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Défense des épargnants

« Considérer les déposants comme des créditeurs est injuste »

Créé le

20.11.2015

-

Mis à jour le

01.12.2015

Pour Guillaume Prache, le pilier Garantie des dépôts est indispensable si l’Union bancaire souhaite éviter le risque de bank run dans les pays les plus fragiles. Dans BRRD, il conteste le traitement réservé aux déposants.

Le troisième pilier de l’Union bancaire est-il indispensable ?

Pour l’instant, en l’absence de ce troisième pilier, les déposants européens n’ont pas tous le même niveau de confiance envers le principe de garantie des dépôts selon le pays où ils habitent : dans les États les plus fragiles, les déposants n’ont pas confiance, d’où un risque de bank run si les banques rencontrent des difficultés. Ce risque s’est d’ailleurs matérialisé dernièrement en Grèce.

Mettre en place le troisième pilier de l’Union bancaire, c’est-à-dire un système centralisé de garantie, permettrait d’éviter le risque de bank run grâce à la solidarité entre les États.

L’Allemagne s’opposant à la mise en œuvre – du moins à court terme – d’une garantie mutualisée, la Commission prévoit de proposer un système de réassurance [1] européen pour les mécanismes nationaux de garantie des dépôts. Que vous inspire cette alternative ?

Ce projet est intéressant mais de nombreux paramètres peuvent le faire échouer ou l’empêcher d’atteindre le but recherché. Par exemple, l’Allemagne risque, là aussi, de s’opposer.

Directive intimement liée à l’Union bancaire, la BRRD instaure le principe du renflouement interne (bail-in). Que pensez-vous de ce mécanisme ?

Avant la directive BRRD, une banque en difficulté n’avait que deux alternatives : la faillite ou le renflouement par l’État, c’est-à-dire par le contribuable (bail-out).

BRRD crée une troisième voie : les actionnaires et, en seconde position, les porteurs d’obligations, participent au renflouement de l’établissement – ce qui est juste puisqu’il s’agit dans les deux cas d’investisseurs –, mais en troisième position, la catégorie des déposants peut, elle aussi, être sollicitée. En clair, ceux-ci peuvent perdre de l’argent pour renflouer l’établissement. Considérer les déposants comme des créditeurs est injuste car ils ne sont pas des investisseurs et les particuliers n’ont pas les moyens ni le réflexe d’analyser la solidité de leur banque ; de plus ils ne sont pas informés de cette règle. Le déposant est donc désavantagé par rapport aux autres créditeurs.

Parmi les déposants se trouvent notamment les entreprises…

En effet, il est d’ailleurs intéressant d’observer ce qui s’est passé lors de la crise chypriote, qui a inspiré BRRD : un partenaire de Renault-Nissan, le constructeur russe Avtovaz, avait placé sa trésorerie à Chypre en raison des taux de rémunération des dépôts (4 à 5 %) affichés par les banques chypriotes. Quand la crise bancaire est survenue sur cette île, la Troïka a appliqué les principes que l’on retrouve dans BRRD, donc les dépôts dépassant le plafond de 100 000 euros ont été utilisés pour renflouer les établissements. La trésorerie d’Avtovaz pesant plusieurs millions d’euros, cet industriel a été mis en grande difficulté par la façon dont l’Europe a traité cette crise, ce qui a d’ailleurs mis Renault dans l’embarras.

Ce cas n’est-il pas isolé ? Les banques chypriotes hébergeaient surtout de l’argent sale en provenance de la Russie !

Les médias ont en effet largement propagé cette thèse. En réalité, seuls 30 % des dépôts chypriotes provenaient de Russie. Et à l’intérieur de ces 30 %, il n’y avait pas que de l’argent sale, Avtovaz en est une preuve.

Jusqu’à 100 000 euros, les dépôts sont garantis, mais la directive BRRD a-t-elle prévu le cas des particuliers qui vendent leur appartement avant d’en acheter un autre et qui, provisoirement, déposent sur leur compte par exemple 400 000 euros (prix moyen d’un 50 m2 à Paris) ?

Cette situation est prévue en cas de faillite par la directive du 16 avril 2014 relative au système de garantie des dépôts. Elle a d’ailleurs été transposée en France le 30 octobre 2015. En cas de vente d’un bien d’habitation, le plafond est alors porté à 500 000 euros, mais seulement pendant 3 mois.

Ce régime réservé aux dépôts exceptionnels en cas de faillite devrait en principe être appliqué en cas de résolution, mais cela reste à confirmer.

Quoi qu’il en soit, ce régime est limité dans le temps. En France, il n’est valable que pendant trois mois, ce qui est court pour réinvestir dans l’immobilier. Or le patrimoine de nombreux particuliers se résume à leur bien immobilier. Il ne s’agit donc pas là de personnes très fortunées. Imaginons que ce bien soit vendu et que la totalité du fruit de cette vente soit déposée pendant six mois, le temps de trouver un autre logement, dans un même groupe bancaire. Il serait alors profondément injuste qu’en cas de résolution, ce qui excède 100 000 euros soit utilisé pour le renflouement de la banque et donc perdu pour le particulier. Ce traitement serait tout aussi injuste s’il était appliqué à un entrepreneur qui vient de vendre son entreprise. Or, c’est bien ce risque que BRRD fait peser sur les déposants.

Pourtant, l’objectif du bail-in n’est-il pas de créer un cadre moins injuste que le bail-out ?

Le renflouement demeure assez injuste : il risque, avec le bail-in ou le bail-out, de reposer sur des personnes qui n’ont aucune responsabilité dans ce qu’il arrive à la banque.

Dès lors, n’est-il pas plus juste de faire appel à l’argent des contribuables (bail-out) dont les impôts correspondent à peu près à leur niveau de revenu et de patrimoine, plutôt que de laisser certains particuliers, pris de façon aléatoire dans la nasse, subir les conséquences d’un renflouement bancaire ?

Certains impôts ne tiennent pas compte du niveau de richesse du contribuable, comme la TVA. Mais en effet, solliciter le contribuable est moins injuste, moins aléatoire que le fait de mettre à contribution un déposant dont les avoirs en banque peuvent correspondre à la vente de son bien immobilier.

Une autre injustice dans BRRD est qu'elle ne vise pas les bonus encaissés par le management.

1 La proposition de la Commission a été rendue publique après la date de cette interview, ndlr.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº790
Notes :
1 La proposition de la Commission a été rendue publique après la date de cette interview, ndlr.