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Le point de vue de la société civile

Bail-in : un faux espoir ?

Créé le

04.02.2016

-

Mis à jour le

26.02.2016

Le renflouement interne d’une banque expose le pouvoir politique à la critique. Les États souhaitant éviter la mise en œuvre du bail-in disposent de moyens pour y parvenir grâce aux échappatoires existant dans cette nouvelle procédure.

Le bail-in a été créé pour résoudre les deux problèmes principaux au cœur de la dernière crise financière :

  • d’une part l’aléa moral, c’est-à-dire le fait que les dirigeants bancaires sont incités à prendre des risques excessifs s’ils savent que leur institution financière sera renflouée par les deniers publics en cas de risque de faillite ;
  • d’autre part, le cercle vicieux de la contagion systémique, qui s’enclenche quand les sauvetages de banques finissent par saper la stabilité financière de leur pays d’origine.
Ces problèmes sont exacerbés dans le cas des institutions financières répertoriées comme « systémiques » et réputées trop grandes pour faire faillite ( too big to fail), mais ces principes s’appliquent également à la grande majorité des banques.

Imperfections du bail-in

L’instrument du bail-in souffre de plusieurs défauts. Tout d’abord, c'est un compromis bancal. En principe, les pertes d’une entreprise qui n'est pas en faillite sont absorbées par ses fonds propres. La crise financière ayant démontré que la capitalisation du secteur bancaire était insuffisante, les régulateurs ont tenté d’imposer des exigences en fonds propres plus élevées, avec des coussins additionnels pour les institutions « systémiques ». Pourtant, cette approche s’est bientôt heurtée à la résistance du secteur bancaire qui argumentait vigoureusement que cela entraînerait une hausse inacceptable du coût du capital.

L'introduction du bail-in peut être vue comme un compromis face aux arguments du secteur bancaire visant à éviter des exigences en capital plus élevées mais nécessaires : il permet de mettre à contribution une grande partie des créanciers de la banque, en particulier les détenteurs d’obligations non sécurisées, pour renflouer et stabiliser une institution en cas de crise. Tout cela s’est fait dans l’espoir que ce compromis aurait moins d'impact négatif sur le coût de financement de l’institution qu'un niveau nettement plus élevé de fonds propres – une hypothèse qui est loin d'être vérifiée de façon convaincante.

De surcroît, ce compromis ne garantit ni la transparence, ni la sécurité juridique du processus. La mise en œuvre du bail-in entraîne une restructuration complète des passifs de l’institution financière ; un exercice fort complexe et périlleux, qui doit être détaillé au préalable dans un plan de résolution. Or ce plan de résolution aura non seulement de fortes chances d’être déjà obsolète en pleine crise, mais aussi d’être impraticable pour une mise en œuvre rapide sur un week-end – pour rappel, le plan de résolution d’une grande banque universelle française forme un volume de 1 800 pages ! Les règles qui gouvernent ce processus sont celles de chacun des (28) États membres ; actuellement, il n’existe pas de cadre harmonisé au niveau européen pour déterminer la hiérarchie des créanciers et le traitement de leurs droits au cas de bail-in. La complexité de mise en œuvre augmente encore si l’on considère les groupes bancaires dont les activités s’étendent aux juridictions non européennes.

Le bail-in effraie les responsables politiques

Contrairement au bail-out, c’est-à-dire une procédure de renflouement externe qui affecte les contribuables de façon indirecte et indiscriminée, le bail-in touche directement une catégorie bien identifiée d’investisseurs – institutionnels et privés – qui détiennent les titres de la banque en danger de faillite.

Dans le cas des investisseurs privés, le bail-in peut exposer les autorités responsables à la critique puisqu’elles relancent un cercle vicieux où les particuliers encaisseront encore les pertes des institutions bancaires, mais cette fois-ci en leur qualité d’épargnants. Un exemple récent : en novembre 2015, le gouvernement italien est intervenu pour orchestrer le sauvetage, avec l'accord de la Commission européenne, de quatre banques régionales, pour un coût total de 3,6 milliards d’euros. Grâce à cela, les épargnants « seniors » ont pu être dispensés de toute contribution, mais le bail-in des dettes « subordonnées » a néanmoins affecté un grand nombre de particuliers, y compris des personnes âgées auprès desquelles ces titres avaient été placés comme des investissements sûrs pour leur retraite.

Dans le cas des investisseurs institutionnels, les autorités peuvent à nouveau se trouver confrontées au risque systémique. Comme les titres bancaires sont pour la plupart détenus par des banques et d’autres institutions financières, comme les assureurs, une perte importante sur un tel investissement pourrait à son tour déstabiliser l’institution créancière et déclencher une réaction de faillites en cascade, par contagion.

Des clauses échappatoires tentantes pour les États

Le cadre réglementaire européen permet aux États membres d’échapper à un renflouement interne au titre de la Directive sur le redressement et la résolution des crises bancaires (BRRD) dans plusieurs cas. Une banque qui souffre d’une crise de liquidité, mais qui est considérée comme fondamentalement solvable, et dont la faillite pourrait causer « une perturbation grave de l’économie » d’un État membre ou « mettre en danger la stabilité financière » peut recevoir des fonds publics de sauvetage sans être soumise à la procédure de résolution.

L’opération de sauvetage lancée à ce titre reste néanmoins soumise au contrôle de la Commission européenne, via les règles en matière d'aides d'État aux institutions financières. Ces règles imposent également une mise à contribution des actionnaires et détenteurs d’obligations subordonnées. Cependant, il existe là aussi une exception qui permet aux États membres d’invoquer un « danger pour la stabilité financière » ou le risque de « résultats disproportionnés » pour justifier une recapitalisation préventive financée par les deniers publics sans imposer de bail-in.

La conséquence de cette double exception est de laisser la porte entrouverte aux autorités pour se replier sur le bail-out, dans des cas où le bail-in paraîtrait trop risqué ou bien politiquement inopportun.

États et autorités éviteront le bail-in

Visiblement, le bail-in n’offre pas la garantie que le public ne sera pas mis à contribution à l'avenir lors de faillites bancaires – le précédent italien ou les pertes imposées aux déposants à Chypre en sont la preuve. Et si le bail-in a été initialement conçu pour mettre fin au problème du « too big to fail », il devient de plus en plus douteux que cet objectif sera atteint. Les institutions « systémiques » sont toujours aussi complexes et interconnectées qu’avant la crise et soumettre l’une d’elles à un bail-in entraînerait des conséquences qui restent difficiles à prévoir, même pour les experts.

Il paraît donc fort probable que les autorités au niveau européen ainsi que les responsables politiques des États membres continueront à hésiter à se servir du bail-in, précisément dans les situations critiques pour lesquelles il était destiné. Les clauses échappatoires laissent une large marge discrétionnaire, à notre avis excessive, aux autorités compétentes ainsi qu’aux responsables politiques des États membres pour éviter la mise en œuvre du bail-in.

Atteindre les objectifs du bail-in

Une réduction significative de la complexité et de l'interconnexion entre les banques reste un préalable indispensable à une mise en œuvre opérationnelle du bail-in. Pour cela, il faudrait désensabler le projet européen de réforme structurelle des groupes bancaires « systémiques », qui vise à séparer les activités bancaires essentielles des activités de marché, qu’elles soient pour compte propre ou pour compte de la clientèle. La mise en place de réformes macroprudentielles visant à réduire l'interconnexion entre les institutions financières est, à notre avis, un autre préalable indispensable. Enfin, même si ces réformes étaient mises en place, on peut légitimement se demander si le bail-in constituera une alternative pérenne à une augmentation des capitaux propres réglementaires.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº794
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