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Économie

Clarifier le débat sur l’endettement public et la politique monétaire

Créé le

16.10.2020

Ce n’est pas parce que la dette publique monétisée n’a pas à être remboursée qu’elle ne conduit pas à des évolutions pénalisantes pour l’économie.

Le débat sur l’endettement public et la politique monétaire est aujourd’hui obscur, mal posé le plus souvent, ce qui est normal puisque les mécanismes qui interviennent sont effectivement complexes.

On entend parfois dire qu’il faudra un jour rembourser les dettes publiques émises aujourd’hui, ce qui annonce le retour à une politique budgétaire restrictive. Mais on entend aussi dire qu’il faut profiter des taux d’intérêt à long terme très bas – négatifs pour les pays du cœur de la zone euro – pour financer par l’endettement public des investissements publics massifs dans tous les domaines : transition énergétique, nouvelles technologies, recherche et éducation... Quels sont réellement les mécanismes à l’œuvre ?

Des déficits publics massifs monétisés par les banques centrales

Il faut commencer par rappeler que si la Banque Centrale monétise irréversiblement une dette publique, celle-ci est de facto annulée et donc n’a jamais à être remboursée. Depuis le début de la crise de la Covid, les États ont mis en place des déficits publics massifs (14 % du PIB pour l’ensemble des pays de l’OCDE), qui sont monétisés par les banques centrales, c’est-à-dire que les banques centrales achètent les obligations du secteur public émises et payent en créant de la monnaie. Très probablement, les banques centrales vont conserver ces obligations sur leurs bilans, et vont les renouveler à l’échéance. Si elles ne le faisaient pas, elles courraient le risque d’une forte hausse des taux d’intérêt à long terme. Tout se passe alors comme si les déficits publics avaient directement été financés par la création monétaire, sans émissions d’obligations. Il n’y a donc pas en réalité de hausse de l’endettement public, puisque seule compte la dette publique qui n’est pas détenue par la banque centrale, et le problème, nous y reviendrons, peut être l’importance de la création monétaire. Le bilan de la BCE, par exemple, était de 4 700 milliards d’euros au début de 2020, il sera de 6 800 milliards d’euros à la fin de 2020. La dette publique émise ayant été remplacée irréversiblement par de la monnaie, elle n’a donc pas à être remboursée.

Ces interventions des banques centrales conduisent aussi à des taux d’intérêt à long terme très bas, autour de 0 % pour l’ensemble de l’OCDE pour les taux à 10 ans. Il est alors vrai que les États peuvent financer par la dette de nouveaux investissements publics, qui sont ceux dont la rentabilité n’apparaît qu’à long terme – infrastructures, éducation – et qui ne sont pas finançables dans un environnement de taux d’intérêt élevés.

L’impression d’une facilité incroyable

On voit donc que la dette publique émise aujourd’hui n’aura pas à être remboursée et qu’il est légitime d’accroître l’investissement public, en finançant des investissements à long terme par la dette. Ceci peut donner l’impression d’une facilité incroyable, d’une capacité illimitée à accroître l’endettement public. Mais il y a deux limites à cette facilité et à cette capacité.

D’abord, quand la BCE arrêtera de monétiser les dettes publiques (en 2022 ?) tout changera : les nouvelles dettes deviendront de vraies dettes qu’il faudra placer auprès d’investisseurs privés, les contraintes de solvabilité budgétaire réapparaîtront. Il faut donc réaliser vite, maintenant et pas plus tard, tous les investissements publics qui sont nécessaires.

Ensuite, le coût de cette politique est l’expansion monétaire très rapide, et il faut toujours rappeler que cette expansion a un coût : elle conduit à la taxation des épargnants-futurs retraités avec le niveau anormalement bas des taux d’intérêt à long terme ; elle conduit à des bulles sur les prix des actifs avec le réinvestissement de la monnaie dans des classes d’actifs plus risqués.

Ce n’est pas parce que la dette publique monétisée n’a pas à être remboursée qu’elle ne conduit pas à des évolutions pénalisantes pour l’économie.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº849