Square

Point de vue

Ces nouvelles technologies qui bousculent les banques

Créé le

22.02.2017

-

Mis à jour le

01.03.2017

Les nouveaux entrants se multiplient sur le secteur bancaire et financier, aidés en cela par la création de statuts ad hoc, plus souples que le statut de banque ou de Bourse. Point d’étape sur les technologies qui changent le business model des banquiers.

Ce qui caractérise l’époque actuelle dans le domaine bancaire et financier, c’est l’ouverture à la concurrence des activités réglementées. Depuis la publication du Livre Blanc sur le marché unique en 1995, l’objectif affiché de la Commission européenne est de faciliter l’arrivée de nouveaux entrants dans les activités bancaires et financières. Elle s’y emploie méthodiquement, en assouplissant les règles d’exercice des activités par la création de statuts ad hoc moins contraignants que les statuts traditionnels comme ceux de banque, de bourse ou autres. Mais si les activités bancaires et financières sont aujourd’hui sous pression, ce n’est pas tant par cette ouverture à la concurrence que par des outils technologiques permettant à ces nouveaux entrants de concurrencer les établissements traditionnels. Ce qui est en train de se passer sous nos yeux dans ce domaine n’est pas nouveau dans d’autres secteurs d’activité. Prenons des exemples hors de la finance :

  • l’arrivée des fours à pain électriques a permis la production et la vente du pain dans des grandes surfaces en dehors des boulangeries pour un produit qui, somme toute, est très proche de celui fabriqué par un boulanger traditionnel, sauf du point de vue de la qualité, et encore ! Aujourd’hui, on achète son pain indifféremment dans une boulangerie, une grande surface ou un magasin de proximité ne disposant pas du label « boulanger », alors même que tous utilisent la même technologie pour la cuisson du pain ;
  • autre exemple : quelle différence, pour un client, de se faire transporter dans un véhicule avec une plaque de taxi et dans le même véhicule sans cette plaque ? Aucune, bien sûr, l’important étant d’arriver à destination. Et ici, ce qui a révolutionné cette activité, c’est justement la relation client, grâce au recours aux technologies modernes.

Éclatement des acteurs traditionnels

Au fond, ce qui tend à rapprocher ces exemples, que l’on pourrait d’ailleurs multiplier, c’est qu’ils révèlent une économie fortement désintermédiée ou, plus exactement, une économie où les acteurs traditionnels sont désintermédiés par d’autres acteurs. Il ne s’agit pas à proprement parler de l’économie du partage ou de celle de pair à pair, bien que celles-ci aient recours aux mêmes technologies, mais d’une évolution beaucoup plus structurelle qui voit l’éclatement des acteurs traditionnels ou profit d’acteurs nouveaux grâce à l’utilisation de technologies nouvelles. Parti de la seule distribution des livres, Amazon est aujourd’hui une entreprise où l’on peut presque tout acheter en ligne. Et demain, sans doute, des produits financiers.

Quelles sont donc ces technologies qui – dans le monde bancaire et financier, mais au-delà aussi de celui-ci – conduisent à ces situations de rupture ? On peut en identifier plusieurs. Pour ma part, j’en ai retenu sept. Des plus simples aux plus complexes. Seules ou combinées à une ou plusieurs autres, ces technologies constituent aujourd’hui les menaces les plus sérieuses pour les acteurs traditionnels. Non pas que ceux-ci ne puissent pas les utiliser, car parfois leur antériorité dans l’exercice de cette profession leur sera plus favorable ; mais du fait que certaines d’entre elles sont tellement innovantes qu’elles ne peuvent pas s’intégrer et remplacer les anciens systèmes informatiques de ces acteurs traditionnels ; voire même que la combinaison de plusieurs de ces techniques est tout simplement aujourd’hui compliquée chez les banques ou assureurs, du fait des ruptures technologiques qu’elles induisent. Ces technologies peuvent être utilisées soit comme des outils permettant une approche tout à fait nouvelle de la relation client, soit pour créer de nouveaux produits, soit pour modifier le fonctionnement interne des acteurs traditionnels.

Ces sept technologies sont :

  • le digital qui bouleverse la relation client en permettant à celui-ci de disposer d’une offre de services plus large ;
  • les API [1] qui, installées sur les smartphones, peuvent dans un terme assez court remplacer les agences physiques ;
  • les procédés de reconnaissance morphologiques, c’est-à-dire tous ces nouveaux algorithmes qui permettent avec un degré de fiabilité proche de 100 % de s’assurer que la personne « au bout de la ligne » est bien celle qui déclare l’être ;
  • la technologie de la blockchain, qui assure une authenticité des données et des transactions sans passer par un tiers de confiance ;
  • l’Intelligence artificielle, qui permet de remplacer l’homme dans les décisions les plus simples, et demain les plus complexes ;
  • l’utilisation du Big Data qui, par l’analyse des données personnelles, permet de proposer aux clients ou prospects le produit adapté à leurs besoins ou attentes ;
  • la cryptologie, qui garantit une fiabilité de l’information.
Aucune de ces technologies ne nécessite aujourd’hui l’obtention d’un statut ou d’une licence pour être utilisées. Pour certaines d’entre elles, dans certains cas, il conviendra de s’assurer du respect de la vie privée et de leur comptabilité avec l’utilisation des données personnelles. Comment ces technologies bouleversent-elles les activités financières ? Prenons l’exemple de la relation client. Il y a une quinzaine d’années, tout service bancaire et financier passait par une agence : ouverture de compte, dépôt-retrait, obtention d’un crédit, achat d’une épargne. Depuis une quinzaine années, la « banque en ligne » permet de se passer d’agence, tout au moins pour certains actes bancaires de base. Avec les techniques de reconnaissance morphologiques, il sera bientôt inutile, pour s’identifier et ouvrir un compte, de passer en agence, voire même de télécharger toute une série de documents aujourd’hui nécessaires au respect de la réglementation KYC.

Une fois ce compte ouvert, il sera possible de demander un crédit en ligne via une application sur son smartphone, non plus comme aujourd’hui pour des achats de consommation aux montants modestes, mais pour des dépenses plus substantielles comme un crédit de trésorerie pour une entreprise ou un crédit immobilier pour un particulier. L’analyse du dossier ne passera plus par un Comité de crédit plus ou moins centralisé, mais par l’analyse des données personnelles, via le Big Data. Et si, plutôt que demander un crédit, le client veut souscrire une assurance vie ou acheter un produit financier, il pourra exécuter cette opération via un « smart contract » qui, une fois exécuté, permettra une traçabilité (et donc une portabilité) de la transaction, même en cas de changement de banque. Et s’il souhaite réaliser ces opérations chez Alibaba ou Amazon, il y a fort à parier que ceux-ci lui proposeront de le faire via une crypto-monnaie.

Fiction ? Non, c’est déjà la réalité dans certains pays. Car si, presque partout, dans le monde l’activité de réception de fonds du public est soumise à un agrément bancaire, tous les autres services ne le sont pas, facilitant ainsi l’apparition de « néo-banques » [2] ; avec des stratégies variées [3] , ces établissements proposent tous les services bancaires et financiers, à l’exception de la tenue de compte, trop coûteuse, pas assez rentable et très réglementée. Le danger pour les acteurs traditionnels ne vient pas des concurrents installés ici ou là, pas plus que des acteurs ne disposant que de peu de capitaux, mais des géants de la nouvelle économie, imposant la recherche d’un nouveau business model [4] . Si la plupart des GAFA s’intéressent aux paiements aujourd’hui, c’est pour mieux distribuer demain des produits d’épargne et d’assurance.

 

1 Application Programming Interface.
2 Que l’on songe à Atom Bank et Moven en Grande-Bretagne, WeBank, MyBank lancée par Alibaba en Chine, N26 et Fidor en Europe.
3 Huy Nguyen Trieu, « Three Business Models for Fintech Banks » :   http://www.disruptivefinance.co.uk/2016/01/06/3-business-models-for-fintech-banks/.
4 Ch. Skinner, « Four Banking Business Models for the Digital Age » :  http://thefinanser.com/2016/10/four-banking-business-models-digital-age.html/.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº806
Notes :
1 Application Programming Interface.
2 Que l’on songe à Atom Bank et Moven en Grande-Bretagne, WeBank, MyBank lancée par Alibaba en Chine, N26 et Fidor en Europe.
3 Huy Nguyen Trieu, « Three Business Models for Fintech Banks » :   http://www.disruptivefinance.co.uk/2016/01/06/3-business-models-for-fintech-banks/.
4 Ch. Skinner, « Four Banking Business Models for the Digital Age » :  http://thefinanser.com/2016/10/four-banking-business-models-digital-age.html/.