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Investissement

Où en est le cycle des matières premières ?

Créé le

04.11.2014

-

Mis à jour le

25.11.2014

Le super-cycle haussier des matières premières est plutôt derrière nous. L’expérience montre aussi que ces actifs ne sont pas à l'abri des bulles spéculatives. L'investissement dans ce type d'actifs doit prendre en compte des facteurs spécifiques comme l'hétérogénéité de ces marchés (matières premières agricoles, énergie…) et les innovations susceptibles de bousculer les équilibres, comme le montre aujourd'hui le développement du gaz de schiste aux États-Unis.

La décennie 2000 a été « très positive » pour les prix des matières premières, à la faveur de toute une série de facteurs : croissance très forte (6,1 % par an) et mal anticipée de la demande des pays émergents, sous-investissement antérieur en raison des prix bas durant la décennie antérieure, baisse du dollar, baisse des taux réels, financiarisation… C’est ce qui avait justifié le thème du « super-cycle » des matières premières. L’indice CRB (représentatif de l’ensemble des matières premières) a ainsi progressé de 85 % au cours de la dernière décennie. Depuis plus de 3 ans, il a baissé de près de 30 %. Le pétrole, dont le prix avait été multiplié par plus de 10, n’a jamais retrouvé son pic de juillet 2008 (près de 150 dollars pour le Brent).

Des ajustements de comportement

Il est probable que la plupart des facteurs haussiers des années 2000 soient plutôt derrière nous. Au cours des trois dernières années a eu lieu une prise de conscience progressive que la croissance de la Chine serait plus faible qu’au cours de la décennie 2000 (10,4 %), avec surtout une réduction tendancielle du taux d’investissement et du poids de la construction dans ce pays. Or la Chine représente encore aujourd’hui plus de 40 % de la consommation des métaux industriels, 11 % du pétrole et plus de 20 % de l’or. En 2000, les chiffres correspondants étaient respectivement de 15, 4,5 et 6 %. Au-delà de la Chine, la croissance des pays riches restera faible. Ajoutons que l’investissement en capacités a aussi redémarré depuis les années 2000 et le dollar a réamorcé une tendance à la hausse. Rappelons également que l’élasticité de la croissance de la demande de pétrole à la croissance économique a baissé, en particulier aux États-Unis.

N’oublions pas que l’élasticité de court terme aux prix des matières premières est faible, mais que l’élasticité de long terme est plus importante, grâce à l’ajustement des comportements. Il existe ainsi des forces de rappel « naturelles » pour les prix des matières premières. Un prix trop élevé et/ou qui s’élève trop rapidement n’est pas supportable pour l’économie. Parier sur un prix durablement trop fort n’est donc pas raisonnable.

En matière d’énergie, les ajustements de comportement ont ainsi été substantiels au cours des dernières années (par exemple, utilisation de voitures plus économes, baisse de la distance parcourue sur les routes…). De son côté, l’offre additionnelle de pétrole a été également significative aux États-Unis grâce aux innovations technologiques.

Du point de vue de la stratégie d’investissement

Cela ne remet pas toutefois en cause l’intérêt des matières premières du point de vue de la stratégie d’investissement. Les matières premières constituent en effet une classe d'actifs autonome, car elles sont historiquement faiblement, voire négativement, corrélées aux autres actifs et leur performance ne peut être reproduite par une combinaison linéaire d'autres actifs. Il faut néanmoins nuancer ce point dans la mesure où les corrélations des matières premières cycliques avec les actifs financiers risqués se sont renforcées au cours des 10 dernières années, tout particulièrement durant les phases de stress.

En outre, les matières premières couvrent mieux un risque d’inflation élevée.

Les facteurs influençant l’analyse du couple rendement-risque des matières premières sont également spécifiques. Ils dépendent de l'évolution des cours bien sûr, mais aussi de phénomènes comme la courbe des prix à terme et l'évolution du dollar (puisqu’elles sont cotées dans la monnaie américaine). Les risques sous-jacents aux matières premières sont aussi assez spécifiques comme le climat (surtout pour les matières premières agricoles), les facteurs géopolitiques (surtout pour le pétrole) ou environnementaux. Elles performent également différemment des autres actifs suivant l'état du cycle économique.

Notons enfin que les matières premières ne constituent pas une classe d’actifs homogène et que chaque catégorie (énergie, métaux industriels, produits agricoles, métaux précieux) et sous-catégorie ont leurs propres déterminants.

Bulles et valorisation : l'exemple de l'or

Cela étant, la décennie 2000 a montré que les matières premières ne sont pas immunes aux phénomènes de bulle. L’économie de bulle s’est d’ailleurs plutôt « attaquée » au cours de cette décennie à des actifs physiques (immobilier résidentiel et matières premières).

Les thèmes fondateurs de la bulle des matières premières ont été mentionnés plus haut (super-cycle). Au fond, les bulles de matières premières sont d’autant plus aisées que l’une des particularités de cette classe d’actifs est précisément la difficulté pour les valoriser correctement, du fait de leur absence de rendement. À cela s’ajoute la relative faible transparence d’un certain nombre de données (en particulier des stocks) qui peut favoriser une amplification des mouvements de prix.

L’or en constitue une bonne illustration. Il existe une justification à la plus forte croissance de l’or, car son stock est relativement limité (faible production). Si les agents épargnaient une proportion fixe de leurs revenus en or, la croissance à long terme des prix serait identique à celle du PIB nominal (à stock fixe). Or on constate que le prix de l’or par rapport au niveau initial de 1970 (aux États-Unis) est encore supérieur de ce point de vue. En prenant une mesure conservatrice, on constate que le ratio est encore au-dessus de sa moyenne depuis 40 ans, d’autant plus que le stock croît au rythme de 1,5 % par an.

Mais personne ne sait mesurer correctement la valeur intrinsèque de l’or. On peut en revanche considérer que les déterminants de l’or sont plutôt mal orientés : taux réels déjà au plus bas, inflation en baisse au niveau mondial et dans les pays émergents, dollar ferme, baisse du risque souverain et bancaire, comportement moins favorable des banques centrales émergentes…

En valeur relative, l’or rapporté aux dividendes du S&P 500 apparaît encore cher actuellement, si l’on tient compte de la tendance haussière longue. De même, lorsque l’on compare l’or aux autres matières premières, on constate que le ratio est plutôt dans sa borne haute observée depuis 40 ans.

D’une manière plus générale, on ne se plaindra pas du dégonflement d’une bulle de matières premières qui est plus nettement destructrice de valeur, puisqu’elle n’aboutit qu’à survaloriser un actif existant (donc l’économie du passé) et à alimenter un pur transfert de richesse entre pays exportateurs et pays importateurs (rente pétrolière ou rente alimentaire).

Une bulle de matières premières peut aussi générer plus d’inflation traditionnelle. Ces bulles touchent en effet des actifs qui sont aussi des biens de consommation courante. C’est évident pour les matières premières énergétiques et agricoles. Enfin, ces bulles peuvent déboucher sur des situations sociales explosives, avec notamment les émeutes de la faim dans des pays où l’alimentaire représente parfois la moitié de la consommation totale. Au total, les bulles de matières premières sont probablement moins tolérables, car elles sont immédiatement récessives et socialement destructrices.

Le fait que la dynamique haussière des prix des matières premières ait pu durer 10 ans tient probablement à la forte et surprenante croissance du monde émergent.

Intégrer les capacités d'innovation

Ce n’est pas la première fois dans l’histoire contemporaine que l’on observe un cycle long haussier des prix des matières premières. La littérature [1] a d’ailleurs identifié plusieurs super-cycles haussiers des matières premières depuis la fin du XIXe siècle. Le cycle haussier le plus long pour le prix réel des matières premières hors pétrole a été de 23 ans (1894-1917, pour une hausse réelle cumulée de 50 %), à la suite de la 2e révolution industrielle et de la Première Guerre mondiale. Pour le pétrole, le cycle haussier a même atteint 28 ans (1892-1920, pour une hausse réelle cumulée de 403 %).

Mais les périodes de hausses structurelles des prix réels ne sont pas éternelles et elles sont aussi suivies de longues phases de baisse ; par exemple, la baisse réelle du pétrole entre 1980 et 1998 a été de 70 %.

En fait, acheter des matières premières sur le long terme revient à parier contre l’innovation technologique et la capacité d’adaptation du capitalisme. Il est vrai que la poursuite de l’urbanisation et du développement des infrastructures dans l’ensemble du monde émergent ainsi que la forte dynamique démographique qui persistera en Inde et en Afrique devraient soutenir la croissance des biens fortement consommateurs de matières premières. Mais cette thématique est désormais, nous semble-t-il, bien intégrée.

Le développement du gaz et pétrole de schiste aux États-Unis témoigne de cette capacité d’innovation. Il s’agit d’une véritable rupture. Les bénéfices macroéconomiques de cette stratégie sont multiples ; créations d’emplois et dynamique de l’investissement dans ces secteurs, baisse du coût de l’énergie au profit des entreprises et des ménages (avec un prix du gaz environ 4 fois moins cher qu’en Europe et les effets induits sur les prix relatifs de l’électricité), relocalisation de nombreuses entreprises manufacturières, baisse du taux de dépendance énergétique, amélioration du solde extérieur et moindre vulnérabilité aux pays à risque…

Cette évolution correspond aux évolutions normales de l’économie de marché internationale. Le coût élevé de l’énergie a poussé l’innovation à la hausse. Pour l’Europe, le message est très clair : la R&D paie et l’excès de principe de précaution est nuisible.

1 B. Erten et J.A. Ocampo, « Super-cycles of commodity prices since the 19th century », DESA Working paper n° 110, février 2012.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº778bis
Notes :
1 B. Erten et J.A. Ocampo, « Super-cycles of commodity prices since the 19th century », DESA Working paper n° 110, février 2012.
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