Square

Bâle III : force et complexité plus que prévoyance et thérapie

Créé le

16.11.2010

-

Mis à jour le

11.01.2011

Pour Christian Lajoie, les réformes en cours vont certainement exiger beaucoup des banques sans pour autant accroître dans la même proportion la stabilité financière. Surtout, elles démontrent un tropisme vers un modèle bancaire américain, dont l’histoire récente a montré la grande fragilité. L’Europe doit se faire plus entendre pour aboutir à un cadre réglementaire adapté.

La banque d’hier a commis bien des erreurs ; régulateurs, superviseurs et autorités politiques aussi. La banque de demain sera très différente, sans doute financièrement forte, mais pas nécessairement pour le bien de nos économies.

Les réformes en cours ne traitent que marginalement des causes de la crise que nous avons vécue ni, sans doute, de celles à venir. Cette dernière est tout banalement née d’une spéculation immobilière, entretenue par les pouvoirs publics américains et quelques autres, et qu’une désintermédiation, libérée des contraintes de capital, a amplifiée. Certes, les nouvelles règles corrigent de nombreuses déviances, mais les méthodes utilisées conduisent également à brider le rôle premier du banquier qui est de financer le développement de l’économie en transformant en durée et en risque l’argent qui lui est confié. Les banques s’adapteront, mais il est à craindre que nos modèles de financement en souffrent. Il faut s’inquiéter, dans cette même logique, de la disparition annoncée de la fonction d’amortissement que jouaient les banques, du moins en Europe ; les crises du futur seront encore plus violentes et moins maîtrisables.

La stabilité financière ne se réduit pas à la réglementation bancaire

Un examen attentif des causes de la dernière crise financière ne met pas au premier rang la solvabilité supposée insuffisante des banques. En vérité, la très grande majorité de celles qui ont bénéficié de supports publics avaient suffisamment de fonds propres réglementaires, selon les anciennes règles, pour absorber largement les pertes auxquelles elles étaient confrontées. Les principales exceptions à cette observation sont constituées de petits établissements ou se concentrent en Irlande.

En se concentrant sur le ratio de solvabilité des banques (voir l'encadré 1), seule Citi aurait eu un ratio Core Tier 1 négatif en l’absence de support public. Les autres auraient affiché un niveau supérieur au minimum (2 %), mais vraisemblablement insuffisant pour satisfaire les marchés. Cependant, la conversion des dettes subordonnées en capital aurait hissé leur ratio de Core Tier 1 à des niveaux tout à fait acceptables au-dessus de 2 fois le minimum requis, toujours sans apport de fonds publics complémentaires.

Les mesures annoncées en matière de capital rendent ce constat encore plus frappant, il devrait même interpeller tout honnête homme. Bien d’autres éléments entrent en jeu pour assurer la stabilité financière. Ils ne sont malheureusement peu pris en compte dans la course à la re-réglementation d’aujourd’hui :

  • l’économie mondiale et les finances publiques sont en déséquilibre ;
  • les politiques monétaires s’intéressent essentiellement au niveau d’activité ;
  • la supervision est peu efficace ;
  • la dictature du court terme donne le coup de grâce.
Fort heureusement, le dernier G20 de Séoul s’est inquiété de cette situation et semble s’organiser pour traiter ces sujets dans les mois à venir.

Des économies mondiales et des finances publiques en déséquilibre

Facteur de progrès, la globalisation de l’économie et du système financier met cependant au grand jour des déséquilibres géographiques et démographiques fondamentaux. Consommateurs et producteurs ne vivent pas dans le même monde. L’endettement anime les premiers, l’épargne s’accumule chez les seconds, ils ne sont ni dans les mêmes pays ni chez les mêmes générations. Ces déséquilibres que l’on retrouve dans les déficits publics sont censés se dissoudre dans la dynamique du système financier mondial. En fait, ils contribuent à le fragiliser.

Des politiques monétaires soutenant exclusivement l’économie

Premier instrument de la régulation économique, les banquiers centraux doivent arbitrer entre de multiples objectifs : schématiquement, soutien de la croissance contre risques inflationnistes alors que ces derniers deviennent de plus en plus rares du fait des gains de productivité et du déplacement de la production vers les pays à faible coût de main-d’œuvre. Ce biais en faveur du relâchement monétaire laisse peu de place à la prise en compte des conséquences de l’endettement sur la stabilité financière.

Une supervision peu efficace, en tout cas inégale

Beaucoup de superviseurs n’ont guère vu l’arrivée de la crise ou ont peu réagi. Quoi de plus classique pourtant qu’une crise de l’immobilier ou le développement dans les livres de négociation, moins exigeants en termes de capital réglementaire, d’opérations à la liquidité contestable. Ajoutons que seule une partie, certes significative, de la sphère financière est réglementée et qu’enfin l’efficacité de la supervision peut être qualifiée, pudiquement, d’une grande diversité. L’examen des pays ayant dû intervenir pour sauver leurs banques est instructif à cet égard. La rigueur et le contrôle rapproché pratiqués par les autorités françaises sont à saluer en l’espèce.

La primauté du court terme

La priorité donnée au court terme est terrible pour la stabilité financière et pour la volonté d’entreprendre, fort grave également pour nos échelles de valeurs et nos choix de société. Pourtant, comment y échapper avec des normes comptables qui imposent une valorisation de l’immédiat qui, le plus souvent, n’a guère de sens. Sauf marchés extrêmement liquides portant sur des instruments totalement standards, la valeur n’est jamais que relative, attachée à l’usage et le résultat de la rencontre d’un vendeur et d’un acheteur qui peut ne pas se produire. Il faut stopper la généralisation de la notion de fair value. Elle peut être qualifiée ainsi seulement lorsqu’il existe un marché réellement actif.

Il faudrait aussi s’abstraire de l’événementiel qui plait tant au grand public et aux politiques. La rumeur et l’information mal digérée dictent les cours de bourse. La volatilité du marché des actions en témoigne. Comment introduire un peu de raison dans ce qui n’est qu’une lâcheté dans la réflexion? Une meilleure éducation économique est certainement la bonne réponse. Le paradoxe est qu’elle n’est, bien entendu, pas une solution à court terme...

Une autre banque plutôt qu’une finance plus forte

Les mesures en cours d’adoption dont certaines sont même d’ailleurs déjà transposées dans la réglementation européenne, frappent fort. Elles insistent cependant encore trop timidement sur la prévention et cherchent encore leur voie pour définir les dispositifs de remise en ordre.

Force et complexité plus que prévoyance et thérapie

Le Comité de Bâle a renforcé fortement les exigences de capital pour les activités de marché. On ne peut lui donner tort. Cumulées avec d’autres resserrements, les exigences sont augmentées de l’ordre de 10 % à 20 % selon les profils d’une grande banque internationale. Dans le même temps, la « purification » du capital réglementaire – qui, en certains endroits, paraît particulièrement sévère voire contestable – réduit les fonds propres de base, largement renforcés ces derniers temps, de plus de 30 %. L’effet cumulé dans l’expression des ratios de solvabilité est spectaculaire. Ils se trouvent réduits d’un facteur 1,5 à 2 alors que leur niveau actuel se situe à environ 4 fois le minima en vigueur. Ces chiffres sont exprimés en cible, mais sans tenir compte des marges spécifiques pouvant résulter de l’évaluation des risques complémentaires, dont le risque systémique, qu’imposeraient les superviseurs à l’occasion du pilier 2 ou qu’attendraient tout simplement les marchés. L’effort est donc considérable puisqu’il correspond à une multiplication des exigences minimales d’aujourd’hui de l’ordre de 5 à 8. L’imprécision du poids de cet impact très significatif tient au caractère encore inachevé des textes et ajoute à l’inconfort actuel des banques.

Certes les mesures de transition, qui vont jusqu’en 2018, rendent ces nouveaux minima atteignables, mais cela suppose une poursuite non contrariée des niveaux de profitabilité actuels et peu de dynamisme dans le financement de l’économie puisqu’il sera fort périlleux de faire appel à l’actionnaire dans un contexte de retour sur investissement en dégradation.

Ce corset est d’autant plus serré qu’il est complété d’exigences légitimes en matière de liquidité, mais dont l’expression actuelle n’est pas adaptée à la structure des circuits financiers que nous connaissons. Sans changement, ces nouvelles règles pourraient être de nature à bouleverser les modes de financements et surtout à interdire au banquier d’exercer son rôle fondamental de transformation.

Je n’ose évoquer l’introduction du ratio de levier, négation même du concept de ratio de solvabilité proportionnel au risque. Il est pourtant à craindre qu’il ne devienne la règle dominante, donnant ainsi la prime aux banques les plus risquées.

En regard de cette débauche de sévérité, les dispositions visant à améliorer l’efficacité et la coordination des superviseurs d’un côté et à développer des approches tournées vers les pratiques émergentes de nature à mettre en danger la stabilité financière ne me semblent pas avoir la priorité qui convient. Au contraire, la multiplication des initiatives nationales non coordonnées et la timidité des travaux consacrés à la construction d’une vision prospective renforcent ce sentiment. Il faut enfin constater que la définition de procédures curatives en est simplement à ses débuts. Il reste que le sujet est particulièrement difficile à traiter.

Prévalence d’un modèle défaillant et inadapté à la diversité du monde

Toutes ces mesures ont pour assiette les risques pondérés. L’illustration la plus forte de ce principe est l’exigence contracyclique qui frappe de façon égale toutes les banques, vertueuses ou non, que l’excès d’endettement vienne d’elles ou du marché. Ajoutez que les futures règles de liquidité défavorisent fortement les actifs et passifs hors clientèle. Considérez enfin que la baisse substantielle de rentabilité des fonds propres impose en contrepartie la démonstration d’une grande stabilité des revenues.

Des conclusions semblent alors se dessiner : désintermédier l’actif et réintermédier le passif ; accroître les revenus, réduire un diptyque constitué de banques de détail et banques d’investissement pures, c'est-à-dire centrée sur l’origination et la distribution. Une description assez proche de la structure du système bancaire américain dont on connaît les performances : un millier de banques de détail en faillite, de grandes institutions en difficultés et des entités publiques de refinancement hypothécaire qui coûte une fortune au contribuable américain. Il reste un axe vertueux : la réduction des coûts.

Pousser vers ce schéma défaillant et faire prendre à l’Europe le risque d’une transformation radicale des circuits de financement, très largement fondés sur une intermédiation bancaire d’autant plus nécessaire que les fonds de pension y sont rares, semble être une erreur de vision grave, à la fois pour le système financier mais plus encore pour l’économie dans son ensemble. Elle n’a pas besoin de cette perturbation supplémentaire.

L’Europe doit affirmer son indépendance

Nous sommes bien avancés dans l’élaboration d’un cadre réglementaire ayant pour modèle bancaire implicite celui qui a pourtant été à l’origine de la crise. Il reste à l’Europe à démontrer sa perspicacité et son indépendance. Il ne s’agit pas d’échapper à un retour nécessaire de la réglementation, même exigeante. Il s’agit de l’adapter aux réalités économiques et financières d’une communauté de nations qui a développé des pratiques centenaires solides. Parmi ces dernières, l’excellence de la gouvernance et du management, la diversification des activités et la qualité de la supervision me paraissent celles qu’il est nécessaire de mettre en avant. C’est leur insuffisance qui explique les déboires actuels. Chassez la prise de risque financier du secteur bancaire, normalement compétent et étroitement supervisé, vers le marché et donc vers des acteurs mal connus, éventuellement imparfaitement informés, de fait imprévisibles et non contrôlés, me paraît tirer une bien curieuse leçon de notre histoire récente.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº730 bis