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Transformation digitale

L'assurance change de visage

Créé le

12.03.2018

-

Mis à jour le

29.03.2018

Le digital s’immisce dans le secteur de l’assurance pour transformer la relation client, le courtage, la gestion de sinistre et même les produits. Il permet aux start-up du secteur, les InsurTechs, comme aux acteurs traditionnels, de proposer instantanéité, simplicité, transparence et personnalisation. Jusqu’à bouleverser des fondamentaux comme le principe de mutualisation ?

L'assurance est aujourd'hui prise dans un tourbillon de transformations généré par l'accélération technologique et l'invasion du « digital ». Une multitude de start-up de l'InsurTech cherchent à mieux répondre aux besoins des consommateurs et des entreprises, tandis que les compagnies et les mutuelles historiques se lancent dans des démarches d'innovation qui doivent leur permettre de rester pertinentes. Or plus les initiatives des unes et des autres progressent, plus il devient apparent que les changements qui s'amorcent auront un impact profond sur le cœur du métier de l’assurance, nul autre secteur ne voyant son essence même aussi directement affectée.

L'enjeu de l'expérience client

Sans surprise, parce que telle est la nature de ce qu'on appelle le « digital », qui n'est pas que technologie, les premières attaques portées aux modèles traditionnels de l'assurance se sont concentrées sur l'expérience client. La cible est tentante, entre la défiance des consommateurs vis-à-vis de leurs fournisseurs et l'existence d'un principe de courtage offrant un point d'entrée facile à de nouveaux acteurs.

Face à des produits dont la valeur n'est pas toujours aisée à percevoir, à tel point que, pour beaucoup, ils ne sont vus que comme une obligation légale, proposés par des assureurs qui ont la réputation d'être réticents ou, à tout le moins, lents à assumer leur responsabilité en cas de sinistre, d'autres approches apparaissent et se développent rapidement.

Avec les start-up Friendsurance en Allemagne ou Otherwise en France, l'assurance « P2P » (de pair à pair) a été pionnière, dans une sorte de retour aux sources, des tentatives de réintroduire du sens dans le concept de mutualisation des risques. Leur idée est de constituer des groupes affinitaires d'une centaine d'assurés, au sein desquels la notion de solidarité prend corps, concrètement, par la proximité qu'induit l'appartenance à une communauté restreinte (par opposition à l'anonymat des millions de clients d'une compagnie d’assurance « normale ») et par la responsabilisation directe des participants (par exemple via le remboursement partiel des primes en l'absence de sinistre).

Plus récemment, les efforts de l'InsurTech portent sur les quatre priorités de la relation client « digitale » : personnalisation, réactivité, simplicité et transparence. Les produits deviennent faciles à souscrire, instantanément, d'un simple geste dans une application mobile ; ils sont précisément adaptés au contexte du demandeur, celui-ci étant accessible par l’intermédiaire des objets connectés qui prolifèrent dans notre quotidien.

En assurance auto, les approches « Pay As You Drive » et « Pay How You Drive », qui modulent les primes en fonction de l’usage réel du véhicule assuré et de la qualité de conduite, capitalisent ainsi sur la demande de personnalisation des offres. Aux États-Unis, Trōv est une des représentantes les plus séduisantes d’une nouvelle génération de services « à la demande » (que vient de rejoindre, début mars, la jeune pousse française Valoo, en partenariat avec la MAIF) : depuis son smartphone, l'utilisateur de Trōv inventorie ses possessions et, d'un geste du doigt, sollicite un devis instantané pour les objets auxquels il tient le plus et souscrit ou résilie une garantie à tout moment.

La gestion des sinistres évolue dans la même direction. La solution Fizzy, lancée en septembre 2017 par AXA France, promet, en cas de retard d'un vol aérien de plus de 2 heures, une indemnisation automatique, dès l'atterrissage, sans requérir la moindre déclaration. À l'occasion de l'ouragan Harvey, aux États-Unis, la filiale en ligne d'AllState, Esurance, a spontanément lancé une campagne de surveillance aérienne afin d'évaluer, grâce à de puissants algorithmes, les dommages aux véhicules de ses clients et verser au plus tôt le montant estimé des réparations, dans des circonstances où, habituellement, les compagnies sont débordées et les traitements de dossiers s'éternisent.

L'objet même de l'assurance évolue

Au fil des innovations commence à s'installer l'idée que l'assurance doit s'insérer, de manière invisible (à la réserve près de la transparence attendue par ailleurs), dans les actes et situations de la vie quotidienne. Ainsi, le constructeur automobile Tesla propose une prestation forfaitaire à l'achat, incluant financement, entretien, accès aux stations de recharge électrique… et assurance (en partenariat avec AXA, à Hong Kong). En Europe, la néo-banque Revolut offre à ses clients une assurance voyage qui se fait oublier : il suffit d'activer une option dans son application mobile pour en bénéficier dès le franchissement d'une frontière, en ne payant que pour les périodes effectives de déplacement à l'étranger. Progressivement, cette intégration devra être facilitée par la mise à disposition d’API (« interfaces de programmation applicative »). Quelques pionniers de cette évolution, à l’instar de la start-up américaine Lemonade, se distinguent déjà.

Aussi importantes soient-elles, ces évolutions ne touchent toutefois qu'à la surface des métiers historiques de l'assurance. Derrière cette vague, une autre forme de transformation s'apprête à déferler sur le secteur. Les changements de comportements et de pratiques des consommateurs, soutenus par les technologies, donnent aussi naissance à des besoins radicalement nouveaux, qu'il faudra prendre en compte d'autant plus rapidement que le rythme de l'innovation s'accélère.

La popularité de l'économie de partage ou collaborative est, naturellement, une tendance qui remet en cause certains modèles historiques et inspire des approches différentes. Dans le domaine automobile, plusieurs acteurs se positionnent pour couvrir les nouveaux usages, de l'autopartage au covoiturage, soit en partenariat avec les plates-formes spécialisées, soit en complément de celles-ci, avec des avantages particuliers (par exemple, la solution « Ma Mobilité Auto » d'AXA propose à l’assuré une garantie étendue à l’occasion de tout trajet dans un véhicule dont il n’est pas propriétaire). Les services de VTC comme Uber suscitent aussi des vocations, à l'image de la jeune pousse américaine Slice, qui ajuste automatiquement la protection du chauffeur (et sa prime) selon qu'il est en service professionnel ou qu'il utilise son véhicule à titre personnel.

Enfin, une des révolutions les plus attendues dans les prochaines années, la généralisation de la voiture autonome, impose dès maintenant de repenser l'assurance dans un univers de déplacements pilotés par des algorithmes. Certes, les enjeux dépassent le secteur et les régulateurs auront aussi un rôle primordial dans la définition des futures règles du jeu ; le gouvernement britannique a lancé une consultation sur le sujet dès 2016. Mais les questions abondent (par exemple : qui portera la responsabilité d'un sinistre ?) et justifient les premiers jalons posés par le courtier anglais Adrian Flux pour engager la réflexion avec toutes les parties prenantes, sous la forme d’une première définition expérimentale de garantie dédiée au véhicule autonome.

La transition vers la prévention

Au-delà de l'adaptation de leurs produits aux besoins changeants, les mutations en cours génèrent un certain nombre de défis existentiels pour les assureurs. Les possibilités qu'ouvre l'intelligence artificielle laissent imaginer des scénarios dans lesquels les probabilités jouent un rôle marginal. Il serait alors possible de créer un produit spécifique à chaque individu, avec un risque presque totalement maîtrisé. Dans cette hypothèse, qu'advient-il du principe de mutualisation qui fonde le concept originel de l'assurance ? Dès aujourd'hui, où se situe la frontière entre la personnalisation légitime et l'excès d’individualisation qui mène vers un modèle d’exclusion ?

On aurait tort de croire que ces interrogations sont théoriques. Il y a quelques mois, Quilt, une start-up américaine, faisait la démonstration d'un service de demande de devis pour une assurance décès grâce à un simple selfie. Par ailleurs, une équipe de chercheurs annonçait récemment être capable de prédire, avec un taux de confiance élevé, l'espérance de vie d'une personne à partir d'une photographie. Comment réagir quand ces deux tendances fusionneront ? Au début de cette année, les médias britanniques s’inquiétaient des dérives de certaines compagnies, ajustant leurs tarifs selon le patronyme de l’assuré. À terme, il semble inéluctable que le régulateur soit contraint d’intervenir pour fixer les limites, notamment en matière d’éthique et de lutte contre les discriminations.

Une autre problématique qui se pose aux acteurs du secteur de l’assurance est celle de la relation client. Celle-ci a, de tout temps, constitué un handicap, puisque les contacts avec les assurés se réduisent aux versements des primes et à la prise en charge des sinistres, événements peu propices au développement d'opportunités. Mais elle prend désormais une dimension critique :

  • d'un côté, la simplicité demandée par les consommateurs réduit encore ces fenêtres de dialogue ;
  • de l'autre côté, le besoin de connaissance du client devient primordial pour répondre à ses exigences de personnalisation et d'efficacité.
Il faut donc plus que jamais inventer les moyens qui permettront à l'assureur à la fois de maintenir le lien avec son client et d'accéder aux informations nécessaires pour le satisfaire en permanence. À ce jour, la réponse la plus convaincante consiste à miser sur la prévention, ce qui se traduit par une multiplication des initiatives en la matière, depuis la distribution d'Apple Watch aux clients d'Aetna, acteur américain de la protection santé pour les salariés des entreprises, afin qu'ils surveillent leur forme physique, jusqu'à l'intégration d'une solution d'habitation connectée avec l'assurance, comme le propose la jeune pousse britannique Neos.

En synthèse, plus que tout autre secteur (celui de la banque en particulier), l'assurance vit actuellement une période charnière pour son avenir, car elle est confrontée à la convergence de trois grandes transformations :

  • l'évolution des attentes des clients vis-à-vis de leurs fournisseurs de services ;
  • les changements profonds qui affectent les sous-jacents de son activité ;
  • les menaces pesant sur son accès à l'information, qui représente sa matière première.
Les prochaines années promettent donc une épopée passionnante, aussi bien pour les acteurs historiques que pour les nouveaux entrants.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº819