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Gestion de patrimoine

L’évolution du rôle du banquier privé

Créé le

25.04.2019

-

Mis à jour le

28.05.2019

Les banquiers privés misent dorénavant massivement sur les apports des nouvelles technologies afin d’améliorer la qualité de service tout en restaurant leur rentabilité. Mais pour chacun de ces deux objectifs, la digitalisation a ses limites.

Depuis une décennie, le marché de la gestion de patrimoine connaît des évolutions importantes. Les facteurs de changement externes et propres à l’industrie se renforcent :

  • un contexte de marché difficile qui rogne la marge brute depuis la crise de 2008 ;
  • l’évolution du comportement et des attentes qui s’accentue avec le changement générationnel et démographique de la clientèle, e.g. la part grandissante de la clientèle féminine ;
  • une cascade de réglementations, dont Mifid 2 ;
  • un foisonnement technologique et une émergence de nombreuses start-up.
Face à ces mutations, la concurrence est de plus en plus forte. Afin de rester compétitifs et rentables, les établissements cherchent à se différencier par une meilleure gestion de la relation client et une meilleure qualité de service.

Après avoir craint l’arrivée des FinTechs, les banquiers privés misent dorénavant massivement sur ces dernières et plus largement sur les apports des nouvelles technologies afin de répondre aux nouveaux défis : adapter l’offre aux évolutions de la demande, automatiser des tâches administratives et réglementaires afin de libérer du temps commercial, améliorer la qualité de service en le rendant moins manuel et par conséquent moins sujet aux risques d’exécution, et enfin, rendre l’organisation plus efficace en réduisant les coûts de production et reconstituer ainsi une marge de manœuvre financière.

Ce constat appelle deux questionnements : où et comment exécuter cette transformation ? quelles en sont les limites ?

Adieu le « push » produits

Force est de constater que la clientèle a modifié ses habitudes de consommation, ne serait-ce qu’en raison du changement de la clientèle en elle-même.

Les clients fortunés sont de plus en plus jeunes et sont rompus aux médias digitaux – certains géants de la FinTech en sont des exemples frappants. Leur demande d’accès aux services est aussi devenue plus étendue, plus précise et immédiate. Les clients de banques privées baignent désormais dans un environnement grandissant de personnalisation à laquelle ils se sont habitués. Dès lors, les acteurs du secteur de la gestion de fortune doivent remettre le client au centre de leur préoccupation et de leur développement en s’appuyant sur ce que les technologies sont capables d’apporter. La considération du client change également, en ce que la relation a évolué pour aboutir à la situation que nous connaissons : des clients très informés, pointus et de facto exigeants, dont la versatilité a augmenté. Aligner les efforts de la banque avec les intérêts des clients permet de ne plus perdre ce consommateur de vue, et d’intensifier la relation plutôt que d’agir pour la retenir.

En cela, les stratégies de produits développées par les acteurs atteignent leurs limites de rentabilité et d’intérêt. La différenciation ne se fait plus que par la réponse tarifaire ou une surenchère d’architecture ouverte, extrêmement lourde à opérer. C’est sur les prestations de service et la proposition de valeur faite aux clients que la différenciation doit s’opérer. C’est d’autant plus le cas que les marges des banques privées apparaissent de façon plus transparente suite à la mise en œuvre de Mifid 2 ; la quantification de la valeur créée prend alors tout son sens.

Dès lors, le rôle du banquier doit se renforcer : l’objectif est de redéfinir le service en se positionnant aux côtés du client et non plus dans une attitude de « pousser » des produits (voir Schéma 1). Le service ainsi redéfini passe par une meilleure connaissance de leur intimité pour construire une offre leur correspondant. Il n’est donc plus seulement question d’appétit aux risques ou d’horizon d’investissement, mais également d’intérêts plus personnels, comme la géographie, les impacts sociétaux ou encore des affinités avec des activités personnelles. Ainsi basé sur la compréhension du client, son comportement, ses habitudes et son attitude face notamment aux évènements de marché, l’accompagnement du banquier se fait plus précis et générateur d’une valeur plus largement valorisable.

On touche ici aux compétences mêmes des banquiers privés qui doivent évoluer, en renforçant d’une part les compétences techniques et d’autre part les qualités interpersonnelles devenues de plus en plus prégnantes ; l’enjeu étant de capter au mieux les souhaits des clients et d’exécuter au plus vite tout en limitant les risques.

Le salut par la technologie

Il aura fallu du temps aux banquiers privés pour accepter le fait qu’ils n’étaient pas menacés par la technologie. Après avoir constaté que le succès des FinTechs en approche directe, et notamment des robo-advisors, n’était pas au rendez-vous, les acteurs établis s’en sont à nouveau approchés pour comprendre quel parti en tirer.

Les FinTechs ayant opté pour un modèle B2B (relation avec l’établissement) ou B2B2C (relation avec le client privé via la plateforme de l’établissement et en marque blanche) sortent leur épingle du jeu en proposant des services permettant aux établissements de répondre aux difficultés rencontrées, que ce soit dans la relation avec leur client ou dans le fonctionnement de leurs organisations.

Ces dernières années, la qualité de la relation client a pâti d’une charge réglementaire croissante ayant pesé sur la disponibilité des banquiers, les entrées en relation devenues plus laborieuses et lentes entraînant parfois une incompréhension du client, voire de l’inquiétude devant la quantité de documents à remplir et à signer. Cette situation oblige in fine le client à faire confiance à son banquier ou gestionnaire. Afin de rendre plus fluide le cycle de vie de la relation, des FinTechs s’appuyant sur des technologies de type Intelligence artificielle, Intelligent Process Automation (IPA), ou blockchain apportent des réponses concrètes (voir Schéma 2). Par exemple, dans le cadre de :

  • l’identification et l’approche de prospects, sur base d’informations publiques et un ciblage via le canal approprié grâce à des modèles prédictifs ;
  • l’entrée en relation : le contrat peut être signé électroniquement en face du banquier ou à distance si le client souhaite prendre le temps d’une relecture ; des contrôles antiblanchiment sont automatisés ; une identification par vidéo à base de reconnaissance d’image vérifie la validité des pièces d’identité si le client souhaite ouvrir son compte à distance ;
  • la connaissance client, le profil investisseur et le profil de risque, avec une mise en conformité du « KYC » via l’identité numérique et le partage des informations réglementaires sur la blockchain ; avec également la lecture de données à partir de documents, l’enrichissement par des sources externes et non structurées pour une meilleure adéquation entre le profil et conseil à prodiguer ;
  • les stratégies d’investissement avec la prise en compte des caractéristiques personnelles dans le cadre d’une approche « goal-based » ;
  • la gestion patrimoniale : pour les cas les plus standards, la capacité de collecte et la lecture d’informations remises par le client (e.g. relevés bancaires, titres de propriété, avis d’imposition, estimation de biens immobiliers, valorisation des actifs professionnels, recensement des dettes), puis des préconisations en matière d’investissement, de transmission, ou de structuration juridique ;
  • l’insatisfaction client prise en compte par l’analyse, via des modèles prédictifs, de l’activité du client dans sa navigation sur les applications de l’établissement, les échanges vocaux ou par email, ainsi que sur internet, pour anticiper une réduction d’activité, voire une clôture de comptes.
S’agissant de l’efficacité opérationnelle des établissements, l’automatisation des tâches à tous les niveaux de la chaîne de valeur reste un enjeu important. Les promesses du Robotic Process Automation (RPA) n’ont pas nécessairement été au rendez-vous pour les banques privées, avec pas ou peu d’économies d’échelle. En revanche, la génération suivante de robots (Intelligent Process Automation), plus prometteuse, est en mesure de pousser plus loin le niveau d’automatisation et de l’appliquer à des tâches non répétitives grâce à des mécanismes auto-apprenants et des algorithmes basés sur de l’intelligence artificielle. Les domaines d’application les plus évidents concernent l’exécution ou le post-exécution comme la réconciliation, ou le réglementaire dans le cadre par exemple de l’analyse anti-fraude.

Une autre solution d’automatisation a été testée mais reste encore non concluante, tout du moins vis-à-vis de la clientèle privée, concerne les logiciels conversationnels ou « chatbots ». Initialement développés pour diminuer le temps de réponse à une demande client, ils ont été finalement limités à des usages internes pour répondre par exemple à un banquier sur la conformité d’une opération. En effet, des tests ont montré un manque de pertinence dans certaines réponses ainsi qu’un risque de déshumanisation, le comble pour une banque privée.

Les limites de cette transformation

Cette transformation n’est pas sans rappeler les impacts de la révolution industrielle du XIXe siècle. Il convient de se pencher sur ses effets et ses limites.

Les organisations de type manufacture de la majeure partie des acteurs ont alors disparu dans un laps de temps finalement assez court pour évoluer vers des appareils productifs industriels ou a contrario revenir à des ateliers d’artisanat d’art, répondant aux environnements de faibles marges ou de forte valeur ajoutée.

Pour la matière financière, le conseil en gestion ne pourra être entièrement robotisé, ne serait-ce qu’en raison de l’absence de sentiment des robo-advisors incapables de comprendre un client, mais aussi de leur incapacité à innover. La question d’éthique liée à la responsabilité d’un conseil en investissement sera portée soit par le banquier, comme cela est actuellement le cas, soit par le comité d’investissement, responsable des instructions transmises au robo-advisor. Par conséquent, cette question ne pourra être déportée sur les robots. Le banquier sera bien « augmenté » et non « remplacé ».

L’évolution des structures amène également de grandes questions sur le volet social, rendant complexe une gestion prévisionnelle des emplois et des compétences pour assurer une parfaite adéquation des ressources avec les contraintes de production futures dans le respect de l’humain. La répartition traditionnelle des effectifs en trois tiers de poids plus ou moins équivalents – Front Office, Opérations et Supports, Fonctions Corporate – va évoluer vers une autre répartition – Front, Data Science & Analytics, Opérations, Supports, et Corporate. Ces changements amèneront de nouveaux métiers, et des mutations profondes dans les métiers existants, notamment en ce qu’ils seront recentrés sur leurs compétences clés. Les principaux freins porteront sur la résistance culturelle au changement et sur la difficulté à attirer et garder les nouvelles compétences. Les schémas de rémunération évolueront pour suivre ces modifications structurantes, mais ne seront pas de nature à alléger la structure de coûts. En effet, ces nouvelles expertises seront fortement valorisées.

Enfin, la digitalisation n’est pas la martingale ni le remède aux maux de la rentabilité : la digitalisation des organisations est une démarche coûteuse, et une véritable approche industrielle basée sur l’adéquation des besoins et des moyens de production s’imposent. Il sera parfois nécessaire de passer par des prototypes (ou « POC ») pour en valider la faisabilité et rentabilité. Il conviendra de rester discipliné sur les investissements, car tous ne sont pas rentables. Si la palette est large, les banquiers devront choisir ou prioriser à bon escient entre des solutions d’amélioration de l’expérience client et de robotisation des tâches dont les coûts de mise en œuvre vont crescendo en fonction de l’importance du patrimoine. À bien des égards, l’aventure humaine de la banque privée a encore de beaux jours devant elle !

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº833