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Quand le devoir de vigilance couvre des pratiques anticoncurrentielles

Créé le

22.05.2023

-

Mis à jour le

07.07.2023

Sous prétexte de lutter contre l’argent sale, certaines banques traditionnelles ont bloqué des transferts d’argent vers les nouveaux acteurs de la finance. Mais préjuger de la destination illicite d’un placement semble pour le moins abusif.

Le renforcement de la connaissance du client et la lutte contre le blanchiment incitent les banquiers à interdire des virements vers des comptes extérieurs. Un devoir de vigilance bien pratique pour éviter une fuite de capitaux vers les néobanques ou des services financiers innovants. S’agit-il d’une prudence abusive de la part des banques traditionnelles ?

Injonctions paradoxales

En plein confinement, pendant la crise du Covid, la consommation des Français baissait et leur épargne s’accumulait. Et, comme ils avaient du temps, certains se sont intéressés aux différentes possibilités de placements. Les banques traditionnelles ont alors vu apparaître de nombreux virements vers de nouveaux acteurs : plateformes de cryptomonnaies, néobanques, mais aussi les sociétés de notre groupe. Les banquiers ont alors décidé de protéger leurs clients d’un risque éventuel de placements frauduleux.

Très rapidement, plusieurs banques ont décidé d’interdire ces virements, pourtant vers des IBAN français (pour notre part) et souvent européens pour d’autres. Nos clients ont ainsi reçu des e-mails explicatifs sur ce blocage de virements : « Certains organismes sont bloqués parce qu’il apparaît que de nombreux virements frauduleux ont été faits vers ces organismes. »

La liste est assez étonnante : elle comporte surtout des néobanques, y compris françaises, et un prestataire de services financiers... appartenant à une grande banque.

Mais, surtout, l’argument est franchement tendancieux. La banque connaît l’origine des fonds de son client, elle sait qu’il ne blanchit pas d’argent. Ou alors c’est déjà le cas sur son compte courant et c’est elle qui serait en faute !

Le devoir de vigilance bouscule une autre obligation des banquiers : la non-immixtion dans les affaires du client. Autrement dit : le client fait ce qu’il veut de son argent... tant que c’est légal. Et c’est exactement le cas pour de nombreux investissements hors système traditionnel. Évidemment, il existe des arnaques et il convient de rester prudent. Mais préjuger de la destination frauduleuse d’un virement pour le bloquer est pour le moins abusif.

L’arme réglementaire, mauvaise habitude française

Tous les acteurs français et européens sont concernés, d’autant plus que le régulateur impose à l’ensemble des organismes financiers les mêmes règles de connaissance du client (KYC) et de provenance des fonds qu’aux banques traditionnelles. Certains clients de N26, la néobanque allemande, dont les comptes ont été fermés du jour au lendemain après des contrôles, en sont témoins. Le banquier n’a donc absolument pas à interdire des transferts vers des comptes européens, et encore plus français. Si le client fait de mauvais choix d’investissement, s’il est victime de la perte de son capital, c’est son problème. Il devra aussi se mettre en conformité avec le fisc en déclarant ces comptes à l’étranger et payer l’impôt en cas de plus-values.

Après l’exigence sur la connaissance du client et la provenance des fonds, la finance traditionnelle a dégainé une nouvelle arme au début de l’année pour stopper le développement des start-up de l’univers des cryptomonnaies.

Un amendement a été présenté au Parlement pour imposer le statut de prestataire de services sur actifs numériques (PSAN) à ces entreprises. Pour la plupart, la charge réglementaire et de conformité aurait été trop lourde.

L’amendement a été rejeté, mais avec une clause de revoyure. Une bataille a été gagnée par les nouveaux acteurs, mais certainement pas la guerre.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº881