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Politique monétaire

Ce qui attend le prochain président de la BCE

Créé le

03.12.2018

-

Mis à jour le

04.01.2019

Le successeur de Mario Draghi à la tête de la Banque Centrale Européenne, en octobre 2019, devra déplacer des montagnes. Mais les candidats ne manquent pas.

Le 31 octobre 2019, le président de la Banque Centrale Européenne (BCE) Mario Draghi passera le relais. Celle ou celui qui lui succédera devra avant tout conduire la fin du Quantitative Easing (QE). « Le sevrage ne sera pas simple, prévient Bernard Pouy, président du Cercle de la régulation et de la supervision financière (CRSF). Les rachats de 60 milliards d'euros par mois ont été ramenés à 30 en janvier 2018, et devraient être arrêtés début 2019. Les deux risques majeurs induits sont l'importance des dettes souveraines, dont celle de l'Italie, et celle des dettes des entreprises. Les taux directeurs ne repartiront sans doute à la hausse que plusieurs mois après la fin du QE : c'est-à-dire au moment de la passation de pouvoir ! » Bien des difficultés en perspective, que confirme Eric Dor, directeur des Etudes économiques à IESEG School of Management. « Les taux directeurs ne peuvent être relevés qu'à partir de l'automne 2019. Et la diminution des perspectives de croissance, ainsi que l'évolution décevante de l'inflation sous-jacente, rendent possible le fait qu'aucune augmentation ne soit décidée en 2019. Le nouveau président devra arbitrer avec diplomatie entre les pressions des pays qui, comme l'Allemagne, n'ont pas besoin d'une politique aussi accommodante, qui en regrettent les effets négatifs sur les revenus des épargnants ou les bénéfices des banques, et qui insistent depuis longtemps pour augmenter les taux, et les exigences des pays qui, comme l'Italie, ont encore besoin d'une politique monétaire très accommodante. »

Une fragmentation financière persistante

À plus long terme, le principal enjeu pour le président de la BCE sera de gérer la fragmentation financière persistante de la zone euro, alors que les défauts initiaux de construction de l'union monétaire attendent toujours d'être corrigés. « Depuis la crise financière, les pays du centre continuent à être réticents à financer ceux de la périphérie, détaille Eric Dor. Au contraire : l'épargne de la périphérie tend à migrer vers le centre, ce que reflètent les déséquilibres des comptes. » Des déséquilibres que reflètent les comptes du système de paiement TARGET2. Les banques des pays du centre, gorgées de liquidité, ont des réserves excédentaires sur lesquelles elles subissent le taux négatif, sans avoir besoin d'emprunter à l'Eurosystème, tandis que les banques des pays de la périphérie qui, faute de réserves excédentaires, ont sans cesse besoin des prêts de l'Eurosystème. Ces derniers sont donc les seuls bénéficiaires des taux nuls, ou même négatifs sur les « Long term refinancing operations » (TLTRO). « L'hétérogénéité de la croissance et de l'inflation entre les pays de l'union monétaire est telle, qu'il est difficile de définir une politique monétaire qui convienne à tous, résume Éric Dor. Le nouveau président de la BCE parviendra-t-il à convaincre les pays réticents de corriger une partie des failles de l'union monétaire, et donc à réaliser la mise en commun de la garantie des dépôts, l'organisation d'un véritable actif sans risque commun à toute la zone, un semblant de budget de la zone euro, un filet de sécurité commun pour le fonds de résolution ? »

Dans la boîte à outils de la BCE

L’héritage de la présidence de Mario Draghi sera néanmoins un atout, estime Eric Dor, car « Mario Draghi a montré que même dans le cadre très contraignant du mandat de la BCE, et avec les défauts de construction bien connus de l'union monétaire, il était quand même possible de répondre efficacement à plusieurs défis, avec innovation et créativité. Il a pu sauver l'euro avec les Opérations monétaires sur titres (OMT), et a mis sur pied des politiques peu conventionnelles qui vont rester dans la boîte à outils de la BCE. »
Mario Draghi s'était engagé à utiliser tous les moyens pour défendre l'euro. Objectif atteint, selon Bernard Pouy. « La récession a été évitée, l'inflation, nulle début 2016, a retrouvé un niveau acceptable de 2 %, l'euro a résisté face au dollar… » Mais pour atteindre son objectif, Mario Draghi a utilisé des moyens que certains ont qualifiés de « criminels », rappelle le président du CRSF : lancement, le 9 mars 2015, du Quantitative Easing, monétisation de la dette publique, abondance de liquidités pour tous les agents économiques, liquidité des banques rémunérées à des taux négatifs, LTRO à des taux bradés… « Tout a été fait pour inciter les banques à prêter, les entreprises à investir et donc à créer des emplois, induisant une reprise de la consommation accompagnée d'une bonne inflation. Malheureusement, cette politique monétaire innovante n'a pas été accompagnée par les États qui devaient prendre de leur côté des mesures pour relancer la croissance et réduire leurs dettes », estime Bernard Pouy. « Les États n'ont ni relancé l'investissement, ni engagé de réformes structurelles. Une union monétaire sans union budgétaire est impossible à gérer. »

Une conscience forte des problèmes structurels

Un sondage Bloomberg d'août 2018 donnait favori l'ancien gouverneur de la banque centrale finlandaise Erkki Liikanen (35 %) pour remplacer Mario Draghi à la présidence de la BCE, devant celui de la Banque de France, François Villeroy de Galhau (33 %). Les deux étaient talonnés par le gouverneur de la Banque centrale d’Irlande Philip Lane (32 %) et le président de la Banque fédérale d'Allemagne Jens Weidmann (22 %). Seule femme candidate, la directrice générale du Fonds Monétaire International Christine Lagarde (6 %), l'administrateur de l'Insee et membre du directoire de la BCE Benoît Cœuré (20 %), et l'actuel gouverneur de la Banque de Finlande Olli Rehn (21 %) sont aussi sur les rangs.

Pour Eric Dor, Philip Lane serait la personnalité la plus indiquée pour succéder à Mario Draghi en octobre 2019. « C'est un académique, docteur, très compétent, doté aussi d'une grande expérience comme gouverneur de banque centrale. Son travail récent sur la mise au point d'un actif sans risque montre qu'il a une conscience forte des problèmes structurels de la zone euro et la volonté de les corriger. Mais il est possible qu'on lui réserve plutôt le poste de Chief Economist… » Dans ce cas, le Finlandais Erkki Liikanen pourrait être un bon choix, estime l'enseignant-chercheur.

Géraldine Dauvergne

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº827