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La transition énergétique et les banques

« Accompagner des projets complexes, parfois très risqués, sur le long terme »

Créé le

24.07.2015

-

Mis à jour le

31.08.2015

Financement de projets dans les énergies renouvelables, structuration de green bonds, politiques sectorielles conditionnant leurs prêts… les banques françaises n’ont pas attendu la CoP 21 pour se mobiliser sur la question climatique. Elles ont aujourd’hui besoin d’aménagements réglementaires pour aller plus loin.

Quels engagements les banques françaises prévoient-elles de mettre sur la table durant la CoP 21 ?

D’une manière générale, il faut d’abord rappeler que les banques françaises sont déjà très impliquées dans le financement de la transition énergétique et sont mobilisées pour la préparation de la CoP 21. Deux exemples parmi beaucoup d’autres : en matière de financement des énergies renouvelables, les banques françaises sont parmi les plus actives au monde grâce à leur expertise en financement de projets et, aujourd’hui, les énergies renouvelables représentent l’essentiel de leurs financements de projets de production d’électricité. Elles se distinguent aussi par leur capacité d’innovation en contribuant au développement du marché des obligations vertes, les green bonds. Pour la seule année 2014, les émissions d’obligations vertes conduites par des banques françaises ont atteint 17,5 milliards d’euros, dont 8,5 milliards pour des entreprises françaises. Ces outils de financement sont appelés à jouer un rôle clé dans la mobilisation de l’épargne vers le financement de projets responsables et constituent un des atouts de la place financière de Paris.

S’agissant des engagements qui peuvent être pris à l’occasion de la CoP 21, la Fédération bancaire française a signé, à l’occasion du Climate Finance Day organisé à Paris en mai dernier, la déclaration des acteurs de la Place financière de Paris sur le changement climatique. C’est un signe fort de notre mobilisation. Nous avons identifié plusieurs axes d’action :

  • tout d’abord, favoriser les investissements, les financements et les assurances de biens orientés vers des solutions et des technologies bas carbone ;
  • ensuite, intensifier la recherche et développement, l’innovation et le développement des technologies de pointe ;
  • enfin, intensifier les collaborations avec les entreprises pour réduire la menace et les effets du changement climatique.

Quelles avancées les banques françaises attendent-elles des discussions qui se tiendront pendant la CoP 21 ?

Comme beaucoup de participants à la CoP 21, les banques françaises attendent des pouvoirs publics et des régulateurs qu’ils définissent un cadre fixant des objectifs clairs, ambitieux et réalistes pour la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Pour atteindre ces objectifs, il faut des mesures incitatives afin de susciter des réponses économiques adéquates aux conséquences du changement climatique. L’industrie financière joue un rôle essentiel dans le financement de la transition énergétique qui implique d’accompagner des projets complexes, parfois très risqués, sur le long terme. On se trouve ici au cœur des missions et de l’utilité de la finance : appréhender correctement des risques et les gérer dans la durée. Pour cela, nous avons besoin d’un cadre réglementaire et prudentiel favorable, et surtout stable. Dans un certain nombre de cas, des garanties publiques peuvent jouer un rôle essentiel. Cela peut être une des orientations du plan Juncker en Europe que d’y contribuer pour la transition énergétique. C’est donc un domaine où le partenariat entre acteurs publics et privés est très important.

Estimez-vous que ce cadre réglementaire génère des obstacles au financement de la lutte contre le réchauffement climatique ?

La réglementation bancaire s’est considérablement renforcée depuis la crise pour assurer une meilleure sécurité du système financier et nous y sommes favorables. Mais cela n’a pas été sans conséquences sur la capacité des banques à financer l’économie. Forts de cette expérience, il faut impérativement vérifier l’adaptation du cadre réglementaire aux financements longs que nécessite la transition énergétique, et veiller à ce que les normes prudentielles encore en discussion ne les pénalisent pas davantage. Nous avons à ce sujet de sérieuses inquiétudes. Les futures règles en matière de fonds propres (TLAC), de liquidité (NSFR) et de gestion du risque de taux font peser de lourdes incertitudes sur la possibilité pour les banques de financer à l’avenir de tels projets. Il y a une contradiction à attendre des banques qu’elles s’engagent sur des projets parfois pour des dizaines d’années, et dans le même temps leur imposer des règles qui les incitent à ne prêter qu’à court terme ou à réduire la taille de leurs bilans. Cette dimension prudentielle doit être intégrée par les pouvoirs publics qui sont aussi à l’origine d’initiatives positives auxquelles les banques entendent prendre toute leur part. Je pense par exemple, en Europe, au plan d’investissement de la Commission Juncker et à son volet infrastructures.

Vous évoquez également la notion de stabilité. Qu’entendez-vous par là ?

Les banques peuvent financer des projets qui soient à la fois bons pour le climat et rentables. Pour cela, elles ont besoin, comme les investisseurs, de visibilité. Or l'une des premières incertitudes en matière de financement de la transition énergétique est d’ordre réglementaire. Par exemple, remettre en cause un engagement tarifaire dans un projet d’énergies renouvelables, c’est souvent le condamner. Il appartient aux pouvoirs publics de déterminer un cadre suffisamment stable ou d’élaborer des systèmes de garantie de nature à encourager l’investissement à long terme. À cette notion de stabilité, j’ajouterais celle de cohérence. Les banques françaises n’ont de cesse de rappeler qu’une taxe sur les transactions financières limitée à 11 pays seulement est un non-sens économique. Au-delà des effets dévastateurs qu’une telle taxe aura pour la Place de Paris, elle ne saurait être une réponse à un problème aussi global que le réchauffement climatique, car les recettes ne seront pas au rendez-vous.

Quelques groupes pétroliers ont demandé que l’on puisse fixer un prix pour le carbone. Est-ce un souhait partagé par les banques ?

Pour que les marchés, les entreprises et les consommateurs soient incités à agir en faveur d’une économie bas carbone, il faut intégrer dans le prix des biens et services le coût de l’externalité négative qu’est le changement climatique. Cela passe par le fait de donner un prix au carbone et les banques sont donc favorables à une fixation du prix du carbone, même si un engagement au niveau international présente aujourd’hui des difficultés pratiques dans sa mise en œuvre. Par ailleurs, la mise en place d'une réserve de stabilité du marché pour renchérir le prix actuel fait partie des propositions de la troisième révision de la directive européenne sur les quotas, à laquelle les banques souscrivent.

Dans quelle mesure un accord contraignant permettant la limitation du réchauffement à 2 degrés changerait-il la donne pour les établissements financiers ? À quel niveau les banques françaises sont-elles concernées par la question des stranded assets ?

Depuis plusieurs années, les banques déploient des politiques sectorielles, ainsi que des critères environnementaux stricts, qui conditionnement les prêts notamment dans le secteur des mines de charbon et dans celui de la production d’électricité à base de charbon. Pour ce qui est des mines de charbon, certains établissements ont d’ores et déjà pris la décision de ne plus les financer. S’agissant des actifs liés aux combustibles fossiles, les stranded assets, les banques rappellent la nécessité impérieuse de pouvoir bénéficier de visibilité. À ce stade, l'évaluation de ces actifs supposément dépréciés est particulièrement complexe. Les gestionnaires de fonds, qui sont souvent filiales de banques, s'en préoccupent dans le cadre de la gestion des risques qui pèsent sur leurs actifs. Plusieurs banques se sont ainsi volontairement engagées, dans le cadre du Montreal Carbon Pledge, à mesurer et publier l'empreinte carbone des fonds gérés pour le compte de tiers.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº787