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Autorité européenne

« Le bail-in s’accompagne d’un certain nombre de flexibilités »

Créé le

18.02.2016

-

Mis à jour le

02.03.2016

La directive BRRD ne peut pas être assimilée à un vaccin qui immuniserait le contribuable contre tout soutien de l’État au secteur bancaire. Toutefois, elle réduit autant que possible l’implication des fonds publics.

Les États disposent d’outils permettant d’éviter ou d’adoucir un bail-in : la recapitalisation préventive (voir Pour en savoir plus) et la possibilité de réclamer que certains passifs échappent au bail-in en raison des conséquences systémiques que cela entraînerait. Pensez-vous que les États qui ont les moyens d’aider leurs banques vont recourir à ces outils et batailler pour éviter le bail-in ?

L’élaboration de BRRD [1] a commencé mi-2012. L’essentiel de cette directive a commencé à s’appliquer à partir du 1er janvier 2015. Le bail-in est entré en vigueur le 1er janvier 2016 et il s’accompagne d’un certain nombre de flexibilités. Par exemple, il est possible, comme vous le mentionnez, d’exempter certaines dettes du bail-in afin d’éviter le risque de contagion, c’est-à-dire afin de protéger la stabilité financière.

Il y a aussi, bien sûr, des sauvegardes pour assurer que ce sont bien les actionnaires et les créanciers qui assument les coûts de la faillite. Par exemple, les fonds de résolution nationaux et, dans le cas de la zone euro, le Fonds de résolution unique (FRU) ne peuvent venir en aide à l’établissement que si 8 % du passif est absorbé en interne.

De notre point de vue, les flexibilités sont suffisantes. Certes, le 1er janvier 2016 constitue un défi : le bail-in et la règle des 8 % existent, alors que le MREL [2] n’est pas encore mis en place. Pendant cette période de transition, certaines banques sont certes encore fragiles, mais nous devons relever ce défi afin d’éviter, autant que faire se peut, le renflouement des banques par les contribuables.

Les flexibilités de BRRD seront-elles plus facilement mises en œuvre pendant la période de transition ? Et seront-elles utilisées pour que le bail-in ne touche pas les déposants ?

La période de transition que nous traversons, en attendant que le MREL soit élaboré et respecté par toutes les banques, ne justifie pas une activation automatique des flexibilités. Toutefois, il est possible que la fragilité d’un secteur économique national, par exemple, donne plus d’arguments aux autorités d’un pays pour justifier les risques de contagion encourus en cas de bail-in de dettes bancaires telles que les dépôts. Effectivement, en période de transition, il pourrait exister plus de risques de contagion, et donc plus d’arguments permettant d’utiliser les possibilités d’exemption prévues par BRRD.

L’argument de la systémicité du bail-in de certains passifs pourra-t-il être invoqué au sujet de passifs inclus dans les ratios MREL ou TLAC ?

Bien que cela ne soit pas absolument exclu d’un point de vue juridique, en pratique, il sera extrêmement difficile d’exempter du bail-in de la dette inclue dans le MREL. En effet, les autorités sont tenues de prendre en compte, dans la détermination du MREL, les risques qu’un passif soit exempté au moment du défaut.

Quelles difficultés pose le fait que le MREL et le TLAC ne sont pas finalisés et respectés par toutes les banques alors que le bail-in est en vigueur ?

En cas de résolution, pour atteindre le plancher de 8 %, on risque de devoir mordre dans des couches de dette plus élevées dans la hiérarchie des créanciers. On ne peut pas exclure que les fonds de garantie des dépôts soient davantage amenés à intervenir pendant la période de transition qu’après. Et dans le cas de figure où un bail-in irait jusqu’à la sollicitation du fonds de garantie des dépôts, c’est en toute fin de séquence que le FRU serait susceptible d’intervenir.

Le FRU est très loin aujourd’hui de réunir les 55 milliards dont il sera doté en 2024 ; est-ce un problème ?

La situation actuelle n’est pas totalement satisfaisante puisque les caisses du fonds de résolution ne sont en effet pas entièrement pleines. Toutefois, j’observe que cet état de fait n’empêche pas de résoudre de nombreux dossiers, comme celui des quatre petites banques italiennes restructurées le 22 novembre 2015. Cet exemple montre que, s’il le faut, les fonds de résolution, après avoir constaté les difficultés d’un établissement, peuvent trouver des sources de financement complémentaires aux contributions prélevées en amont. Il est possible de collecter immédiatement des contributions dites ex post auprès du secteur bancaire concerné ; on peut même aussi recourir à des prêts, en l’occurrence octroyés par certains établissements bancaires. En dernier lieu, éventuellement, il n’est pas exclu de faire appel au souverain sous réserve que les coûts soient recouvrés auprès de l’industrie.

Cette éventualité d’une intervention du souverain est prise en compte par Moody’s lorsque cette agence note les banques. Est-il juste de penser que les bail-out ne sont pas totalement exclus ?

Nous sommes dans une période transitoire. L’objectif est le retrait des garanties implicites publiques mais il faut un certain temps avant d’y parvenir totalement. À la fin de cette période transitoire nous verrons si les agences ont fait disparaître de leurs notations la possibilité d’intervention du souverain. Quand BRRD était encore en négociation, il a toujours été affirmé que l’effet de cette directive était de réduire autant que possible l’implication des fonds publics. Il n’a jamais été promis que les États ne verseraient plus aucun centime au secteur bancaire. Ce qui compte, c’est que cet objectif soit en ligne de mire.

En France, le projet de réforme de la hiérarchie des créanciers va donner naissance à une nouvelle catégorie d’obligations bancaires mais tous les pays européens ne suivent pas exactement la même voie pour s’adapter au TLAC. Cette hétérogénéité est-elle regrettable ? Et craignez-vous un surcroît de complexité pour résoudre des groupes bancaires internationaux ?

Bien sûr, nous regrettons cette hétérogénéité puisque notre mandat est de favoriser la convergence. La Commission avait annoncé qu’elle regarderait ce dossier et cela sera peut-être pour l’avenir.

Ceci dit, pour ce qui est de l’analyse des groupes internationaux, cette hétérogénéité ne posera pas nécessairement un problème, cela dépendra de la stratégie de résolution identifiée pour chaque groupe :

  • si la stratégie correspond au « single point of entry », le bail-in est fait au niveau du groupe, et même du holding, car on va préserver l’identité du groupe. Dans ce cas de figure, l’hétérogénéité des hiérarchies de créanciers selon les pays n’a pas tellement d’importance ;
  • si le groupe n’a pas de liquidité centralisée, alors la méthode du « multiple points of entry » est choisie. Dans ce cas, l’hétérogénéité des hiérarchies complique la tâche, mais ne la rend pas impossible, l’essentiel étant que les différentes autorités autour de la table sachent dans quel ordre l’absorption des pertes va se faire.

Les conseillers bancaires doivent-ils informer leurs clients de l’augmentation des risques pris sur certaines obligations bancaires ?

Oui, mais ce n’est pas une nouveauté. Cette obligation existait déjà auparavant mais malheureusement elle n’a pas toujours été respectée. Des particuliers ont acheté des instruments qui comportaient des risques dont ils n’étaient pas toujours informés. Dans le futur, évidemment, les conseillers bancaires devront donner des informations sur le niveau de subordination et de risque que comporte la dette bancaire.

Dans l’exemple italien que vous avez cité, le bail-in n’est pas allé jusqu’à toucher les obligations seniors et pourtant, il a tout de même provoqué d’importants remous (et même un suicide !) parmi les petits épargnants qui n’avaient pas conscience des risques qu’ils prenaient au travers de la détention de titres émis par leur banque. Cela vous inquiète pour les bail-in à venir ?

Les solutions italiennes du 22 novembre 2015 sont, à notre connaissance, compatibles avec le Rule Book. Mais il a été fait état de situations de misselling (ventes abusives) qui doivent être pris en compte. À partir du moment où il y a des risques, la transparence sur les risques est d’autant plus cruciale.

Quand l’information sur le bail-in des dépôts aura été assimilée par tous les déposants, ceux-ci seront tentés de morceler leurs avoirs entre plusieurs groupes bancaires de façon à demeurer en dessous des plafonds garantis ; la catégorie des dépôts non garantis sera alors vide et ne pourra donc pas contribuer à un bail-in. Quel est le sens du bail-in des dépôts, dès lors qu’il est inopérant en cas d’information correcte des déposants ?

Soyons clairs, les dépôts garantis seront intégralement préservés. Quant au risque pour les dépôts au-delà du plafond de garantie, l’introduction de la préférence des déposants rend très peu probable que le renflouement d’un établissement nécessite la mise en œuvre d’un bail-in des déposants.

Quant à la possibilité pour un déposant de morceler ses dépôts, cela ne doit absolument pas être perçu comme négatif : diversifier ses dépôts entre plusieurs banques signifie aussi diversifier ses risques et les risques pour le fonds de garantie des dépôts.

 

1 Bank Recovery and Resolution Directive.
2 Minimum Requirement for Own Funds and Eligible Liabilities, en français «  exigence minimale de fonds propres et passifs exigibles ».

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº794
Notes :
1 Bank Recovery and Resolution Directive.
2 Minimum Requirement for Own Funds and Eligible Liabilities, en français « exigence minimale de fonds propres et passifs exigibles ».