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Cryptomonnaie

La chute de FTX : le « moment Lehman » de l’univers des cryptos

Créé le

29.11.2022

-

Mis à jour le

30.11.2022

Au-delà des conséquences directes sur l’ensemble des acteurs de l’écosystème, la faillite du géant de l’échange de crypto-monnaie rend d’autant plus criant le besoin de régulation du secteur.

C’est l’histoire d’un formidable revers de fortune. Octobre 2022, Sam Bankman-Fried est à la tête de FTX, une plateforme d’échange de cryptomonnaie valorisée près de 32 milliards d’euros, et considérée comme l’un des plus gros « exchange » au monde, représentant près de 10,5 % de parts du marché crypto. Novembre 2022, FTX a été placé sous la protection juridique de la loi américaine sur les faillites à la suite d’une crise de liquidité sans précédent. Un document judiciaire présenté devant les tribunaux fédéraux attribue près d’un million de créanciers à la société. Des soupçons de transactions non autorisées, d’utilisation abusive des fonds des clients, de conflits d’intérêt ou encore de délit d’initiés pèsent sur le dossier.

Comme souvent dans l’univers des marchés, et de façon parfois paroxystique pour les cryptomonnaies, une perte de confiance est à l’origine de cette chute vertigineuse. Il a suffi d’une publication du média CoinDesk pour semer le doute. Le site Internet affirme que la plateforme de trading de FTX, Almada Research, également propriété de Sam Bankman-Fried, fondateur et dirigeant de FTX, repose principalement sur cette seule cryptomonnaie, le FTT, le token de FTX. La plateforme utiliserait donc sa propre monnaie virtuelle pour garantir le risque de crédit. Il n’en fallait pas plus pour révéler l’extraordinaire vulnérabilité de FTX à l’égard de toute perte de confiance, et partant, son risque d’insolvabilité.

Dans la foulée, Changpeng Zao, dirigeant de Binance, premier acteur mondial dans le secteur des cryptomonnaies, annonce se débarrasser de ses FTT, pour un montant de près de 530 millions de dollars.

Ce transfert enclenche un mouvement de retrait massif : près de 6 milliards de dollars de dépôt sont retirés de la plateforme en 72 heures, avant que FTX gèle ces opérations pour les utilisateurs de ses principaux portefeuilles, notamment sur les blockchains Ethereum, Solana et Tron.

Un peu plus tard, évoquant ses problèmes de liquidité, Changpeng Zao annonce la volonté de Binance de racheter FTX. Quand bien même ce rachat placerait Binance en situation de monopole, il est interprété par les acteurs du marché des cryptomonnaies comme un sauvetage de la société et peut-être de l’écosystème tout entier. Mais, très rapidement, Changpeng Zao fait machine arrière : un audit fait apparaître des montages financiers quelque peu hasardeux et de possibles conflits d’intérêts. Le mercredi 9 novembre, Binance retire son offre.

En quête désespérée de liquidité et dans l’incapacité de se les procurer, Sam Bankman-Fried annonce alors le placement de FTX en faillite et démissionne. La chute de FTX ne provoque pas celle du secteur tout entier, mais de gros acteurs sont touchés. Ainsi du courtier Genesis, qui a annoncé détenir l’équivalent de 175 millions de dollars de fonds bloqués chez FTX.

Pour couronner le tout, la plateforme aurait été victime d’une cyberattaque : 477 millions de dollars auraient ainsi « disparu », pourtant stockés dans un « cold wallet », a priori plus sécurisé.

Des appels à la régulation

En France, l’AMF a adressé un courrier à une cinquantaine d’entités enregistrées comme prestataires de services sur actifs numériques (PSAN), afin de connaître leur exposition au géant américain. Quelques investisseurs institutionnels, gérants d’actifs, détenaient des parts dans FTX, mais le secteur financier traditionnel aurait assez peu pâti de cet effondrement.

Aujourd’hui, l’absence de décentralisation de la plateforme est parfois pointée du doigt comme responsable de sa chute. Mais, au-delà de son mode de fonctionnement, c’est bel et bien la question de la régulation des acteurs de l’univers crypto qui revient sur le devant de la scène, et celle du manque de transparence. Michael Barr, vice-président de la Fed en charge de la supervision bancaire, a d’ailleurs affirmé la nécessité d’une « action législative » afin d’instaurer de « solides garde-fous » et de protéger les utilisateurs des risques liés au marché des cryptomonnaies. La comparaison avec la chute de Lehman Brothers que l’on a pu lire ici ou là en est sans doute révélatrice : après l’effondrement de cette société auparavant considérée comme « too big to fail », le secteur des cryptomonnaies pourrait être à l’aube d’une nouvelle ère, durant laquelle la réglementation prendrait toute la place qui lui est nécessaire pour la protection à la fois du système et de ses utilisateurs.

Les acteurs eux-mêmes du secteur crypto semblent en appeler à cette régulation. «  Les régulateurs, à juste titre, examineront cette industrie beaucoup, beaucoup plus durement, ce qui est probablement une bonne chose pour être honnête », a affirmé Changpeng Zhao le 11 novembre, jour où FTX a été déclaré en faillite. Dans son sillage, d’autres entités crypto se sont dites prêtes à publier des audits. Pour sûr, ces dernières ont besoin de conserver la confiance de leurs utilisateurs si elles se veulent pérennes, et la seule voie envisageable passe, à tout le moins, par une plus grande transparence.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº874
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