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AMF et entrave : le Conseil constitutionnel s’en mêle

Créé le

15.03.2022

Trois entités du groupe Novaxia avaient été sanctionnées par l’Autorité des marchés financiers pour ne pas avoir communiqué leur grand livre. Saisi via une question prioritaire de constitutionnalité, le Conseil constitutionnel abroge un pouvoir du gendarme des marchés. Lequel a d’autres solutions pour « encourager » la coopération…

Le Conseil constitutionnel a rendu, le 28 janvier 2022, une décision importante [1] relative aux pouvoirs de l’Autorité des marchés financiers (AMF), à la suite de sa saisine par la Cour de cassation dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC).

Rappel des faits : à l’origine, l’AMF avait procédé à un contrôle du respect de ses obligations professionnelles par la société de gestion de portefeuille Novaxia AM. Au cours de cette procédure, les contrôleurs de l’AMF avaient formulé une demande de communication aux sociétés Novaxia Développement, Novaxia Gestion et Novaxia de l’intégralité de leurs grands livres pour les années 2014, 2015 et 2016. Les trois sociétés s’y étant opposées, l’AMF avait considéré que le manquement d’entrave au bon déroulement de la mission de ses contrôleurs était caractérisé, sur le fondement des dispositions du f) du paragraphe II de l’article L. 621-15 du Code monétaire et financier (CMF). La commission des sanctions l’avait suivie.

La décision de sanction de l’AMF du 19 novembre 2019 [2] avait été contestée par les sociétés Novaxia Développement, Novaxia Gestion et Novaxia. Tout comme l’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 16 février 2021 [3] , rejetant ses demandes, devant la cour de Cassation.

Pouvoir globalement confirmé, mais partiellement abrogé

Dans sa décision, le Conseil constitutionnel :

– a confirmé le pouvoir général de sanction de l’AMF, principalement en matière d’abus de marché, à l’encontre de personnes qui ne sont pas soumises à son contrôle, mais

– a abrogé et donc déclaré inconstitutionnel, avec effet immédiat, le dispositif de sanction administrative de l’AMF pour entrave dans le cadre d’une procédure d’enquête ou de contrôle.

Les Sages ont, par ailleurs, écarté l’ensemble des autres griefs des requérants. Ils portaient sur la méconnaissance des principes de légalité des délits et des peines et de proportionnalité des peines, sur la violation du principe de séparation des pouvoirs, sur le non-respect de la vie privée et sur le principe selon lequel nul n’est tenu de s’accuser.

Si la confirmation du pouvoir général de sanction de l’AMF nous semble logique et justifié à la lumière de la réglementation européenne [4] , la déclaration d’inconstitutionnalité suscite, quant à elle, quelques commentaires.

Un périmètre clairement défini

En ce qui concerne l’abrogation du dispositif de sanction administrative pour entrave, le Conseil constitutionnel a précisé que la déclaration d’inconstitutionnalité pouvait désormais être invoquée dans les procédures en cours par les personnes poursuivies, à la condition qu’elles aient préalablement fait l’objet de poursuites pénales sur le fondement des dispositions de l’article L. 642-2 du CMF.

Le Conseil constitutionnel a ainsi considéré ainsi que la répression administrative du manquement d’entrave aux enquêtes et contrôles de l’AMF et la répression pénale fondée sur les dispositions précitées tendaient à réprimer les mêmes faits, qualifiés de manière identique, par des sanctions de même nature, aux fins de protéger les mêmes intérêts sociaux. Il en a donc déduit que les dispositions contestées méconnaissaient le principe de nécessité des délits et des peines et qu’elles devaient, dès lors, être déclarées contraires à la Constitution.

Par un communiqué daté du 18 février 2022, l’AMF a pris acte de la décision. L’institution présidée jusqu’à l’été par Robert Ophèle a toutefois tenu à rappeler que celle-ci était attendue, compte tenu d’une décision similaire rendue par le Conseil constitutionnel le 26 mars 2021 [5] en matière d’obstruction aux enquêtes de l’Autorité de la concurrence.

L’AMF veut une nouvelle loi

Consciente qu’elle avait été largement relayée, le régulateur a tenu à préciser que la décision ne remettait pas en cause la possibilité de sanctionner des faits constitutifs d’une entrave. Comme pour répondre au Conseil constitutionnel, l’AMF a ajouté que la décision n’entraînait pas d’impact sur les procédures en cours visant un manquement d’entrave, sous réserve de l’absence de poursuites préalables pour délit d’entrave portées devant l’autorité judiciaire. Ce communiqué visait donc simplement à mettre en exergue que la contrariété des dispositions précitées à la Constitution demeurait limitée quant à ses effets.

Pour l’avenir, l’AMF a indiqué qu’elle allait prochainement proposer des modifications législatives afin de mettre en conformité les dispositions du CMF avec la décision et ainsi mettre un terme à la possibilité d’une double poursuite en matière d’entrave.

Cette décision intervient dans un contexte jurisprudentiel récent et foisonnant [6] qui permet progressivement de mieux cerner les contours des comportements attendus et des pouvoirs des parties prenantes aux procédures de contrôle ou d’enquête de l’AMF. Ces précisions favorisent, notamment, pour les personnes concernées, une meilleure compréhension du contenu des chartes du contrôle et de l’enquête publiées par le régulateur.

En lien avec la thématique de la décision, notons que lors de la dernière mise à jour par l’AMF de ses chartes de l’enquête et du contrôle du 27 septembre 2021, des clarifications avaient été apportées en matière de coopération avec le régulateur : les documents à communiquer doivent être complets, non dénaturés et cohérents ; les réponses aux questions posées par les contrôleurs et enquêteurs doivent être apportées dans les meilleurs délais.

Mode d’emploi de la coopération avec l’AMF

À toutes fins utiles, il convient également de souligner que d’autres voies ont été utilisées par le passé par l’AMF aux fins de sanctionner des comportements d’entrave ou d’obstruction sur le fondement des dispositions du Règlement général de l’AMF [7] . À titre d’exemple, dans le cadre d’une décision de sanction récente, l’AMF s’était fondée sur le non-respect, par une personne contrôlée, du principe tenant à apporter son concours avec diligence et loyauté à la mission de contrôle pour caractériser un manquement tiré du défaut de coopération du professionnel assujetti vis-à-vis des équipes du régulateur [8] . Les faits d’espèce portaient sur la délivrance aux contrôles d’informations inexactes et partielles et sur l’interruption de toute communication avec la mission de contrôle sans justification satisfaisante. Par le biais de cette décision, le régulateur rappelle, si cela s’avérait encore nécessaire, qu’il ne peut raisonnablement accepter tout type de comportement de la part de personnes contrôlées.

 

1 Décision n° 2021-965 QPC – Société Novaxia développement et autres.
2 SAN-2019-15.
3 CA Paris, Pôle 5 – chambre 7, RG n° 20/01342.
4 Règlement (UE) n° 596/2014 et Directive 2014/57/UE du 16 avril 2014.
5 Décision n° 2021-892, QPC – Société Akka technologies et autres.
6 T. Jézéquel et A. Raynouard, « Abus de marché : un cadre réglementaire évolutif à l’épreuve du respect des droits fondamentaux », Revue Banque n° 856, p. 48, mai 2021.
7 Article 143-3 du Règlement général de l’AMF.
8 SAN-2020-05.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº867
Notes :
1 Décision n° 2021-965 QPC – Société Novaxia développement et autres.
2 SAN-2019-15.
3 CA Paris, Pôle 5 – chambre 7, RG n° 20/01342.
4 Règlement (UE) n° 596/2014 et Directive 2014/57/UE du 16 avril 2014.
5 Décision n° 2021-892, QPC – Société Akka technologies et autres.
6 T. Jézéquel et A. Raynouard, « Abus de marché : un cadre réglementaire évolutif à l’épreuve du respect des droits fondamentaux », Revue Banque n° 856, p. 48, mai 2021.
7 Article 143-3 du Règlement général de l’AMF.
8 SAN-2020-05.
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