaire du droit de résiliation du cocontractant du SPV défaillant donnent généralement lieu à de simples accords contractuels entre les contractants et les financiers, dont l’efficacité est incertaine en cas de procédure collective de la société de projet. La fiducie-sûreté permet d’élargir le champ des droits contractuels des actifs apportés en garantie qui peuvent ainsi inclure le contrat de concession, de bail emphytéotique et d’offtake et, en outre, d’assurer la maîtrise de ces contrats, grâce aux droits conférés au fiduciaire, et leur transfert à un tiers qui aura fait l’objet d’un agrément préalable de l’attributaire par l’autorité concédante.  L’attribution des contrats à un autre opérateur sera cependant suspendue en cas de procédure d’insolvabilité de la société de projet dès lors que celle-ci exploite le contrat ou le droit ainsi mis en sûreté, sauf consentement de l’administrateur.

Les autres actifs. La sûreté fiduciaire présente divers atouts par rapport aux sûretés classiques. Sûreté universelle, elle régit des actifs de toute nature y compris certains droits (par exemple droit d’exploitation d’une centrale photovoltaïque, droit de passage dans un câble de télécommunication ou encore fonds de commerce avant l’apparition d’une clientèle) qui ne sont pas éligibles aux sûretés classiques, et ce sous un régime uniforme alors que les règles hétérogènes de réalisation des sûretés classiques rendent la synchronie dans la réalisation des différentes sûretés délicate. De plus, tous les actifs en fiducie peuvent être attribués au créancier ou au bénéficiaire désigné par lui alors que le pacte commissoire est interdit dans certaines sûretés, comme le nantissement de fonds de commerce.

Les titres du SPV. Les titres du SPV sont le plus souvent nantis en faveur des financiers. Le pacte commissoire attaché au nantissement assure l’attribution des titres, et partant la maîtrise du projet aux créanciers en cas de défaut du SPV, mais il a deux inconvénients : d’une part, l’absence de toute prérogative de contrôle des créanciers sur la gestion du SPV jusqu’à un tel événement, et d’autre part la possibilité pour le management du SPV de paralyser la réalisation de la sûreté par le déclenchement d’une procédure collective. Si les titres du SPV sont transférés en fiducie à titre de garantie, le fiduciaire peut prendre la main en cas de simple défaut potentiel, faire obstacle au déclenchement d’une procédure collective, et même, en cas de procédure collective, céder le projet pour autant que les prérogatives qui lui sont consenties ne conduisent pas à considérer que les actionnaires ont conservé l’usage ou la jouissance de la fiducie, ce qui sera en principe le cas s’ils n’en assurent pas le contrôle opérationnel et qu’ils ne reçoivent pas de revenus pendant la phase de remboursement de la dette.

La fiducie comme substitut au SPV

Le SPV poursuit une fonction de cantonnement des actifs du projet. Le contrat de fiducie produit par construction le même effet, grâce à l’étanchéité du patrimoine fiduciaire vis-à-vis des créanciers des sponsors. On peut alors envisager de supprimer le cadre sociétaire du SPV et faire porter le projet, c'est-à-dire les actifs et la dette, en direct par la fiducie. Le fiduciaire intégrera les compétences managériales de l’opérateur et déléguera ce qu’il ne peut assurer. Il administre les contrats dans l’intérêt des bailleurs de fonds et des sponsors et alloue les flux selon les droits des différents constructeurs, contractants et financiers.

L’intérêt est que, à la différence du SPV, la fiducie ne peut être, semble-t-il, placée en procédure collective. Dès lors, en cas de défaillance de la fiducie, ses capacités opérationnelles sont réaménagées selon les prescriptions des créanciers, sans interférence d’un administrateur.

La fiducie contractera directement les emprunts bancaires nécessaires au financement du projet. N’ayant pas la personnalité morale, elle ne peut émettre de titres obligataires, mais ceux-ci  peuvent en revanche être émis par une société de financement détenue par les sponsors qui lui apportent le produit de l’émission.

Enfin, en cas de pluralité de sponsors, le fiduciaire, tiers de confiance, pourra détenir les actifs du projet, en assurer l’administration dans leur intérêt commun et effectuer les actes d’administration en totale neutralité.

La déconsolidation

Selon les dispositions de portée générale applicables aux comptes consolidés, l’entité tenue de consolider la fiducie est celle qui en a le contrôle. Selon les dispositions spécifiques applicables aux fiducies, qui sont assimilées a priori à des entités ad hoc, le constituant est présumé exercer ce contrôle. Dans le cadre de financements d’infrastructures, les constituants devraient généralement être les sponsors. Afin de définir si le constituant contrôle la fiducie, il convient d’examiner :

  • s’il dispose des pouvoirs de décision, assortis ou non des pouvoirs de gestion sur la fiducie ou sur les actifs qui la composent, même si ces pouvoirs ne sont pas effectivement exercés ;
  • s’il a, de fait, la capacité de bénéficier de la majorité des avantages économiques de la fiducie (sous forme d’affectation du résultat ou de droit à une quote-part d’actif net ou à la majorité des actifs résiduels en cas de liquidation) ;
  • s’il supporte la majorité des risques relatifs à la fiducie.
Le premier critère relatif aux pouvoirs de décision est prédominant. En conséquence, une fiducie est contrôlée si les conditions du premier et du deuxième critère, ou du premier et du troisième critère, sont remplies. La fiducie est également considérée comme contrôlée lorsque les deuxième et troisième critères se trouvent réunis. En pratique, la perte du pouvoir de décision par le constituant est déterminante pour qualifier la perte de contrôle. La conservation de la majorité des risques et des avantages économiques afférents aux actifs transférés dans la fiducie constitue une présomption de conservation d’une partie significative du pouvoir effectif de décision.

Le constituant est notamment réputé conserver le contrôle de la fiducie :

  • lorsqu’il en est l’unique bénéficiaire ;
  • lorsqu’il conserve la quasi-totalité des risques et des avantages relatifs aux éléments transférés ;
  • lorsqu’il conserve le bénéfice de l’intérêt résiduel sur le ou les actifs en fin de contrat à travers le retour de ces derniers en pleine propriété.
Afin de donner au constituant les meilleures chances d’échapper à la consolidation de la fiducie, il est donc nécessaire de prendre plusieurs dispositions : prévoir l’intervention de plusieurs constituants et plusieurs bénéficiaires, mettre en œuvre une mutualisation effective des risques et avantages au sein de la fiducie, prévoir, si possible, des apports de biens fongibles et, en cas d’insuffisance du patrimoine fiduciaire, prévoir de mettre tout ou partie du passif à la charge du fiduciaire.

La fiducie permet donc d’optimiser et sécuriser le modèle financier des projets dans lequel les droits de prêteurs sont administrés par un fiduciaire durant toute la durée du projet. Elle constitue un outil particulièrement appréciable lorsque la durée des projets excède l’horizon de portage de la dette par les financiers, tendance que les contraintes annoncées dans le cadre de Bâle III d’une allocation de ressources à long terme pour le financement d’emplois longs devraient renforcer.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº739