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Itinéraire

Corrado Ferretti : du crédit conso au microcrédit

Créé le

19.01.2012

-

Mis à jour le

27.01.2012

Patron d’une société de crédit à la consommation filiale de Cofinoga dans les années 1990, Corrado Ferretti est aujourd’hui président d’une institution de microfinance italienne qui soutient les populations, souvent immigrées, non bancarisées.

Institutions de microfinance qui entrent en Bourse et se transforment en banques, banques qui s’attaquent à la clientèle non ou peu bancarisée : en Europe comme dans le monde en développement, les frontières sont parfois floues entre les deux univers. Une vérité qui vaut aussi pour la carrière des hommes qui les animent. C’est ce que rappelle l’exemple de Corrado Ferretti. Lorsqu’il devient président de l’institution de microfinance (IMF) italienne PerMicro en 2007, il a déjà à son actif 16 ans de carrière dans le secteur bancaire.

Un entrepreneur de la finance

Originaire de la Vallée d’Aoste, au cœur des Alpes italiennes, Corrado Ferretti fait ses études à Turin, dans une école de commerce « expérimentale », explique-t-il dans un français parfait, le français étant une des langues officielles de la région autonome de la Vallée d’Aoste. Entrepreneur dans l’âme, il joue la carte de la sécurité et fait des études d’expert-comptable. Mais quelques années en tant que consultant fiscal lui confirment une chose : il veut bâtir et gérer, pas conseiller. Il lance alors une petite activité de crédit, adossée à une entreprise de formation à distance, qui est son seul client : GFItalia assure l’offre de financement pour les formations vendues. Puis son activité se développe et la société propose de petits crédits – quelques centaines d’euros – aux clients d’autres sociétés de vente en porte à porte. Pour poursuivre son développement, GFItalia a alors besoin de moyens supplémentaires. Le marché italien étant  fermé, Corrado Ferretti se tourne vers l’étranger : il trouve Cofinoga et son directeur, Michel Philippin. L’entrepreneur italien est immédiatement séduit par le caractère innovant de l’offre française : « J’ai appris auprès de Cofinoga la notion de partenariat. Il ne s’agit pas seulement d’apporter du financement aux grands réseaux de distribution mais d’y intégrer des fonctions marketing qui répondent aux besoins de nos partenaires commerciaux, avec le souci de développer l’expérience client. » Cofinoga continue de monter au capital jusqu’à racheter entièrement GFItalia et à la fusionner, en 1998, avec Linea, une autre société de crédit à la consommation transalpine nouvellement acquise.

Au service de la Vallée d’Aoste

Corrado Ferretti, lui, se lance dans de nouveaux projets, au service de sa région natale. Il reprend ainsi simultanément les commandes du téléphérique du Mont-Blanc – qui relie Courmayeur à Chamonix en passant par l’Aiguille du Midi et la Vallée Blanche – et à la demande de la région, celles d’une petite caisse d’épargne locale, la Banca della Valle d’Aosta. Dans les deux cas, il y a beaucoup à dépoussiérer. « Quand je suis devenu administrateur de la télécabine du Mont-Blanc, elle était gérée comme un chemin de fer oublié et plein de rouille. Je voulais montrer qu’elle était en fait un petit joyau : après tout, il n’y a pas d’autres entreprises qui montent sur le Mont-Blanc ! » Ici aussi, il cherche avant tout à développer l’expérience client, en offrant plus qu’un simple moyen de transport. Il réhabilite notamment un jardin botanique créé par son père à 2 200 mètres d’altitude. « Mon père a toujours été sensible à sa terre natale, via son histoire, sa végétation, son agriculture. J’ai repris cela de lui, mais sous un angle plus business, à travers le tourisme et les services financiers. »

Son expérience dans la banque de la Vallée d’Aoste est moins plaisante : il s’agit de remettre dans le droit chemin cette institution financière proche de la faillite. « Elle était dirigée par deux banques concurrentes qui gardaient pour elles les bons dossiers de crédit, et par la région, qui favorisait les crédits faciles pour des raisons d'ordre politique. » Corrado Ferretti obtient un changement de gouvernance et une reprise en main par des techniciens de la finance. Redressée, la banque fusionne en 2000 avec cinq autres banques de crédit coopératif. Quant au téléphérique, sa gestion est reprise par la région.

La révélation du social business

Au début des années 2000, Corrado Ferretti s’éloigne des services financiers. C’est l’époque du « .com ». Après un passage chez un opérateur téléphonique, il reprend plusieurs magazines sur le web, qui enregistrent une forte audience mais de piètres revenus, malgré l’énergie déployée. Un passage à vide dont l’entrepreneur sort fin 2006, lorsqu’il est contacté par les promoteurs de PerMicro. Mené par Andrea Limone, 27 ans, le projet capte l’attention de l’ancien banquier. « J’ai découvert un monde qui m’a immédiatement passionné, celui de l’impact investing. J’ai été fasciné par l’idée que l’on pouvait orienter des capitaux vers des activités à vocation sociale, mais dans une logique de soutenabilité économique, et avec un souci d’efficacité, de flexibilité. Il s’agit selon moi du premier vrai challenge pour l’idéologie capitaliste depuis la chute du socialisme. » Corrado Ferretti se jette dans l’aventure et accepte d’apporter à PerMicro son expertise du crédit. Andrea Limone prend en charge le développement, lui la machinerie. Il fait pour cela appel à son réseau, Cofinoga notamment, qui lui offre un appui technique sur l’évaluation du risque.

Franc parlé

Il y apporte surtout son expérience des crédits de petits montants à des populations souvent fragiles. « Corrado Ferretti concilie une grande vision sociale et le sens du concret. Il est totalement orienté business et n’hésite pas à rentrer dans les détails techniques de la réalisation », salue Emmanuel de Lutzel. Le directeur des activités de microfinance chez BNP Paribas – qui vient de s’allier avec PerMicro (voir Encadré) – retrouve chez l’Italien la forte personnalité de Maria Nowak, fondatrice de l’Adie. « Quand on ne le connaît pas, Corrado peut paraître très distant, mais son silence vient de sa grande volonté et capacité d’écoute, témoigne Michel Philippin, devenu son ami depuis leur rencontre chez Cofinoga. Ses prises de parole sont mûrement réfléchies mais il ne se prive pas de dire ce qu’il pense, y compris lorsque c’est déplaisant. Il le fait certes avec une grande élégance mais ne se taira pas. » Il ne se prive ainsi pas de critiquer l’univers de la microfinance, en particulier ceux qui véhiculent des discours visant à faire du microcrédit « une solution merveilleuse pour la création des micro-entreprises ». Dans les pays en développement, l’acquisition d’un moyen de production grâce à un microprêt est une condition suffisante pour la réussite de l’entreprise, car la demande est là. Ce n’est pas le cas en Europe occidentale. Aussi, les microcrédits accordés par PerMicro sont-ils pour trois quarts d'entre eux des prêts personnels, pour financer un moyen de transport, une dépense de santé, un bien immobilier dans le pays d’origine. La finalité du prêt est toujours connue et un accompagnement est assuré par l’IMF. Les frais engagés pour chaque dossier sont importants et ne peuvent pas être couverts par le taux d’intérêt, plafonné par le taux d’usure. « En Europe occidentale, Royaume-Uni exclu, il n’y a pas de modèle à la fois indépendant et soutenable financièrement. Les IMF vivent de contributions extérieures. Mais ces contributions matérialisent les externalités positives que la société leur reconnaît, analyse-t-il. Mêmes minimes, elles devraient toujours exister, comme preuve du rôle social de l’institution. » Et comme matérialisation de la frontière entre banque et microfinance…

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº745
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