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Autorités européennes

L'EBA, arbitre des différends entre le Royaume-Uni et l'Union bancaire

Créé le

14.01.2013

-

Mis à jour le

29.01.2013

Contrairement à l’ESMA, qui devrait prendre du poids dans les années à venir, l’extension des compétences de l’Autorité bancaire européenne a été stoppée net par la décision de confier à la BCE la responsabilité du mécanisme unique de supervision.

La décision de confier à la BCE la fonction de superviseur unique des banques européennes remet-elle en question le rôle de l’ EBA [1] ?

Les rôles confiés à l’EBA à sa création ne sont pas formellement remis en question. En revanche, on pouvait imaginer au départ qu’elle allait graduellement évoluer vers une fonction de supervision directe, au moins pour certaines banques. C’est une évolution qu’a connue l’ ESMA [2] , en devenant le superviseur direct des agences de notation. Une telle évolution est désormais quasiment exclue pour l’EBA puisque cette mission de supervision supranationale des banques devient le fait de la BCE.

Pourquoi cette divergence par rapport à ce scénario de départ ?

La principale raison tient au changement d’attitude des Britanniques. Au moment de la mise en œuvre du rapport de Larosière, en juin 2009, sous le gouvernement de Gordon Brown, le Royaume-Uni tenait à faire partie du dispositif et soutenait la logique de marché unique européen pour les services financiers. À partir de 2010, et plus clairement à compter de l’été 2011, le gouvernement Cameron a adopté une nouvelle doctrine, à mon sens sans précédent depuis l’adhésion britannique en 1973, selon laquelle une intégration plus avancée de la zone euro est souhaitable mais sans que le Royaume-Uni en fasse partie. Ce changement de direction rendait impossible le renforcement des compétences de l’EBA – dont le siège est à Londres – en matière de supervision. L’EBA n’est juridiquement pas construite pour supporter ce clivage : elle a été pensée pour l’ensemble des Etats membres, pas pour une partie d’entre eux.

Il n’y avait donc pas vraiment de choix : seule la BCE pouvait être choisie…

Le choix de la BCE a été fortement encouragé par l’existence de l’article 127-6 du Traité de fonctionnement de l’Union européenne. Les négociateurs de Maastricht n’avaient certainement pas en tête un mandat aussi large pour cette supervision lorsqu’ils ont rédigé cet article. Mais il constitue une base juridique solide, probablement la plus solide à traité constant. Une autre manière de voir les choses est de dire que la BCE est aujourd’hui l’institution la plus forte en Europe. Elle jouit d’un capital de crédibilité que les dirigeants ont voulu utiliser dans la mise en place, complexe et risquée, de ce mécanisme de supervision unique (MSU).

Comment va évoluer le fonctionnement de l’EBA ?

Le MSU change les équilibres au sein de l’EBA. Jusqu’à présent, l’institution européenne devait coordonner 27 autorités nationales dont la plus grande en termes d’actifs bancaires supervisés ne dépassait pas un quart du total. Avec la réforme, le nombre d’autorités qu’elle doit coordonner sera en pratique beaucoup plus restreint, car, à moyen terme, les vues des autorités participant au MSU seront vraisemblablement consolidées au sein de la BCE. L’EBA devra alors coordonner les positions des Britanniques (près d’un quart du total), de l’Union bancaire (entre les deux tiers et les trois quarts du total, selon le nombre de pays qui rejoindront le MSU) et un reliquat de taille assez limitée (la République tchèque et la Suède en feront partie, au moins au début). La fonction première de l’EBA sera donc d’arbitrer les différends entre le Royaume-Uni et l’Union bancaire. À l’évidence, le centre de gravité se déplace.

L’EBA est-elle en capacité de jouer ce rôle d’arbitre face à un mastodonte comme la BCE ?

C’est là que la question de la gouvernance de l’EBA devient réellement centrale. Un mécanisme de double majorité a été mis en place. Reste à savoir combien de pays rejoindront au final le MSU : si le nombre de pays en dehors tombe en dessous de 5, ce système de double majorité ne tient plus. Il faut attendre de voir les modalités pratiques du compromis conclu en décembre pour pouvoir répondre cette question. Plus fondamentalement, on peut se réjouir de l’inscription d’une clause de rendez-vous en 2014. Dans un délai proche, mais dans des conditions moins précipitées, nous aurons ainsi l’opportunité de réfléchir à quelle gouvernance est la mieux adaptée à cette nouvelle fonction arbitrale de l’EBA.

Que préconiseriez-vous ?

La logique serait que la gouvernance soit moins intergouvernementale. C’est d’ailleurs l’idée de la Commission lorsqu’elle propose des panels d’experts indépendants pour les médiations. Cette logique gagnerait à être appliquée au niveau de la gouvernance de l’autorité elle-même, suivant un modèle proche de celui du directoire de la BCE. Ses membres ne représentent pas leur pays d’origine et décident dans l’intérêt commun européen. Bien entendu, les textes régissant l’EBA affirment que tel est aussi le cas de l’actuel Conseil de surveillance, mais comment ses membres peuvent-ils oublier leurs intérêts propres alors qu’ils sont salariés à temps plein de leur autorité nationale ? L’intention est louable mais peu effective.

Qu’attendez-vous du Single Supervisory Handbook que l’EBA doit établir pour harmoniser les pratiques de supervision à l’échelle de l’Union ?

L’EBA est en train d’y travailler. Attendons de voir jusqu’où elle peut aller en termes d’harmonisation des pratiques de supervision. Mon sentiment est qu’elle peut jouer un rôle très constructif de clarification des options et de mise en valeur des meilleures pratiques. En revanche, sa capacité de décision est assez limitée, car les Britanniques – de même que l’Union bancaire, même si ce n’est pour l’instant pas la rhétorique employée – voudront garder une liberté d’action. Il me semble que le refus du Royaume-Uni de participer à l’Union bancaire rendra très difficile l’objectif de convergence. J’espère néanmoins que ce Single Handbook se révélera une initiative utile et qui aura un impact.

Doit-on s’attendre à d’importants amendements de la part du Parlement au moment du vote du règlement sur l’EBA ?

Par son statut de codécideur sur le règlement portant sur l’EBA, le Parlement dispose d’un levier sur le règlement qui instaure le MSU et pour lequel il ne vote pas. Il a l’intention, légitime, d’utiliser ce levier. Pour autant, je ne crois pas qu’il veuille ou puisse adopter une stratégie de blocage. Il y a une obligation de résultat de parvenir à un accord législatif au plus tard en février. Je ne crois pas que le Parlement puisse par exemple remettre en cause le principe de double majorité à l’EBA, car c’est un point crucial pour les Britanniques qui disposent, eux, d’un droit de veto sur le règlement MSU. En revanche, les députés pourraient légitimement demander des pouvoirs supplémentaires, par exemple sur la nomination des membres du Comité de supervision au sein de la BCE.

La clause de rendez-vous concernant le fonctionnement de l’EBA ne présente-t-elle pas un risque pour les Britanniques qui ne disposeront alors plus de leur levier de négociation actuel ?

Il est vrai qu’aujourd’hui, à travers le couplage de la réforme de l’EBA et de la création du MSU, les Britanniques disposent en pratique d’un veto sur l’ensemble du dispositif, qu’ils n’auront plus en 2014. Mais si un grand nombre de pays rejoignent l’Union bancaire, les Britanniques peuvent aussi avoir un intérêt à une révision du fonctionnement de l’Autorité. Rappelons que pour la création de l’EBA comme pour tout autre texte important de réglementation financière, le Conseil n’a jamais pris une décision à la majorité qualifiée contre le Royaume-Uni. Londres n’est pas sans levier dans cette prochaine étape.

 

1 European Banking Authority. 2 European Securities and Markets Authority.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº757
Notes :
1 European Banking Authority.
2 European Securities and Markets Authority.