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Crédit à la consommation : L’intelligence artificielle au cœur du métier

Créé le

21.04.2023

-

Mis à jour le

24.11.2023

Sa montée en puissance optimise bien des processus mais sans générer pour l’instant de refonte du modèle. Elle devrait cependant entraîner de véritables bouleversements.

L’usage de l’intelligence artificielle (IA) – ou de l’intelligence augmentée – n’est pas une nouveauté en matière de crédit à la consommation. Les premières applications opérationnelles datent d’il y a six à huit ans. Elles se sont concentrées sur le domaine du risque, avec un double objectif : accélérer le processus d’octroi de crédit (réduire le time to yes) et améliorer le pilotage du risque. Ces premières expériences ont pu voir le jour grâce à la culture historique des établissements spécialisés en matière d’évaluation du risque. Les modèles d’IA ont pris appui sur des historiques de données suffisamment profonds et la collaboration avec des jeunes pousses spécialisées a permis d’introduire de nouveaux outils. BNP Paribas Personal Finance, par exemple, a communiqué dès 2017 sur l’intégration de l’IA dans ses processus d’octroi, en partenariat avec une fintech spécialisée.

Le traitement des données non structurées restait cependant problématique et coûteux, ce qui a limité la « mise à l’échelle » des usages de l’IA. La donne a changé récemment sous l’effet conjugué des modifications de comportement des consommateurs, de la réglementation et de la technologie.

Avec la crise du Covid, les consommateurs se sont habitués aux plateformes les plus performantes et ils ont augmenté leur niveau d’exigence vis-à-vis de l’ensemble de leurs interlocuteurs digitaux (parcours sans couture, personnalisation des messages...). La mise en application de la DSP2 a progressivement ouvert le champ de l’open banking, qui s’appuie sur des modèles d’IA pour classifier les informations issues des comptes bancaires du client, analyser les comportements et en déduire un niveau de risque. Sur le plan technologique, la démultiplication des capacités de stockage dans le cloud (privé ou public) et la généralisation des API (application program interface) changent la donne. Les règles de data privacy encadrent l’usage des données du client, mais elles ne font pas obstacle à la constitution de « méga » jeux de données synthétiques, c’est-à-dire de données fictives mais rendues proches de la réalité grâce à l’IA. BBVA annonce des tests sur l’usage des jeux de données synthétiques dans son AI center.

Le champ des possibles étendu

Très récemment, la démocratisation de l’IA conversationnelle, via Chat GPT 3, puis 4, donne accès – à peu de frais – à des modèles très puissants et aux usages multiples. Cet outil permet surtout de « brancher » des sources de données privatives pour utiliser les modèles sur des usages ciblés. Des applications existent déjà autour de la génération automatique de contrats avec des paramètres personnalisés ou du traitement de demandes client. Le champ des possibles à coût raisonnable s’étend considérablement sous l’effet de ces évolutions et le crédit à la consommation est particulièrement concerné car il se trouve à la croisée des chemins entre trois domaines d’usage de l’IA : le domaine bancaire, celui des paiements et celui du commerce de détail (physique ou en ligne).

Les établissements de crédit à la consommation partagent les obligations des banques généralistes en matière de lutte antiblanchiment et antiterrorisme. Les applications de l’IA dans ce domaine visent à limiter les interventions humaines aux alertes pertinentes en fonction d’une analyse multicritères. La production des reportings réglementaires gagne quant à elle en qualité et en réactivité en utilisant des modèles d’IA pour vérifier la cohérence des données issues de sources éparses. D’une manière plus générale, les progrès de l’IA rendent possible la modélisation de processus de plus en plus complexes, avec des cas de figure multiples.

La proximité avec le client dans une relation bancaire à distance nécessite de l’immédiateté, de la personnalisation et de la simplicité ; les robots conversationnels peuvent répondre à ces critères et leurs usages se multiplient. Ainsi, Sofinco a déployé un système d’écoute et d’analyse vocale des feedbacks clients. En effet, les clients donnent plus volontiers et plus sincèrement leur avis en passant par la voix, plutôt que par l’écrit. Le recouvrement entre les usages de l’IA en banque de détail et ceux de l’activité de crédit à la consommation est très large ; les établissements spécialisés intégrés dans des groupes bancaires généralistes bénéficient donc d’un avantage en pouvant dupliquer des usages déjà testés au niveau de leur groupe. Font exception les pure players, comme Younited, qui s’est développé sur la base de ces technologies, ou les captives automobiles, qui bénéficient des avancées de leur groupe industriel de rattachement en matière d’IA.

L’optimisation des modèles d’affaire

Dans le domaine des paiements, les usages de l’IA touchent en premier lieu à la sécurité des transactions. Citons l’exemple de Capital One, qui a développé un système de transactions via un numéro de carte virtuelle dédié aux transactions avec un et un seul commerçant, évitant ainsi les détournements de numéros de carte sur Internet. La simultanéité entre le règlement du commerçant (check out) et le financement constitue un maillon essentiel dans la chaîne de valeur du crédit à la consommation. L’IA intervient dans la rapidité de la décision d’accord du financement. C’est grâce à ses modèles très intégrés que la fintech Affirm a pu développer aux États-Unis un réseau de plus de 6 000 commerçants partenaires. Les mouvements qui interviennent sur un compte de paiement éclairent le client sur sa situation financière à venir, par le biais d’algorithmes qui déclenchent des alertes en fonction des mouvements, courants ou exceptionnels. C’est sous l’angle des paiements que les GAFAM investissent le champ des services financiers en déployant leur force de frappe sur l’IA. Les récentes annonces d’Apple au sujet de son offre de BNPL le confirment.

Le crédit à la consommation est traditionnellement connexe au commerce de détail. Il est donc logique que les usages de l’IA soient communs entre ces secteurs. Sur l’acquisition directe de clients, les méthodes des spécialistes du crédit à la consommation suivent celles du e-commerce. Cofidis, par exemple, recourt à des modèles d’IA pour pallier la disparition des cookies en reconstituant les précieuses informations d’historique de navigation de l’internaute. La logique des plateformes qui visent à multiplier le trafic en apportant de la valeur ajoutée au client n’échappe pas aux acteurs du crédit à la consommation. Santander propose une plateforme qui centralise les abonnements du client et lui propose une gestion optimisée de ces contrats grâce une IA qui pilote les consommations, capte les opportunités de promotions, produit des alertes de résiliation... La compétition qui s’instaure entre les acteurs du crédit à la consommation pour nouer des partenariats avec les grandes places de marché s’explique en partie par le bénéfice qu’elles retirent, pour leur propre business, de la masse de données manipulées par ces plateformes et les usages de l’IA qui en découlent. Ces partenariats ne peuvent cependant être viables que s’ils reposent sur un partage équilibré de la valeur.

Au total, ces usages de l’IA communs entre la banque, les paiements ou le commerce vont dans le sens d’une plus grande efficacité, d’une plus grande sécurité et d’une meilleure proximité avec les clients. Ils optimisent des modèles d’affaire existants, mais ne les bouleversent pas encore. La montée en puissance de l’IA annonce des conséquences multiples dans l’activité de crédit à la consommation : de potentielles nouvelles offres, des formes inédites de partenariat avec le commerce et les plateformes, des métiers opérationnels en développement autour de la data et de ses usages, des standards d’efficacité revus, avec un impact encore difficile à évaluer mais qui devra inciter à une grande vigilance sur le plan sociétal.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº880
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