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Entreprises en difficulté

Avoir une application intelligente de la procédure de sauvegarde

Créé le

26.04.2011

-

Mis à jour le

05.05.2011

L’arrêt de la Cour de cassation dans l’affaire Cœur Défense précise les conditions d’ouverture d’une procédure de sauvegarde mais inquiète les créanciers bancaires. Jean Badillet estime ces craintes déraisonnables. Il rappelle que si le tribunal est là avant tout pour appliquer la loi, cela n’exclut pas qu’il soit aussi particulièrement attentif aux intérêts des créanciers en sortie de la procédure. L’instauration de la sauvegarde financière accélérée peut aussi être une solution.

Quelle est la portée de l’arrêt récemment rendu dans l’affaire Cœur Défense ?

Il ne m’est pas possible de m’exprimer sur ce dossier particulier, ne serait-ce que parce que j’ai fait partie de la formation de jugement du tribunal qui a accueilli en son temps cette demande d’ouverture. Pour autant, cet arrêt de la Cour de Cassation a une portée générale évidente, et de cela, nous pouvons bien sûr parler. De quoi s’agit-il ? De dire bien clairement quelles sont les conditions requises d’une entreprise qui souhaite se mettre provisoirement à l’abri de ses créanciers ​en sollicitant l’ouverture d’une procédure de sauvegarde et, in fine,d’apporter à la place la sécurité juridique qu’elle est en droit d’attendre dans ce domaine. Ces dernières années, s’est installé un débat quant à savoir s’il n’y avait pas un dévoiement de la procédure de sauvegarde, si cette dernière pouvait ou non être ouverte au bénéfice d’entreprises sous LBO qui étaient en situation ou présituation de bris de convenants, ou encore au bénéfice de sociétés holdings qui n’auraient par définition peu ou pas de personnel, d’activité, etc. L’arrêt de la Cour de cassation permet d’avoir une vision claire de cette question : on peut ouvrir une procédure de sauvegarde pour autant que le débiteur justifie de difficultés qu’il n’est pas en mesure de surmonter, notion essentielle qui est soumise alors à l’appréciation du juge, qui dispose, il est vrai, d’un large pouvoir d’appréciation en la matière. Tout sur ce point doit se retrouver dans la motivation de la décision, que ce soit une décision d’ouverture ou de rejet. Aucune autre condition particulière n’est requise, excepté bien sûr le préalable que le débiteur ne soit pas en situation de cessation de ses paiements.

Cet arrêt n’est donc pas de nature à rassurer les créanciers, notamment bancaires ?

Le tribunal applique la loi, rien que la loi, mais avec discernement : l’examen des demandes d’ouverture de sauvegarde constitue au Tribunal de commerce de Paris – tous les avocats familiers des procédures collectives vous le diront – un véritable examen de passage, tant sur la démonstration d’un non-​état de cessation des paiements que, ​bien sûr, ​sur la réalité des difficultés invoquées par l’entreprise. Or il est clair qu’une entreprise qui réunit les conditions de bris de covenant, et risque de devoir rembourser par anticipation un prêt qu’elle ne serait pas à même d’assumer, peut soutenir justifier de difficultés qu’elle n’est en mesure de surmonter et devenir de ce fait éligible à une procédure de sauvegarde.

C’est cet enchaînement de faits qui a pu inquiéter certains créanciers institutionnels au plus fort de la crise, car ils y voyaient un risque de contagion et d’ouverture de très nombreuses procédures qui mettrait en péril leurs sûretés sur un certain nombre de dossiers et les contraindraient à passer des provisions supplémentaires. On sait maintenant que ces craintes de contagion ne se sont pas réalisées. Aujourd’hui, la situation se normalise et le débat va quitter le domaine du quasi-fantasme pour revenir dans le domaine du raisonnable.

Le souci manifesté par le Tribunal de commerce de Paris est d’avoir une application intelligente de la procédure de sauvegarde. L’arrêt de la Cour de cassation permet d’avoir la visibilité que nous avons toujours maintenue dans notre juridiction parisienne sur les conditions d’ouverture d’une sauvegarde mais nous ne sommes pas pour autant « l’ennemi des banquiers », pas plus d’ailleurs que de quiconque. Notre mission est de dénouer dans un cadre sécurisé et judiciarisé des difficultés d’entreprise en respectant la loi. Nous sommes là pour accompagner des solutions judiciaires, non pour faire « souffrir » par principe des créanciers, quels qu’ils soient, même si l’ouverture d’une procédure de sauvegarde est toujours un moment violent pour ces derniers qui voient l’ensemble de leurs engagements et de leurs risques révélés. Il faut aussi savoir que la procédure une fois ouverte, le tribunal va de fait exercer un contrôle de la procédure beaucoup plus vigilant et exigeant qu’en redressement judiciaire. Nous avons parfois bouclé des sauvegardes en 4 à 5 mois de période d’observation, ce qui est un délai très court et avec des remboursements de créanciers rapides, de l’ordre de trois ans.

Certaines banques ne craignent-elles pas d’être incitées à faire plus de concessions que d’autres en raison de leur large surface financière ?

L’idée qu’il y ait des créanciers destinés à souffrir plus que les autres parce que présumés plus riches est un pur fantasme ; c’est totalement faux.

Il existe une certaine forme de paradoxe : nous recevons dans ce même bureau toutes les demandes d’ouvertures de mandat ad hoc et de conciliation ; nous en traitons tout de même près de 200 par an, qui concernent souvent des dossiers importants. Dans la plupart des cas, ces demandes sont encouragées par les départements des affaires spéciales des banques, pour faciliter des négociations amiables. En revanche, ces mêmes affaires spéciales redoutent l’ouverture d’une sauvegarde.  Mais il n’y a pas d’un côté les bonnes procédures, le mandat ad hoc et la conciliation parce qu’elles restent confidentielles sans effet coercitif avec des effets juridiques très limités, et de l'autre une mauvaise qui serait la sauvegarde, parce qu’elle contraint les créanciers à révéler leurs engagements. Il vaut mieux parfois une sauvegarde courte et bien menée qu’un mauvais mandat ad hoc ou une mauvaise conciliation qui n’aboutissent à rien, ne prévoient aucune restructuration de fond et laissent un risque latent dans la nature pour tous les acteurs économiques.

Qu’est-ce qu’une bonne sauvegarde ?

C’est une vraie question. Une procédure de sauvegarde obéit à une certaine logique. Tout d’abord, il s’agit d’une culture de l’anticipation. Mais pour aller plus loin, la sauvegarde doit s’inscrire aussi dans une dynamique réelle et volontaire, contrairement à une procédure de redressement où très souvent, l’entreprise se trouve placée par défaut dans l’exercice maximum de la loi, aussi bien en termes de durée de la période d’observation que de durée de plan de redressement. En sauvegarde, le tribunal va attendre de l’entreprise et de ses dirigeants qu’ils justifient d’une véritable dynamique, d’abord en terme de durée de période d’observation, puis pour présenter un plan, ce dernier devant être le plus court possible et correspondre aux efforts maximums qu’ils sont capables de faire. Le balancier qui, au moment de l’ouverture, a indiscutablement penché du côté du débiteur, doit alors pencher cette fois du côté des créanciers. J’insiste sur ce côté dynamique de la sauvegarde : l’entreprise n’est pas en état de cessation de paiement. Le niveau des difficultés est tout de même moindre. Par exemple, dans le cas précis d’une entreprise qui doit solutionner un problème d’endettement, le tribunal va être sensible à ce que, si la faculté contributrice du débiteur le permet, la durée du plan soit le plus proche possible de l’endettement initial, et ce dans l’intérêt bien compris des créanciers.

Pourtant, comme vous le soulignez, le recours à cette procédure n’a jusqu’à présent pas été très fréquent…

Effectivement, le démarrage de la procédure de sauvegarde en France a été un peu timide. Celle-ci a eu du  mal à se positionner à côté du mandat ad hoc et de la conciliation. Cela étant, les dossiers concernés sont souvent des affaires importantes. En raisonnant en termes de périmètre économique, la sauvegarde a indiscutablement une réelle importance. La première procédure de sauvegarde ouverte à Paris a été celle de la société Eurotunnel…

Deux éléments vont aujourd’hui certainement accélérer sa mise en application : d’une part, la clarification que vient d’apporter la Cour de cassation ; d’autre part, l’instauration de la sauvegarde financière accélérée qui va permettre de dénouer un certain nombre de situations.

Rappelons que nous avons en France une boîte à outils du traitement des difficultés d’entreprises qui est particulièrement fournie et bien plus développée qu’à l’étranger, y compris dans les autres États de l’UE. La conciliation et a fortiori le mandat ad hoc n’existent pour ainsi dire pas dans les autres pays.

Que va apporter la sauvegarde financière accélérée (SFA) ?

La SFA s’apparente à une super conciliation et doit vraiment être inscrite dans une culture d’anticipation des difficultés. Elle concerne surtout les entreprises souhaitant résoudre un problème d’endettement, où une majorité de créanciers financiers sont a priori d’accord pour un schéma de restructuration appliqué à une entreprise, mais où quelques récalcitrants mettent en avant leur pouvoir de blocage. C’est un traitement hybride entre la conciliation et la sauvegarde qui va permettre au tribunal, et si ce dernier l’estime justifié, de forcer le consentement des créanciers minoritaires pour leur imposer la loi de la majorité des créanciers financiers. Cette procédure est particulièrement adaptée pour faciliter le déstockage des opérations d’endettement à effet de levier de type LBO qui sont ou seront en difficulté.

Pratiquement, la SFA commence par une conciliation qui est une première étape obligatoire. Ensuite, première hypothèse : cette conciliation débouche sur un accord avec les créanciers et dans ce cas on reste dans le cadre de la conciliation en demandant en sortie, soit le constat présidentiel sur l’accord de la conciliation, qui lui donnera force exécutoire, soit, encore plus fort, l’homologation par le tribunal de cet accord de conciliation. Seconde hypothèse : la conciliation est bloquée par un ou plusieurs créanciers minoritaires qui interdisent d’obtenir l’unanimité ; dans ce cas, l’entreprise peut saisir le tribunal pour une demande de SFA qui prendra la suite de la conciliation ; sa caractéristique essentielle est de ne concerner que les seuls créanciers financiers, à l’exclusion des créanciers d’exploitation et les fournisseurs. L’accord de la majorité des créanciers financiers pourra alors, dans le cadre d’un processus judiciaire très court, s’imposer à la minorité des créanciers financiers, pour autant bien sûr que le tribunal le décide ainsi.

L’égalité de traitement des créanciers n’est-elle pas un principe de base des procédures collectives ?

La SFA ouvre de fait une brèche dogmatique dans le principe d’unicité et d’indivisibilité de la masse des créanciers qui était jusque-là un principe intangible de nos procédures collectives, mais cela doit se comprendre dans un souci du législateur de faire avancer le droit des procédures collectives.

La SFA a-t-elle déjà été utilisée ?

Il est encore trop tôt. Le décret d’application vient juste de paraître et le problème des seuils d’application doit encore traité à travers la proposition de loi Warsmann. Aujourd’hui, la SFA est réservée aux entreprises qui comptent plus de 150 salariés ou plus de 20 millions d’euros de chiffre d’affaires. Ces seuils ne sont pas adaptés à une holding qui, par définition, n’a pas ou peu de salariés et quasiment pas de revenus. Il est prévu que ces seuils puissent être analysés de façon confondue avec la ou les sociétés opérationnelles, ce qui permettrait de rendre les holdings éligibles à la SFA.

La SFA peut-elle être comparée au pré-pack américain ?

Il existe une certaine analogie entre le pré-pack et la SFA mais le droit français des procédures collectives se compare difficilement avec le droit américain, car l’esprit est très différent. Notamment, la notion de sauvegarde des emplois n’est pas vraiment la préoccupation principale du droit américain. Je maintiens pour ma part que nous disposons en France d’une palette très riche de solutions judiciaires pour traiter des difficultés des entreprises de façon préventive, dans un cadre sécurisé et souvent confidentiel, et que nous n’avons en ce domaine rien à envier aux systèmes juridiques étrangers, y compris anglo-saxons.  Il est simplement dommage que nos entrepreneurs, et plus généralement tous les acteurs économiques, n’en aient pas plus conscience. Beaucoup reste donc à faire.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº736