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Régulation bancaire

L’ACPR confortée dans ses mesures de police administrative

Créé le

09.02.2023

-

Mis à jour le

24.02.2023

Par son arrêt du 9 décembre 2022 (CE 9 décembre 2022, Société Wari Pay, n° 456582), le Conseil d’État a confirmé
la légalité d’une interdiction temporaire d’activité prononcée par l’ACPR à l’encontre d’un établissement de monnaie électronique et a précisé les conditions d’obtention du régime dérogatoire afin de bénéficier d’une exemption d’agrément pour émettre ou gérer de la monnaie électronique.

La société Wari Pay est un établissement de monnaie électronique agréé par l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), qui commercialise un titre de paiement dénommé « Ticket Premium ». Distribué par un réseau de buralistes, ce titre permet d’acheter des services sur des sites marchands de jeu d’argent et de hasard. À la suite d’un contrôle, qui a révélé une situation financière fortement dégradée et la résiliation prochaine du contrat de cautionnement conclu avec un établissement financier pour garantir les fonds collectés, le collège de supervision de l’ACPR a interdit temporairement à la société Wari Pay d’exercer son activité d’émission de monnaie électronique. Cette décision a été portée à la connaissance du public au moyen d’un communiqué publié sur le site Internet de l’Autorité. Wari Pay a sollicité, en vain, de l’ACPR le bénéfice du régime de l’exemption d’agrément prévu à l’article L. 525-5 du Code monétaire et financier (CMF) afin de poursuivre son activité.

La société a alors demandé au Conseil d’État d’annuler pour excès de pouvoir la décision du 15 juin 2021, par laquelle l’ACPR a prononcé à son encontre une interdiction temporaire d’exercer son activité d’émission et de gestion de monnaie électronique et a décidé de publier cette décision, ainsi que celle du 7 juillet 2021, par laquelle l’Autorité a rejeté sa demande de poursuivre son activité sous le régime de l’exemption d’agrément. Par l’arrêt commenté, la Haute Juridiction écarte l’ensemble des moyens soulevés par la société requérante et rejette sa requête.

Une interdiction justifiée
et proportionnée

L’interdiction temporaire d’activité contestée par la société Wari Pay relève des mesures de police administrative que l’ACPR peut édicter en application des articles L. 612-30 à L. 612-37 du CMF. Cette décision a été adoptée sur le fondement de l’article L. 612-33 du même code, qui permet à l’ACPR, lorsque la solvabilité ou la liquidité d’une personne soumise à son contrôle ou les intérêts de ses clients sont compromis ou susceptibles de l’être, de prendre les mesures conservatoires nécessaires, et notamment de limiter ou d’interdire temporairement certaines activités. L’interdiction temporaire prononcée par l’ACPR était motivée par le constat que la garantie financière dont disposait la société requérante pour protéger les fonds de ses clients collectés en contrepartie de l’émission de monnaie électronique prendrait fin le 11 juillet 2021 et qu’à compter de cette date les intérêts de ses clients étaient susceptibles d’être compromis.

À l’appui de son recours contre cette décision, la société Wari Pay invoquait trois moyens.

En premier lieu, la requérante soutenait que les Tickets Premium ne constituent pas de la monnaie électronique au sens du I de l’article L. 315-1 du CMF et ne sont dès lors pas soumis aux règles prudentielles de protection des fonds collectés applicables aux émetteurs de monnaie électronique. Le Conseil d’État a considéré que ce produit répond à la définition légale de la monnaie électronique : l’acquisition de Tickets Premium donne lieu à l’émission d’un code électronique PIN, auquel est associée une ligne de valeur monétaire utilisable comme moyen de paiement pour l’achat de services auprès de sociétés de paris en ligne et d’opérateurs de jeu vidéo et cette valeur monétaire représente une créance sur la société Wari Pay, dont l’exploitant du site marchand peut lui demander remboursement. L’ACPR n’a donc pas méconnu le champ d’application du I de l’article L. 315-1 du CMF.

En deuxième lieu, la société requérante prétendait que les règles prudentielles de protection des fonds collectés prévues à l’article L. 526-32 du CMF ne s’appliquaient pas à elle mais aux buralistes du réseau de distribution des Tickets Premium, au motif qu’elle ne collectait pas de fonds du public. Le Conseil d’État estime que même si « les fonds des clients ne sont effectivement pas collectés directement par la société Wari Pay, ils le sont pour son compte et lui sont reversés par ses distributeurs dans le cadre d’un réseau de distribution mandaté à cet effet ». Il lui revient, par ailleurs, de rembourser aux sites marchands le montant des tickets utilisés et aux utilisateurs celui des tickets non utilisés. Le Conseil d’État conclut que la société Wari Pay collecte des fonds au sens de l’article L. 536-32 du code et que l’Autorité n’a pas commis d’erreur de droit en faisant application de cette disposition à la requérante.

En dernier lieu, la société Wari Pay affirmait que l’interdiction temporaire d’activité qui la frappait était injustifiée, en l’absence de risque pesant sur les intérêts de la clientèle, et disproportionnée. Le Conseil d’État écarte aussi ce moyen après avoir souligné que l’apport financier des actionnaires afin de mettre fin à la procédure de redressement judiciaire ouverte à son encontre ne permettait de financer son activité que pour trois mois, que la poursuite de celle-ci au-delà de cette période dépendait de la mise en place d’une garantie financière après le 11 juillet 2021 – date de résiliation du contrat de cautionnement – et que la situation de la société requérante était, à la date de la décision attaquée, fortement dégradée. Il souligne, en outre, que la mesure « ne revêt qu’un caractère temporaire dans l’attente de la justification de la mise en place d’un dispositif de protection des fonds des clients conforme aux exigences prudentielles prévues par l’article L. 526-32 du code monétaire et financier ». La Haute Juridiction confirme encore la légalité de la publication de la décision d’interdiction temporaire d’activité, qui visait à informer les clients, actuels ou potentiels, de la société Wari Pay de ce que leurs fonds risquaient de ne plus être protégés à compter du 11 juillet 2021.

La possibilité de cumuler régimes d’agrément
et d’exemption

La société requérante contestait également la décision par laquelle l’ACPR lui avait refusé le bénéfice du régime dérogatoire prévu par l’article L. 525-5 du CMF en vue de poursuivre son activité pendant la durée de l’interdiction temporaire d’activité. Cette disposition prévoit qu’une entreprise peut bénéficier d’une exemption d’agrément pour « émettre et gérer de la monnaie électronique en vue de l’acquisition de biens ou de services, uniquement dans les locaux de cette entreprise ou, dans le cadre d’un accord commercial avec elle, dans un réseau limité de personnes acceptant ces moyens de paiement ou pour un éventail limité de biens ou de services, à la condition que la capacité maximale de chargement du support électronique mis à la disposition des détenteurs de monnaie électronique à des fins de paiement n’excède pas un montant fixé par décret »1. L’exercice d’une activité d’émission ou de gestion de monnaie électronique sous ce régime n’est soumis qu’à une notification préalable.

Pour répondre à ce moyen, le Conseil d’État devait se prononcer sur le point de savoir si un établissement de monnaie électronique faisant l’objet d’une mesure d’interdiction temporaire d’exercice de son activité soumise à agrément peut continuer cette activité sous le régime dérogatoire de l’article L. 525-5 du code, sans pour autant renoncer à son agrément. En effet, la société Wari Pay avait manifesté sa volonté de conserver son agrément. Si le CMF organise le passage d’un régime de l’exemption vers celui de l’agrément2, aucune disposition ne prévoit ni n’interdit le cumul de ces deux régimes par la même personne morale. Le Conseil d’État en déduit qu’un tel cumul est possible sous réserve que la société concernée ait obtenu une autorisation préalable de l’ACPR, afin d’éviter que le bénéfice de l’exemption serve à contourner les règles prudentielles ou à priver d’effet utile l’interdiction temporaire d’activité.

Wari Pay n’ayant pas demandé d’autorisation mais seulement indiqué son intention de le faire ultérieurement, les moyens invoqués au soutien de son recours sont écartés.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº878
Notes :
2 Ce montant a été fixé à 150 euros. C. mon. fin., art. D. 525-1.
3 C. mon. fin., art. L. 526-11.