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Fin du passporting

Brexit : les enjeux du régime d’équivalence

Créé le

12.03.2020

Avec le Brexit, les établissements bancaires et financiers subissent la fin du passporting. Pour continuer de vendre à une clientèle basée dans l’Union européenne (UE), les établissements installés au Royaume-Uni (RU) peuvent envisager différentes solutions. Celle qui consiste à compter sur un régime d’équivalence entre l’UE et le RU n’est pas la plus sûre à ce jour.

Après de longs mois de discussions et négociations, le Royaume-Uni (RU) a officiellement quitté l'UE le 31 janvier 2020. Cette date marque également l’ouverture d’une période de transition qui durera jusqu'au 31 décembre 2020 et durant laquelle toutes les réglementations de l'UE continueront à s'appliquer outre-Manche, le temps que les termes de la future relation économique soient négociés. Le RU n’est plus membre de l'UE, mais il doit en appliquer les règles. Il peut également négocier, signer et ratifier des accords internationaux, qui ne pourront entrer en vigueur qu’à partir de 2021.

Concrètement, d’ici à fin 2020, rien ne changera pour les entreprises ou pour les particuliers, mais cette période de transition donne à chacun le temps de se préparer aux nouveaux accords qui encadreront la relation post-2020.

Du point de vue des services financiers, cette période de transition n’est pas neutre. En effet, la disparition annoncée du passeport européen ou « passporting » et la mise en place (ou non) d’un régime d’équivalence constituent un enjeu majeur pour l’avenir du secteur.

Le passporting, un outil de facilitation des flux financiers

Le passporting permet à tout établissement financier établi dans l’UE d’exercer ses activités dans l’ensemble de ses pays membres sans autorisation supplémentaire. Les établissements basés en dehors de l’UE ne bénéficiant plus du passporting, ils doivent obtenir une autorisation auprès de chaque État au sein duquel ils souhaitent exercer une activité.

Le Brexit entraîne de facto la fin du passporting pour les nombreux établissements financiers implantés au RU et qui opèrent sur le territoire de l’UE. Ceux-ci se retrouvent donc dans l’obligation de faire évoluer leur modèle opérationnel en déplaçant leur siège européen ou en établissant une filiale au sein de l’UE. L’impact de la perte de ce droit est donc significatif, et un certain nombre d’acteurs a d’ores et déjà anticipé celui-ci en transférant tout ou partie de leurs activités dans l’UE. C’est le cas notamment de poids lourds du secteur bancaire comme Bank of America, qui a transféré une partie de ses effectifs à Paris, mais aussi de FinTechs comme Bankable qui, pour continuer à profiter du fameux sésame, a récemment déménagé ses bureaux à Bruxelles.

Les transferts d’activité ne sont toutefois pas la seule solution face à la perte du passporting.

Vers un régime d’équivalence ?

En effet, la mise en place d’un régime d’équivalence permettrait de répondre à cette contrainte. Ce régime, négocié entre deux États (ou zones économiques), matérialise une reconnaissance mutuelle de leur cadre réglementaire et permet le maintien d’un accès à leurs marchés respectifs. Dans le cadre du Brexit, seul un accord mutuel entre UE et RU sur un régime d’équivalence permettrait d’éviter aux deux marchés une interruption de leurs activités commerciales à la fin de la période de transition. En effet, les entreprises actuellement basées au RU pourraient, par le biais de cet accord, conserver leur accès au marché européen sans avoir à relocaliser leurs activités au sein d’un autre pays de l’UE.

Pour les services financiers, l’enjeu se mesure en milliards d’euros. À titre illustratif, Londres traite aujourd’hui les trois quarts des produits dérivés européens via ses chambres de compensation, soit plus de 927 milliards d’euros par jour. Cette activité génère plus de 83 000 emplois pour la City [1] . Or, si le règlement EMIR [2] n’est pas respecté, l’UE pourrait décider de ne plus reconnaître les chambres de compensation londoniennes. Cette activité de compensation est ainsi l’un des sujets au cœur des enjeux posés par le Brexit pour les services financiers, et elle bénéficie à ce titre d’un régime d’équivalence temporaire pour toute la durée de la période de transition. À la fin de cette période, la compensation devra, comme toute autre activité, faire l'objet d'une confirmation d'équivalence, sans quoi elle ne pourrait se poursuivre dans les mêmes conditions.

Il faut d’ailleurs noter que le régime d’équivalence ne couvre pas l’ensemble des activités financières. Les activités de crédit, d’assurance (hors entreprises) et la gestion de fonds UCITS pour les particuliers n'ont pas de régime d'équivalence prévu [3] . Pour exercer ce type d’activité sur le marché européen, les acteurs basés au RU devront donc établir une présence dans un pays de l’UE. À l’inverse, les services d’investissement qui couvrent les activités de trading pour compte de clients, émission de titres et opérations de fusion/acquisition pourraient bénéficier de ce régime d’équivalence pour leurs clients professionnels.

La convergence réglementaire et l’équivalence, deux indissociables

Un accord sur la convergence réglementaire est donc indispensable pour la mise en place d’un régime d’équivalence entre l’UE et le RU. L’UE souhaite que cette convergence s’inscrive dans la durée et parle de « level playing field that will stand the test of time » [4] . En d’autres termes, elle souhaite que le RU s’aligne non seulement sur les réglementations existantes mais également sur toutes celles à venir (on parle alors d'« alignement dynamique »).

Le gouvernement britannique ne s’est pas montré hostile au principe de convergence réglementaire : le concept d’un « level playing field » avait été signé par Boris Johnson dans la déclaration politique qui accompagnait l’accord de sortie signé en 2019. Il est cependant sensiblement opposé à un alignement dynamique. En effet, sur le plan politique, ce serait une défaite cuisante pour le Premier ministre britannique qui a toujours vanté la souveraineté réglementaire comme argument en faveur du Brexit.

De fait, des dirigeants de la City demandent que les régulateurs britanniques aient le droit de diverger sur certaines réglementations. Adrian Montague, président d’Aviva, a ainsi encouragé lors d’une consultation à la chambre des Lords à « optimiser les règles du jeu au lieu de les déchirer [5] . Les réglementations PRIIPs et MIFID [6] sont notamment évoquées, la City leur reprochant d’être compliquées, difficiles à mettre en place avec le client et inefficaces.

L’exemple de ces réglementations matérialise de façon concrète les raisons de la réticence de l’UE à toute divergence. En effet, une simplification des réglementations peut être à l’origine d’un dumping réglementaire visant à attirer les établissements financiers au RU au détriment des places financières européennes. Ce scénario a d’ailleurs été rebaptisé par Philip Hammond « Singapore on Thames », faisant le parallèle avec le positionnement de Singapour en Asie qui bénéficie d’une attractivité importante en raison de sa réglementation moins contraignante que celle des pays voisins. Si le RU opte pour une divergence suivant ce scénario, l’UE se refuserait très probablement à lui accorder un régime d’équivalence, lui fermant ainsi les portes du marché européen.

Il faut toutefois noter qu’historiquement, le RU a été corédacteur d’un grand nombre des réglementations bancaires européennes, et qu’il applique dans certains cas des règles encore plus restrictives que ses voisins européens. Il imposait par exemple en 2019 un ratio Core Tier 1 de 15,4 %, bien au-dessus de la moyenne européenne. De même, certaines réglementations telles que MIFID II ont été largement inspirées par le RU (et les États-Unis) avec une vision perçue comme extrême et inappropriée hors de ces marchés. Mettre en place MIFID II n’a d’ailleurs pas été une décision anodine puisqu’elle a eu pour conséquence la disparition progressive des départements de recherche actions en France ou en Allemagne [7] .

L’incertitude demeure sur le régime d’équivalence

L’incertitude liée à la convergence réglementaire entretient donc le flou autour de la mise en œuvre potentielle d’un régime d’équivalence entre UE et RU. L’UE a par ailleurs affirmé par le biais de Michel Barnier son droit d’accorder ce régime de manière unilatérale et indiqué que les services financiers ne rentraient pas dans le cadre des négociations actuelles sur la future relation [8] . La décision sur l’octroi du régime d'équivalence ne sera donc annoncée qu’à la fin des négociations.

Il existe au moins un cas où l’UE a retiré ce régime d'équivalence. En juin 2019, à la suite du blocage de la part de la Suisse dans la négociation d’un accord cadre gouvernant ses 120 accords bilatéraux avec l’UE, ce pays a ainsi perdu son régime d’équivalence. Aujourd’hui, les actions listées sur le marché suisse ne sont donc pas échangées sur le marché européen et inversement, les investisseurs européens devant acheter des instruments financiers suisses sur les marchés non européens.

Toutefois, quand bien même ce sujet de l’équivalence ne ferait pas partie de négociations « officielles » sur la relation future entre l’UE et le Royaume-Uni, il reste difficile de croire qu’il ne sera pas abordé. Le RU et l’UE ont tout intérêt à maintenir une forme d’équivalence pour préserver la circulation des capitaux entre ces partenaires économiques historiques.

Achevé de rédiger le 11 mars 2020

 

1 Source : BBC, « What on Earth is Euro Clearing – And Why Should You care? », 13 juin 2017.
2 Texte européen qui réglemente les transactions de dérivés.
3 Commission des finances du Sénat (d'après : Parlement européen, « Third-country Equivalence in EU Banking Legislation », 7 mars 2017).
4 Mandat de négociation de l’UE publié le 25 février 2020.
5 Adrian Montague, président d’Aviva, le 26 février 2020 lors d’une consultation à la Chambre des Lords.
6 Réglementations visant à renforcer la protection de la clientèle.
7 Les Échos, « BNP Paribas délègue sa recherche actions en Asie à Morningstar », 5 juillet 2019.
8 Michel Barnier, discours aux Parlementaires européens, 11 février 2020.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº843
Notes :
1 Source : BBC, « What on Earth is Euro Clearing – And Why Should You care? », 13 juin 2017.
2 Texte européen qui réglemente les transactions de dérivés.
3 Commission des finances du Sénat (d'après : Parlement européen, « Third-country Equivalence in EU Banking Legislation », 7 mars 2017).
4 Mandat de négociation de l’UE publié le 25 février 2020.
5 Adrian Montague, président d’Aviva, le 26 février 2020 lors d’une consultation à la Chambre des Lords.
6 Réglementations visant à renforcer la protection de la clientèle.
7 Les Échos, « BNP Paribas délègue sa recherche actions en Asie à Morningstar », 5 juillet 2019.
8 Michel Barnier, discours aux Parlementaires européens, 11 février 2020.