Exigences de reporting : a-t-on franchi la ligne jaune ?

La crise financi&egrave;re de 2008 s&rsquo;est avant tout sold&eacute;e par une remise en cause de l&rsquo;ensemble du secteur financier ; r&eacute;v&eacute;lant au grand jour les vuln&eacute;rabilit&eacute;s des acteurs et l&rsquo;opacit&eacute; du syst&egrave;me, elle a provoqu&eacute; une v&eacute;ritable crise de confiance. Depuis lors, superviseurs et r&eacute;gulateurs n&rsquo;ont eu de cesse de vouloir panser les plaies par une r&eacute;vision en profondeur de la r&eacute;gulation financi&egrave;re pour limiter le risque syst&eacute;mique et restaurer la confiance n&eacute;cessaire au bon fonctionnement de l&rsquo;&eacute;cosyst&egrave;me bancaire. La croissance exponentielle en mati&egrave;re de reportings r&eacute;glementaires ces derni&egrave;res ann&eacute;es en est l&rsquo;une des caract&eacute;ristiques &eacute;videntes, d&eacute;montrant &agrave; la fois une volont&eacute; de transparence et de contr&ocirc;le. Augmenter les exigences en mati&egrave;re de transparence permettrait de prouver que les &eacute;tablissements montrent d&eacute;sormais patte blanche, les reportings se transformant alors en une sorte de garde-fou face &agrave; la survenance d&rsquo;une nouvelle crise. Cependant, &agrave; vouloir d&eacute;montrer que les risques sont beaucoup mieux suivis via la cr&eacute;ation de nouveaux reportings , l&rsquo;augmentation des fr&eacute;quences de publication, la r&eacute;duction des d&eacute;lais de remise et la multiplication des axes d&rsquo;analyse, n&rsquo;avons-nous pas franchi la ligne jaune ? Un changement de paradigme Dans l&rsquo;univers bancaire, la transposition europ&eacute;enne des accords de B&acirc;le III (CRR/CRD 4) au 1 er janvier 2014 a provoqu&eacute; un v&eacute;ritable tsunami en mati&egrave;re de reportings r&eacute;glementaires. D&rsquo;une part, il convient de rappeler que la mise en place des &eacute;tats COREP et FINREP n&rsquo;avait pas &eacute;t&eacute; rendue obligatoire dans tous les pays, si bien que certains &Eacute;tats membres comme la France les avaient transpos&eacute;s en conservant des options nationales, alors que d&rsquo;autres ne les avaient pas mis en œuvre du tout. D&rsquo;autre part, le caract&egrave;re inflationniste n&rsquo;est-il pas impressionnant ? Avec une multiplication par deux des tableaux de remise, mais &eacute;galement de la fr&eacute;quence de publication pour les &eacute;tats qui existaient d&eacute;j&agrave; sous B&acirc;le II, un rythme effr&eacute;n&eacute; de production est impos&eacute; aux d&eacute;partements d&rsquo;information financi&egrave;re des &eacute;tablissements, r&eacute;duisant ainsi le temps d&eacute;di&eacute; &agrave; l&rsquo;analyse. Cependant, tout ceci n&rsquo;est que la face &eacute;merg&eacute;e de l&rsquo;iceberg. L&rsquo;adjonction de nouveaux reportings de liquidit&eacute; a rendu la t&acirc;che plus ardue avec une remise mensuelle du reporting LCR dont le p&eacute;rim&egrave;tre de consolidation est encore diff&eacute;rent du p&eacute;rim&egrave;tre prudentiel utilis&eacute; pour les reportings COREP et FINREP, n&eacute;cessitant le d&eacute;veloppement d&rsquo;un outil sp&eacute;cifique ou tout du moins des &eacute;volutions des syst&egrave;mes d'information (SI). Par ailleurs, la granularit&eacute; des classes d&rsquo;actifs d&eacute;finie dans ces diff&eacute;rents reportings n&rsquo;est pas identique (8 pour le LCR, 6 pour le FINREP et 5 pour le COREP), rendant les contr&ocirc;les de coh&eacute;rence difficiles, &eacute;l&eacute;ment important &agrave; souligner, notamment dans le cadre du pilier 3 (exigences en mati&egrave;re de d&eacute;claration et de transparence des march&eacute;s) car certaines informations sont reprises du FINREP (arri&eacute;r&eacute;s de paiement) avec une granularit&eacute; COREP (administrations, banques, entreprises, client&egrave;le de d&eacute;tail). Enfin, le niveau d&rsquo;informations exig&eacute; par les r&eacute;gulateurs est parfois tel que les &eacute;tablissements ne sont pas en capacit&eacute; de les fournir dans le calendrier impos&eacute;. Par exemple, dans le cadre de la d&eacute;sopacification, les &eacute;tablissements sont tenus de d&eacute;clarer semestriellement le d&eacute;tail des fonds propres et RWA par entit&eacute; au sein d&rsquo;un m&ecirc;me palier de consolidation, impliquant de pouvoir r&eacute;cup&eacute;rer ces informations dans les temps impartis et de r&eacute;concilier les donn&eacute;es intra-groupes, ce qui est particuli&egrave;rement complexe &agrave; l&rsquo;&eacute;chelle des grands groupes bancaires. Dans le domaine de l&rsquo;assurance, Solvabilit&eacute; 2 n&rsquo;est pas en reste en mati&egrave;re de reportings (bilan prudentiel MVBS, &eacute;tats QRT, SFCR [1] ) tandis qu&rsquo;en France, l&rsquo;ACPR impose d&rsquo;autres exigences nationales appel&eacute;es &laquo; &Eacute;tats nationaux sp&eacute;cifiques &raquo; (ENS) ayant vocation &agrave; compl&eacute;ter les exigences non couvertes par le cadre europ&eacute;en, entra&icirc;nant par l&agrave; m&ecirc;me un impact organisationnel fort. Quant aux march&eacute;s financiers, l&rsquo;entr&eacute;e en vigueur de la Directive MiFID II, bien que report&eacute;e d&rsquo;un an, est loin d&rsquo;&ecirc;tre une simple modification de MiFID I avec environ 40 % de dispositions nouvelles. Parmi les &eacute;volutions significatives, le nombre d&rsquo;informations &agrave; renseigner passe de 23 &agrave; plus de 81, et les obligations de transparence pr&eacute;n&eacute;gociation et de reportings sont &eacute;tendues (obligations, d&eacute;riv&eacute;s list&eacute;s&hellip;) en tenant compte du caract&egrave;re liquide ou illiquide des instruments. Les risques induits par la surinformation Rappelons-le, le renforcement du nombre et de la qualit&eacute; des reportings r&eacute;glementaires avait vocation &agrave; r&eacute;tablir la confiance dans le march&eacute;. N&eacute;anmoins, le fort niveau d&rsquo;exigences et le manque de coh&eacute;rence pourraient avoir des effets contradictoires. Depuis 2007, les taxonomies XBRL permettent la mise en œuvre d&rsquo;un langage commun de reportings mais l&rsquo;accroissement des contr&ocirc;les inter-&eacute;tats et le niveau relativement bas des seuils d&rsquo;erreur obligent les &eacute;tablissements &agrave; faire perdurer les corrections manuelles, parfois d&eacute;corr&eacute;l&eacute;es de la r&eacute;alit&eacute; op&eacute;rationnelle, ce qui d&eacute;t&eacute;riore in fine la qualit&eacute; des reportings . Pour les G-SIBs, les principes BCBS 239 (dont 5 d&eacute;di&eacute;s au reporting de gestion des risques) sont cens&eacute;s &ecirc;tre totalement effectifs depuis le 1 er janvier 2016. Ces principes &eacute;dict&eacute;s par le Comit&eacute; de B&acirc;le visent &agrave; am&eacute;liorer la collecte et le traitement des donn&eacute;es pour mieux appr&eacute;hender les risques en coh&eacute;rence avec l&rsquo;app&eacute;tence au risque de l&rsquo;&eacute;tablissement. De plus, les diff&eacute;rences entre normes comptables et normes prudentielles repr&eacute;sentent un d&eacute;fi majeur avec une vision &laquo; principles-based &raquo; de l&rsquo;IASB versus &laquo; rules-based &raquo; de l&rsquo;EBA. &Agrave; l&rsquo;image de l&rsquo;&eacute;volution normative, les reportings se complexifient mais deux sujets d&rsquo;actualit&eacute; prouvent que l&rsquo;harmonisation n&rsquo;est pas chose ais&eacute;e : &agrave; partir du 1 er janvier 2018, la norme IFRS 9, pour laquelle le provisionnement comptable s&rsquo;inscrira dans une approche prospective avec un horizon de calcul pouvant aller jusqu&rsquo;&agrave; maturit&eacute; tandis que l&rsquo;EL (perte attendue) prudentielle actuelle, &agrave; horizon 12 mois, se base sur une vision historique, si bien que l&rsquo;absence de convergence pourrait fausser le calcul de l&rsquo;exc&eacute;dent/du d&eacute;ficit d&rsquo;EL r&eacute;introduit dans les fonds propres prudentiels ; la notion de d&eacute;faut dont la d&eacute;finition n&rsquo;est pas homog&egrave;ne [2] avec un sujet &eacute;pineux, la forbearance , report&eacute;e dans le FINREP mais dont la d&eacute;termination r&eacute;pond encore trop d&rsquo;une approche subjective, rendant ainsi difficile la comparaison d&rsquo;un &eacute;tablissement &agrave; l&rsquo;autre. Enfin, la multiplication des exercices de stress-tests et des exercices de transparence men&eacute;s par l&rsquo;EBA, mettant beaucoup l&rsquo;accent sur les aspects quantitatifs, n&eacute;cessite une interpr&eacute;tation parcimonieuse des r&eacute;sultats pour &eacute;viter de provoquer une surr&eacute;action du march&eacute;. La diversit&eacute; des profils de risques et de secteurs d&rsquo;activit&eacute; m&eacute;riterait en effet que les aspects qualitatifs p&egrave;sent davantage dans les reportings mais avec un b&eacute;mol, celui de pouvoir conserver une vision harmonieuse. Le d&eacute;fi de la qualit&eacute; des donn&eacute;es Au-del&agrave; de la sophistication des reportings r&eacute;glementaires, ce qui pr&eacute;occupe les diff&eacute;rents acteurs, c&rsquo;est la capacit&eacute; &agrave; rester conformes avec la r&eacute;glementation tout en conservant une qualit&eacute; de donn&eacute;es optimale. Or, la mouvance des reportings et les probl&egrave;mes d&rsquo;interpr&eacute;tation rendent l&rsquo;exercice chronophage, sans compter l&rsquo;h&eacute;t&eacute;rog&eacute;n&eacute;it&eacute; des informations communiqu&eacute;es qui entrave le besoin de coh&eacute;rence. Le temps allou&eacute; &agrave; la production des &eacute;tats r&eacute;glementaires est tel qu&rsquo;on peut se demander si le temps n&eacute;cessaire &agrave; la prise de recul et &agrave; l&rsquo;analyse n&rsquo;a pas &eacute;t&eacute; sacrifi&eacute;, sans parler des co&ucirc;ts induits par les d&eacute;veloppements SI avec la mise en place de projets d&eacute;di&eacute;s et le recours &agrave; des ressources externes. Le contexte &eacute;conomique actuel caract&eacute;ris&eacute; par un environnement de taux historiquement bas mettant &agrave; mal les sources de rentabilit&eacute;, la r&eacute;duction des co&ucirc;ts est devenue le nouveau leitmotiv. &Agrave; l&rsquo;heure de la (r)&eacute;volution digitale, du big data et de l&rsquo;&eacute;mergence des FinTech , de nouveaux acteurs font leur apparition, les RegTech. Leur r&ocirc;le : automatiser et optimiser la production des reportings r&eacute;glementaires pour pouvoir se concentrer sur l&rsquo;analyse et tracer la donn&eacute;e mais au travers d&rsquo;un SI plus flexible afin d&rsquo;&ecirc;tre capable de faire &eacute;voluer les processus en fonction de l&rsquo;&eacute;volution des reportings . Peut-on encore aller plus loin ? Malgr&eacute; la granularit&eacute; d&eacute;j&agrave; fine des exigences existantes, les superviseurs ont d&eacute;velopp&eacute; de nouveaux reportings et bases de donn&eacute;es de niveau transactionnel. Que l&rsquo;on &eacute;voque EMIR et la mise en place d&rsquo;un r&eacute;f&eacute;rentiel central des d&eacute;riv&eacute;s OTC ou AnaCredit et les cr&eacute;dits octroy&eacute;s par les institutions financi&egrave;res europ&eacute;ennes, la collecte d&rsquo;informations s&rsquo;av&egrave;re tout simplement colossale. S&rsquo;agissant d&rsquo;AnaCredit, le seuil de d&eacute;claration est bas, fix&eacute; &agrave; 25 000 euros [3] . La centaine de variables &agrave; renseigner oblige les institutions &agrave; anticiper les besoins d&egrave;s &agrave; pr&eacute;sent, m&ecirc;me si la collecte ne sera effective qu&rsquo;&agrave; partir de septembre 2018, tandis que les pourtours ne sont pas encore stabilis&eacute;s, une partie des d&eacute;cisions restant du ressort des Banques Centrales Nationales (BCN). Ce nouveau reporting se pr&eacute;sente comme un projet exp&eacute;rimental dans le cadre de BIRD ( Banks&rsquo; Integrated Reporting Dictionary ), langage commun entre la BCE et l&rsquo;industrie financi&egrave;re qui pourrait ainsi aboutir &agrave; une int&eacute;gration des reportings . Mais d&rsquo;autres reportings inqui&egrave;tent tout autant les &eacute;tablissements comme le reporting fiscal CBCR ( Country By Country Reporting ) mis en place par l&rsquo;OCDE et exig&eacute; d&egrave;s fin 2017 pour les multinationales dont le chiffre d&rsquo;affaires d&eacute;passe 750 millions d&rsquo;euros (ventilation des b&eacute;n&eacute;fices, imp&ocirc;ts et activit&eacute;s par juridiction fiscale) ou le reporting G20 d&eacute;fini au travers des 20 recommandations de l&rsquo;initiative Data Gaps avec une d&eacute;claration progressive entre 2018 et 2021 pour les G-SIBs (r&eacute;partition du bilan et du hors-bilan sur les principaux pays et devises, notamment pour identifier les risques de contagion). Ces deux reportings , bien que totalement nouveaux, reprendront certaines informations par ailleurs pr&eacute;sent&eacute;es dans les reportings COREP et FINREP, suscitant les critiques de la profession bancaire car les interactions entre les diff&eacute;rents corpus de reportings deviennent excessives, au risque d&rsquo;&ecirc;tre contradictoires. &Agrave; l&rsquo;heure o&ugrave; l&rsquo;on pr&ocirc;ne le besoin de transparence pour r&eacute;tablir la confiance dans le syst&egrave;me financier, les reportings r&eacute;glementaires ont franchi un cap. Ils ont th&eacute;oriquement vocation &agrave; raconter une histoire, &agrave; d&eacute;crypter les risques et s&rsquo;assurer que ces derniers sont parfaitement ma&icirc;tris&eacute;s mais &agrave; vouloir les d&eacute;cortiquer dans les moindres d&eacute;tails, sous des angles trop diff&eacute;rents, ne finit-on pas par s&rsquo;&eacute;loigner de l&rsquo;objectif initial ? Le d&eacute;veloppement de m&eacute;ga bases de donn&eacute;es comme AnaCredit pourrait m&ecirc;me mettre fin aux reportings r&eacute;glementaires, les superviseurs disposant &agrave; terme de toutes les informations n&eacute;cessaires &agrave; leurs propres analyses. Cela signifierait que les superviseurs auraient directement acc&egrave;s aux donn&eacute;es des banques, n&rsquo;exigeant plus de reportings . Avec la perspective prochaine de certification des reportings r&eacute;glementaires [4] dans les diligences des commissaires aux comptes en France, on pourrait m&ecirc;me imaginer qu&rsquo;un jour, ces derniers certifient en amont la qualit&eacute; des donn&eacute;es r&eacute;cup&eacute;r&eacute;es directement par les superviseurs, prouvant une nouvelle fois que les limites ne sont jamais atteintes&hellip; 1 Respectivement Market Value Balance Sheet , Quantitative Reporting Templates , Solvency and Financial Condition Report . 2 Voir Prudential treatment of problem assets du Comit&eacute; de B&acirc;le publi&eacute; le 14 avril 2016 et Guidelines on default definition de l&rsquo;EBA publi&eacute; le 28 septembre 2016. 3 Il est cependant &agrave; noter que le seuil des cr&eacute;ances douteuses a &eacute;t&eacute; align&eacute; sur celui des cr&eacute;ances saines dans l&rsquo;amendement au projet initial de d&eacute;cembre 2015 de la BCE. 4 Voir Revised Pillar 3 disclosure requirements du Comit&eacute; de B&acirc;le publi&eacute; le 23 janvier 2015 ou Section C &ndash; Verification of disclosures des Guidelines on disclosure requirements under Part Eight of Regulation (EU) 575/2013 de l&rsquo;EBA publi&eacute; le 29 juin 2016.

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Exigences de reporting : a-t-on franchi la ligne jaune ?

Bâle III, EMIR, MIFIR, Solvabilité 2, mais aussi AnaCredit ou le reporting G20 : depuis la crise, les demandes des régulateurs et superviseurs en matière de reporting ne cessent d'enfler. Au détriment de la qualité des données et de l'analyse ?

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