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Europe

Brexit et risques financiers : où en est-on ?

Créé le

20.05.2019

-

Mis à jour le

12.07.2019

Cet article a été rédigé à partir de la retranscription du colloque organisé par le Haut Comité juridique de la Place financière de Paris (HCJP) et le Centre de recherche Droit Dauphine (CR2D), à la suite des travaux du HCJP sur les conséquences du Brexit*. Il a été ouvert par Sophie Schiller, directrice du CR2D, qui a rappelé le partenariat du CR2D avec le HCJP. À la date du colloque, le 20 mars 2019, le projet d’accord de sortie avait été rejeté plusieurs fois et la date de sortie du Royaume-Uni était prévue pour le 29 mars

Introduction d'Anne Épaulard, professeure, Université Paris-Dauphine, membre du Collège de l’ACPR.

Si le Brexit génère des incertitudes pour les entreprises britanniques, le secteur financier avance avec une relative sérénité. Pour les autres pays européens, l’impact économique anticipé est limité, bien que Londres soit une Place centrale des marchés financiers européens, la majorité des opérations sur instruments financiers s’y concentrant.

Autorités européennes et nationales ont agi pour limiter les risques à court terme, mais se profilent des difficultés à long terme. En l'absence d'accord, l’accès au marché commun par les Britanniques, une fois le Royaume-Uni devenu pays tiers, est une zone grise. Divers régimes permettent aux acteurs de pays tiers d’exercer une activité bancaire, financière et d’assurance dans l’Union européenne (UE). Ce morcellement des textes se couple à une application hétérogène des dispositifs par les États.

I. Table ronde : Brexit et assurance

Pierre-Grégoire Marly, professeur, Université du Mans, Bernard Mettetal, avocat, François Rosier, FFA, et Barbara Souverain-Dez, directrice juridique adjointe de l’ACPR, ont participé à cette table ronde, modérée par Dominique Borde, avocat.

L’UE n’a pas pris de disposition spécifique aux assurances, laissant des incertitudes peser sur l’exécution de contrats couvrant des risques en France, du fait de la perte du passeport européen des assureurs britanniques. Pour les limiter et dans le cadre de la coopération européenne des régulateurs chapeautée par l’EIOPA, l’ACPR a incité les assureurs britanniques à transférer ces contrats vers des assureurs implantés dans l’UE, des succursales de pays tiers ou des filiales créées à cet effet. Les assureurs ont privilégié le transfert de contrats au sein d’entités existantes de leur groupe ou la création de filiales, pour bénéficier du régime de libre prestation de service.

Début 2019, sur les 69 assureurs britanniques ayant des engagements en France, 57 ont finalisé ou entamé ces transferts. Les autres n’ont pas tous vocation à le faire. Ils peuvent renoncer à leur activité européenne future. Dès lors, ils se consacrent à la liquidation des contrats couvrant des risques dans l’UE, que l’Ordonnance de février 2019 [1] a opportunément encadrée.

Eviter la caducité des contrats

Sans cette intervention législative, des risques pesaient sur l’exécution de ces contrats, bien qu’ils aient été valablement souscrits avant le Brexit. La caducité, c’est-à-dire l’anéantissement pour l’avenir, était un premier risque. Le droit des assurances érige en condition de validité l’autorisation d’exercer d'un assureur. Sa disparition aurait pu justifier la caducité des contrats souscrits par lui. De plus, l’exercice en France après avoir perdu son passeport européen, exposerait à une sanction pénale pour exercice illégal de l’activité d’assurance. Pour limiter ces risques, le législateur a, par l’Ordonnance, introduit un dispositif dont l’application impose l’exécution des contrats en cours jusqu’à leur terme. Mais sont prohibées leur reconduction, même tacite, et les modifications de garantie en contrepartie d’une prime si elles n’ont pas été convenues avant le Brexit. Assureurs et assurés sont tenus des obligations souscrites, leurs engagements ne pouvant augmenter.

La gestion extinctive peut durer pour les contrats portant sur des risques longs (garantie décennale, responsabilité médicale). En conséquence, le législateur a organisé le contrôle de l’ACPR sur leur exécution après le Brexit. Si aucune compétence prudentielle ne lui a été attribuée, des accords de coopération entre les régulateurs nationaux, l’EIOPA et la PRA sont en cours de discussion. Beaucoup de contrats ayant un terme court, voire annuel, ce risque prudentiel est limité.

Limiter les externalisations abusives

Une fois les portefeuilles transférés, des mécanismes d’externalisation seront mobilisés. Une partie de l’activité, continuant à être exercée depuis Londres, risque de se multiplier des entités « boîte à lettres ». Agréées, elles ne seraient qu’un réceptacle de l’autorisation d’exercer dans l’UE. L’activité réelle serait exercée depuis un pays tiers, le Royaume-Uni, donc hors du champ de supervision européen.

L’EIOPA a émis avis et recommandations, sans effet contraignant, afin de juguler la création de ces « boîtes à lettres » ; les États sont libres de les appliquer ou non. D’autres dispositions européennes peuvent limiter ces externalisations abusives. Le paquet Solvabilité 2 [2] impose, par exemple, que les fonctions clés restent sous contrôle de l’entreprise délégante. Ces dispositions étant mises en œuvre au niveau national, leur application est hétérogène. Les limites posées à la transmission de données personnelles entraveront aussi l’externalisation abusive. L’activité des assureurs repose sur ces données ; or leur transmission vers un pays tiers dépend de la reconnaissance par la Commission d’une équivalence de la protection à celle offerte dans l’UE en matière de données personnelles. Aucune décision n’a pas encore été prise à cet égard.

Préserver une concurrence loyale

Solvabilité 2 [3] impose aussi de constater l’équivalence du régime prudentiel des réassureurs d’un pays tiers, afin qu’ils exercent auprès d’assureurs européens. Cette décision de la Commission devrait être unilatérale, mais dans le cadre des relations entre le Royaume-Uni et l’UE, elle sera affectée d’une condition de réciprocité. Il est primordial que cette décision impose aux acteurs britanniques des exigences prudentielles de long terme similaires à celles pesant sur les Européens, afin de préserver une concurrence loyale.

Le risque d’une supervision prudentielle défaillante est concret. Certes la Place de Londres fait l’objet d’un contrôle strict, mais les faillites d’assureurs situés à Gibraltar ont mis en lumière l’absence de contrôle prudentiel sur ce territoire. Cette défaillance souligne les failles de la libre prestation de service. Autorisé à exercer par un régulateur européen, l’acteur peut exercer dans l’ensemble de l’UE, sans contrôle du pays d’accueil. L’instauration de mécanismes assurant l’effectivité des règles européennes et l’amélioration de l’information du régulateur des pays d’accueil sont nécessaires.

II. Table ronde : Brexit, banques et services d’investissements

Frédéric de Brouwer, responsable juridique, Société Générale, Stéphanie Cabossioras, magistrate à la Cour des comptes et conseillère juridique de l’AMF, Frédérick Lacroix, avocat, Olivier Mittelette, directeur du département Banque d'investissement et de marché, FBF, Johanna Perkins, CEO du Financial Market Law Committee de Londres ont participé à cette table ronde, modérée par Michel Prada, inspecteur général des finances honoraire, ancien président de l’AMF.

L’incertitude liée au Brexit découle de l’exclusion du Royaume-Uni des dispositifs juridiques européens. Ainsi, les décisions judiciaires anglaises ne seront plus automatiquement reconnues par les juges européens. L’absence de réglementation européenne encadrant la perte du passeport européen quand de nombreux acteurs ont des engagements dans l’UE se poursuivant après le Brexit, génère des incertitudes de court terme, puisque les régimes de retrait d’agrément ne sont pas applicables. Il a fallu s’assurer que ces contrats s’exécutent jusqu’à leur terme.

La validité des contrats

La validité d’un contrat s’appréciant à la date de sa formation, le Brexit n’emporte pas la nullité d’engagements valablement pris avant son entrée en vigueur. Mais l’exercice d’activités bancaire et financière sans autorisation est passible de sanctions pénales auxquelles s’expose un acteur britannique opérant après la perte du passeport européen. Pour autant, la contrariété au monopole bancaire et financier n’entache pas la validité des contrats.

La diversité des situations contractuelles impose de procéder à des distinctions. Un contrat à exécution instantanée conclu par un opérateur britannique, puis exécuté après le Brexit, place l’opérateur dans l’illégalité. Plusieurs cas se dessinent pour les contrats à exécution successive. Il y aurait rupture de continuité si une nouvelle opération ou un nouveau service d’investissement, non prévus au contrat initial, était fourni après le Brexit, car il s’agirait de modifications substantielles du contrat. Exceptées ces hypothèses minoritaires, les contrats seront exécutés sans heurts.

Pour les contrats de financement, ni la remise de fonds postérieure au Brexit, ni le paiement d’une garantie accordée avant le Brexit ne remettent en cause l’exécution du contrat conclu avant. Les conditions affectant un contrat devront avoir été remplies avant le Brexit, de sorte que l’engagement des parties soit irrévocable. Par contre, l’augmentation du montant prêté, l’extension de l’échéance, l’ajout d’un emprunteur sont des modifications substantielles.

Les évènements affectant les opérations sur dérivés pourront survenir après le Brexit, s’ils ont été prévus avant. Ainsi l’exercice d’une clause de paiement ou d’une option relève de l’exécution. D’autres évènements prévus par la réglementation, comme le dénouement des opérations ou la compression de portefeuille, n’accroissent pas les risques des parties et leur survenance après le Brexit est possible. En revanche, le roulement de positions, l’augmentation du nominal ou le transfert par novation forment de nouvelles opérations.

Limiter les effets du Brexit

De nouvelles pratiques contractuelles émergent : le recours au droit anglais recule et le choix des tribunaux européens est plus courant. Des clauses de résiliation et de transferts entre entités d’un même groupe se multiplient.

Les contraintes réglementaires ont obligé les acteurs, souhaitant continuer leurs activités dans l’UE, à transférer certaines de leurs activités, notamment par le biais de novations. Mais les dispositions prises par certains pays membres permettront aux établissements de continuer, temporairement, à fournir des services d’investissement à des clients dans l’UE depuis Londres.

Les autorités nationales et européennes ont agi afin de limiter les effets du Brexit. L’Ordonnance facilite le transfert des contrats-cadres de dérivés pour les établissements britanniques se relocalisant en France : après avoir transféré des contrats vers une entité française, la conclusion de nouvelles opérations par un client français avec cette entité vaut acceptation du contrat-cadre. Les contrats transférés dans l’UE bénéficient d’exemptions accordées par le règlement EMIR grâce à des standards techniques de l’ESMA. La Commission a par ailleurs pris une décision d’équivalence pour un an des chambres de compensation britanniques et a proposé une réforme d’EMIR qui lui permettrait d’exiger de relocaliser les chambres systémiques dans l’UE.

Conclusion de Gérard Rameix, conseiller Maître à la Cour des comptes, ancien président de l’AMF, président du HCJP

La préparation des acteurs et des autorités publiques semble écarter le risque d’une rupture brutale. Les difficultés se situent à plus long terme. L’UE doit maintenir la crédibilité de sa régulation. Les Britanniques contribuaient substantiellement à l’élaboration de la réglementation européenne financière ; la perte de cette contribution sera difficile à compenser.

Les difficultés réglementaires entravant les activités financières britanniques à destination de l’Europe pourraient enrayer les capacités de financement des entreprises européennes. Néanmoins, le Brexit ne doit pas justifier une dégradation de l’application des règles européennes au niveau des États qui se livreraient à du dumping réglementaire. Il est nécessaire que les régimes pays tiers et de délégations soient clarifiés à cet effet.

 

1 Ordonnance n° 2019-75 du 6 fév. 2019 relative aux mesures de préparation au retrait du Royaume-Uni de l'UE en matière de services financiers. L’ordonnance n’entrera en vigueur qu’en cas de sortie sans accord.
2 Directive 2009/138/CE du PE et du CE du 25 nov. 2009 sur l'accès aux activités de l'assurance et de la réassurance et leur exercice, complétée par le Règlement délégué du 10 oct. 2014 (art. 274).
3 Dir. Préc. Cit., art. 172.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nºhof2019
Notes :
1 Ordonnance n° 2019-75 du 6 fév. 2019 relative aux mesures de préparation au retrait du Royaume-Uni de l'UE en matière de services financiers. L’ordonnance n’entrera en vigueur qu’en cas de sortie sans accord.
2 Directive 2009/138/CE du PE et du CE du 25 nov. 2009 sur l'accès aux activités de l'assurance et de la réassurance et leur exercice, complétée par le Règlement délégué du 10 oct. 2014 (art. 274).
3 Dir. Préc. Cit., art. 172.