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La BCE comme superviseur : un risque de conflit d’intérêt ?

Créé le

24.01.2013

-

Mis à jour le

28.01.2013

Outre la stabilité des prix, la BCE se voit confier un mandat de stabilité financière des établissements de crédit. Certains économistes doutent de la compatibilité de ces deux missions.

En confiant à la BCE le rôle de superviseur pour les banques de la zone euro, les autorités européennes ont relancé un vieux débat d’économistes, celui du conflit d’intérêt entre politique monétaire et surveillance microprudentielle. Un non-sujet pour la France qui a depuis longtemps adossé son superviseur à la Banque de France (lire les interviews de Jacques de Larosière et Danièle Nouy). Mais l’Allemagne, qui a confié la mission de supervision à une autorité indépendante, la BaFin, s’en est beaucoup émue. En novembre 2012, la Bundesbank écrivait ainsi dans son rapport sur la stabilité financière que « la perspective de confier à la BCE des fonctions de supervision nécessite des mesures spécifiques pour prévenir tout conflit d’intérêt entre la politique monétaire et la surveillance des banques, et pour éviter que ces nouvelles fonctions n’empiètent sur l’indépendance de la banque centrale. »

Des risques inflationnistes

Le cœur du débat se situe en effet sur la tentation, pour une banque centrale, d’abaisser les taux d’intérêt – ou de ne pas les remonter – pour améliorer la santé financière de ses banques, générant ainsi des risques inflationnistes. Par ailleurs, alors que la politique monétaire défend bec et ongles son indépendance, la mission de supervision peut se retrouver liée aux autorités politiques. « Un des problèmes soulevés est que la BaFin n’est pas indépendante du ministère des Finances allemands. Cela signifie que certains membres du Comité de supervision [créé au sein de la BCE] ne seront pas indépendants », pointent Thorsten Beck et Daniel Gros [1] du CEPS. De même, au niveau européen, les Parlementaires, inquiets du poids pris par la BCE, réclament davantage de pouvoirs de contrôle sur ses nouvelles missions de superviseur. Des doutes sur l’indépendance pourraient alors altérer la réputation de la banque centrale dans l’exercice de la politique monétaire.

Un prêteur en dernier ressort mieux informé

Toutefois, fusionner les deux missions au sein de la même institution présente aussi des avantages. L’information circule mieux, la réactivité est plus grande. Une coordination difficile entre le superviseur britannique, la FSA, et la Banque d’Angleterre avait ainsi empêché la prévention de la crise de Northern Rock. Aujourd’hui, les fonctions de supervision des banques britanniques sont en train d’être internalisées à la banque centrale… comme c’était le cas avant 1997. Par ailleurs, en tant que prêteur en dernier ressort, une banque centrale a intérêt à avoir une bonne connaissance de la situation des banques qu’elle refinance. Quant à l’argument de l’indépendance, il peut être tourné en faveur du double mandat, la réputation d’une banque centrale servant favorablement son image de superviseur.

Une fragile muraille de Chine

Si la théorie peine à trancher sur la question, dans la pratique, les observateurs tendent à se rejoindre sur le constat que la BCE était, dans les circonstances actuelles, le seul choix possible. En d’autres termes, la zone euro avait plus à perdre avec une supervision éclatée de ses banques qu’avec un conflit d’intérêt potentiel, dû à une concentration des missions au sein de la BCE. Des aménagements ont toutefois été prévus dans le compromis de décembre : une séparation institutionnelle des deux missions a été instituée, avec un Comité de supervision d’un côté, dont le président ne sera pas issu de la BCE et qui sera composé des représentants des autorités nationales, et le Conseil des gouverneurs de l’autre, décideur en dernier ressort comme le veulent les traités, mais qui n’aura qu’un droit de veto sur les décisions prises. Toutefois, les observateurs pointent du doigt les limites de cette séparation. « Il n’y a pas de muraille de Chine dans la tête du président de la BCE Mario Draghi », note Sylvester Eijffinger et Rob Nijskens [2] de l’Université de Tilburg (Pays-Bas). « Les pays auront deux représentants à la BCE : le gouverneur au Conseil des gouverneurs, et une autre personne en charge de la supervision au Comité de supervision. Mais en pratique, ils travailleront la plupart du temps dans la même institution, voire dans les mêmes locaux ; l’un, le gouverneur, sera le supérieur hiérarchique de l’autre », argumentent, quant à eux, Thorsten Beck et Daniel Gros. Les chercheurs ont d’ailleurs calculé qu’une majorité de pays de la zone euro (11 sur 17) seront dans ce cas (voir Tableau).

Des pouvoirs d’intervention précoce

Pour se prémunir réellement contre un conflit d’intérêt, Sylvester Eijffinger et Rob Nijskens insistent sur la nécessité pour la BCE de ne pas recourir au même outil pour ses deux mandats : « Pour sa mission de supervision, la BCE doit pouvoir disposer d’un nouvel instrument qui lui permettra d’agir sur la solvabilité des établissements. Les pouvoirs d’intervention précoce dont elle va être dotée peuvent jouer ce rôle, à condition que la BCE puisse les utiliser sans interférence politique. » Quant au taux d’intérêt, il doit rester l’outil par excellence de la politique monétaire. Ces pouvoirs d’ intervention précoce [3] seront donnés à Francfort dans le cadre de la mise en place d’un dispositif commun de résolution des crises bancaires. Ce deuxième « pilier » de l’Union bancaire devrait également conduire à la création d’une autorité de résolution, indépendante, qui viendrait prendre le relais de la BCE lorsque l’établissement en difficulté atteindrait son point de non-viabilité. Pour l’instant, chaque État membre garde la main sur cette étape. D’où les appels pressants de l’ensemble des autorités européennes pour un vote rapide de ce second volet, vote qui pourrait intervenir à l’été.

 

1 « Monetary Policy and Banking Supervision: Coordination instead of separation », décembre 2012. 2 « Monetary policy and banking supervision », Vox, 19 décembre 2012. 3 Par exemple, révocation du management et nomination d’un administrateur spécial, convocation d’une Assemblée générale…

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº757
Notes :
1 « Monetary Policy and Banking Supervision: Coordination instead of separation », décembre 2012.
2 « Monetary policy and banking supervision », Vox, 19 décembre 2012.
3 Par exemple, révocation du management et nomination d’un administrateur spécial, convocation d’une Assemblée générale…
RB