Square
 

Commission européenne – Un pas de plus vers l’union bancaire

Créé le

26.08.2022

-

Mis à jour le

27.06.2023

Publiée le 27 octobre 2021, la dernière proposition de la CE vise à transposer les accords de Bâle 3 dans la réglementation européenne. Élément clé de la réponse de l’UE à la crise financière mondiale, elle comble un certain nombre de lacunes du cadre prudentiel qui existait avant la crise. In fine, elle pose les bases réglementaires d’un système bancaire résilient et efficace dans son soutien à l’économie réelle.

La phase de finalisation des réformes prudentielles dans le domaine bancaire a désormais commencé. Cette évolution de la réglementation issue des accords de Bâle 3 entraîne des conséquences pour le secteur bancaire. Depuis la crise financière (2007-2008) et le sauvetage d’institutions financières par certains États membres, l’Union européenne (UE) a entrepris une série de réformes ambitieuses en vue d’assainir le système bancaire européen. Ces réformes s’inscrivent dans une perspective plus large visant à renforcer la supervision des banques systémiques1 en finalisant l’union bancaire2, l’objectif étant de protéger l’argent des contribuables en cas de crise bancaire.

Grâce aux réformes entreprises après la crise financière, les banques ont réalisé des progrès dans le renforcement de leurs fonds propres3 et un assainissement de leurs bilans. Toutefois, un certain nombre de risques persistent et ne sont pas suffisamment pris en considération dans la législation du secteur financier. La Commission européenne est résolument engagée à transposer ces normes internationales afin d’accroître les exigences en fonds propres et de consolider les règles régissant les modèles internes. En effet, l’une des avancées majeures que porte la proposition législative de la Commission est d’introduire un plancher de fonds propres4 (output floor) afin de limiter la capacité des banques à réduire les exigences minimales de capitaux lorsqu’elles utilisent des modèles internes pour le calcul réglementaire de ces exigences. Les banques employant ces modèles internes pour calculer leurs exigences en fonds propres dans la prise en compte de leurs risques5 ne pourront donc pas définir un montant inférieur à ce plancher. Cette réforme accroît la transparence des ratios de fonds propres puisqu’elle donnera la possibilité de les comparer de manière plus fine, tout en tenant compte des risques pris et des différents modèles d’affaires des banques. Cette avancée permettra de garantir la confiance dans la robustesse des ratios et dans la solidité du secteur bancaire.

L’output floor, la mère des réformes

Le règlement CRR (Capital Requirements Regulation) proposé par la Commission transpose fidèlement les derniers éléments de la réforme de Bâle 3 dans l’UE tout en tenant compte des spécificités de l’économie européenne6. Étant donné les niveaux actuels de fonds propres des banques européennes, la réforme ne devrait pas conduire à une augmentation importante en termes de capitaux (cette augmentation devrait être limitée à une hausse de fonds propres inférieure à 10 %)7. Enfin, la proposition de règlement réduit les coûts de reporting réglementaire8 pour les petites banques, sans pour autant assouplir les normes prudentielles.

L’introduction d’un mécanisme de plancher de fonds propres (output floor) est la mère des réformes afin de garantir une transposition crédible et fidèle des accords de Bâle 3 au sein de l’UE. L’objectif majeur visé par cette introduction est de diminuer le risque lié au modèle, notamment lorsqu’une banque sous-estime les exigences réglementaires de fonds propres en vue de couvrir les risques9 générés par son activité. Une revue des modèles internes réalisée par la Banque Centrale Européenne (BCE) dans le cadre de la supervision des banques systémiques a conclu que les exigences de fonds propres calculées par des modèles internes peuvent varier de manière significative, y compris pour des expositions similaires ou comparables. Une partie de cette variabilité ne peut s’expliquer seulement par les caractéristiques des expositions, mais dépend des modèles eux-mêmes. Dès lors, l’output floor vise à réduire cette variabilité injustifiée et donc à augmenter la robustesse des ratios de fonds propres des banques utilisant des modèles internes. Ainsi, une banque utilisant un modèle interne devra aboutir a minima à un montant de fonds propres représentant 72,5 %10 du montant obtenu par une approche standardisée11 pour calculer ses fonds propres dans le cadre de la couverture de ses risques. L’approche du Comité de Bâle, retenue par la Commission européenne, est dite à « empilement unique12 » en ce qui concerne la mise en œuvre du plancher de fonds propres et au titre de laquelle les banques n’ont qu’un seul moyen d’évaluer leurs fonds propres en fonction des risques.

Une supervision harmonisée et plus intrusive

La directive CRD (Capital Requirements Directive) renforce les pouvoirs des superviseurs afin d’identifier et de limiter les risques pris par les banques. La Commission européenne a considéré qu’un certain nombre de pouvoirs de supervision étaient insuffisants voire manquants. Aujourd’hui, cette insuffisance se produit lorsque des banques procèdent à des acquisitions de participations significatives au sein d’entités non financières, de transferts d’actifs ou de passifs ou dans le cas de fusions ou de scissions. Ce type d’opérations peut entraîner des conséquences négatives sur le profil de risque de l’établissement bancaire et sa situation financière. Afin de remédier à cette situation, la directive clarifie la possibilité pour les superviseurs d’évaluer ces opérations lorsqu’elles ont une dimension significative. Si elles sont susceptibles d’augmenter significativement le profil de risque de l’établissement (ou si elles font naître un doute sérieux quant à la nature de l’opération et/ou accroissent le risque de blanchiment d’argent), le superviseur peut conditionner ces transactions, voire s’y opposer.

De plus, la directive propose d’harmoniser les pouvoirs de sanction à la disposition des superviseurs. Elle améliore sensiblement leurs pouvoirs d’exécution avec la possibilité d’imposer des astreintes financières si la banque ne se conforme pas à la décision prise par les autorités de supervision. En outre, elle vise à élargir la liste des infractions faisant l’objet de sanctions administratives.

Dans le domaine de l’examen fit and proper, la proposition consiste en une harmonisation de l’évaluation des membres du conseil d’administration et du personnel clé des banques en définissant un mécanisme d’évaluation de la compétence et de l’intégrité avant leur entrée en fonction. Ce dispositif d’évaluation a priori permettra de réduire les risques réputationnels, renforcera les pouvoirs des superviseurs et consolidera la gouvernance des établissements de crédit.

Enfin, l’indépendance des superviseurs serait renforcée avec la mise en place de restrictions individuelles, limitant ainsi le risque de conflits d’intérêts entre les superviseurs et les banques ayant fait l’objet d’une supervision directe. Ainsi, un superviseur ou un directeur d’une autorité de supervision qui prennent des décisions relatives à la supervision d’un établissement bancaire ne pourront pas y travailler pendant une certaine période (deux ans). Cela concerne également l’interdiction pour les superviseurs de procéder à des achats de titres d’un établissement lorsque ces derniers exercent des fonctions de supervision directe de cet établissement.

En outre, l’UE est pionnière dans la prise en compte des risques environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) et la réforme entend associer les banques à la transition écologique. Dans la lignée de la nouvelle stratégie de la Commission européenne, qui vise à rendre le système financier européen plus durable, la directive proposée par la Commission inclut les risques ESG dans les systèmes de gestion des risques des banques. Afin d’y parvenir, des exigences claires sont définies en :

– demandant aux banques d’avoir des dispositifs de gouvernance et des plans de transition concrets approuvés par l’organe de direction pour faire face aux risques ESG ;

– habilitant les superviseurs à intégrer les risques ESG dans leur évaluation annuelle des risques (ainsi que les exercices de stress-test) ;

– imposant la divulgation des informations relatives aux risques ESG à toutes les banques.

La question des succursales de banques de pays tiers exerçant au sein de l’UE

La directive introduit des normes minimales en vue d’harmoniser les règles applicables et la supervision des succursales de banques de pays tiers dans l’UE. L’Autorité bancaire européenne (ABE), dans un rapport publié en 2021, mentionnait que 15 des plus grands groupes bancaires de pays tiers détiennent plus de 75 % de leurs actifs dans l’UE via des succursales. Toutefois, les conditions d’établissement de ces succursales font l’objet d’une harmonisation a minima et reposent presque exclusivement sur un ensemble disparate de normes nationales. Au sein du droit européen, il n’existe pas de règles communes dans le domaine de l’agrément et des exigences prudentielles applicables à ces entités. La supervision de ces succursales de pays tiers et la répartition des rôles et des compétences entre les autorités de contrôle européennes et les superviseurs de pays tiers ne fait pas non plus l’objet d’un cadre de coopération homogène et cohérent. Ainsi, la présence active de ces succursales de pays tiers au sein de l’UE couplée à un faible cadre réglementaire amplifie les risques d’arbitrage réglementaire et représente une source de risque pour la stabilité financière européenne.

La directive répond à ces préoccupations en matière de stabilité financière en établissant un cadre prudentiel européen complet et proportionné pour les banques de pays tiers qui exercent des activités financières au sein de l’Union. La proposition introduit des règles minimales en termes d’agrément, de capital, de liquidité, de gouvernance et de supervision de ces succursales de pays tiers. Elle assurerait que les superviseurs aient une vision complète des activités des banques internationales en Europe. Enfin, il est proposé de doter les autorités de supervision d’un mécanisme d’évaluation des risques systémiques, notamment si les actifs de la succursale sont égaux ou supérieurs à 30 milliards d’euros dans un ou plusieurs États membres. Les autorités de supervision nationales seraient ainsi en mesure d’évaluer si ces succursales sont d’importance systémique pour les États membres. Dès lors, elles pourraient exiger que l’entité mère du groupe bancaire transforme ses succursales en filiales afin de les soumettre aux exigences prudentielles du droit de l’UE.

À ce stade, la proposition de la Commission européenne fait l’objet de négociations au sein du Conseil et du Parlement européen. C’est seulement une fois que ces derniers auront trouvé un accord sur un texte commun que l’ensemble de la réforme pourra entrer en vigueur. En principe, un accord devrait être trouvé en 2023, pour une entrée en vigueur progressive à partir de 2025.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº871
Notes :
1 Les institutions financières d'importance systémique ont été définies comme celles dont « la faillite désordonnée, en raison de leur taille, complexité et de leur interconnexion systémique, causerait des troubles importants au système financier dans son ensemble et à l'activité économique ».
2 L’union bancaire rompt le lien entre les crises bancaires et le recours à de la dette publique utilisée auparavant pour sauver les banques en situation de faillite.
3 En 2022, les exigences globales en fonds propres et les orientations du CET1 sont à des niveaux solides en atteignant 10,6 % des actifs pondérés en fonction des risques d’après l’exercice annuel de supervision réalisée par la BCE.
4 Ce plancher de fonds propres est une nouvelle mesure qui vise à s’assurer de la comparabilité et de l’égalité de traitement des banques lorsqu’elles calculent leurs fonds propres.
5 Les risques principaux qui font l’objet d’une modélisation par les banques sont le risque de crédit, le risque de marché et le risque opérationnel.
6 Certaines caractéristiques de l’économie européenne sont prises en compte, telle que la contribution économique des petites et moyennes entreprises (dont la plupart ne font pas l’objet d’une notation de crédit). Un autre exemple est la prise en considération des participations à long terme et stratégiques des banques de l’UE : elles ne seront pas traitées prudentiellement comme des investissements spéculatifs.
7 Le paquet bancaire et la série de mesures proposés dans le cadre de la réforme de Bâle 3 devraient entraîner une augmentation des exigences de fonds propres des banques de l’UE inférieure à 9 % en moyenne à la fin de la période transitoire envisagée en 2030 (contre 18,5 % si les spécificités européennes n’avaient pas été prises en compte).
8 Le paquet bancaire propose un dispositif de centralisation des reportings réglementaires via une base de données qui sera gérée par l’Autorité bancaire européenne.
9 Le risque majeur auquel les banques font face est le risque de crédit. Pour un établissement de crédit, c’est le risque que l’emprunteur ne rembourse pas son crédit et expose l’établissement à des pertes. D’autres risques importants sont également pris en compte (risque de marché, risque opérationnel, etc.)
10 Le plancher de fonds propres sera progressivement augmenté à partir du 1er janvier 2025 sur une période de cinq ans. Le plancher de fonds propres passera progressivement d’une valeur de 50 % en 2025 à 72,5 % en 2030. Ainsi, l’avantage qu’une banque peut tirer de l’utilisation de ses propres modèles internes est limité à 27,5 % en comparaison avec une banque utilisant la méthode standard.
11 L’approche standard permet à un établissement de crédit de calculer son niveau de fonds propres en appliquant une formule mathématique.
12 Cette approche est plus communément appelée « single stack » dans le règlement européen CRR.
RB