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Conjuguer transition
écologique et valorisation de l’épargne

Créé le

08.12.2023

-

Mis à jour le

04.01.2024

Investir massivement dans les infrastructures bas carbone devient aujourd’hui un enjeu vital pour amplifier les solutions existantes.

Le défi colossal du changement climatique transcende les frontières environnementales pour devenir une question économique, sociale, sanitaire, et humaine. La mise en œuvre de mesures d’atténuation et d’adaptation devient impérative, nécessitant des investissements considérables, évalués annuellement de 3 000 à 4 000 milliards d’euros à l’échelle mondiale et autour de 1 000 milliards pour l’Union européenne.

Acteurs publics et privés, la question qui se pose à nous est celle de notre engagement à mobiliser les ressources financières existantes vers le financement des infrastructures énergétiques décarbonées, des transports durables, de la gestion de l’eau, ou encore de l’industrie et de l’innovation.

Le secteur financier a déjà fait un pas significatif vers des investissements durables. Les initiatives telles que l’ISR (investissement socialement responsable), la taxonomie européenne, la finance à impact et la réglementation SFDR (Sustainable Finance Disclosure Regulation) ont incité les investisseurs institutionnels à soutenir des projets rentables et respectueux du climat.

En France, on compte aujourd’hui 195 fonds classés article 9 SFDR, représentant une capacité d’investissement de 72 milliards d’euros, largement fléchée vers les infrastructures décarbonées. Cette mobilisation n’est pas seulement un acte financier. Il s’agit d’une contribution tangible au déploiement de technologies matures et à l’émergence de solutions bas-carbone. Pour les investisseurs de long terme (assureurs, mutuelles notamment), c’est aussi une façon d’investir dans une classe d’actifs, les infrastructures, aux revenus et aux rendements largement prévisibles et immunisés de l’inflation. Par ailleurs, ils réduisent ainsi leur exposition aux actifs susceptibles de devenir obsolètes, en se positionnant sur des actifs plus résilients. Certains l’ont bien compris et se détournent des énergies fossiles, considérées de plus en plus comme des actifs échoués1.

Les efforts actuels restent cependant largement insuffisants : moins d’un quart des investissements nécessaires est engagé pour atteindre le Net Zéro en 20502.

Une performance encore mal mesurée

L’atteinte du Net Zéro est très mal capturée par les mesures de la performance d’un projet. Elles se résument encore bien souvent au traditionnel taux de rendement interne (TRI). L’intégration croissante de critères extra-financiers tels que l’ESG (environnemental, social et de gouvernance), les objectifs de développement durable de l’Organisation des Nations unies (ONU) et la taxonomie constituent une avancée, mais il est temps de renforcer notre grille d’analyse. Il faut accorder une plus grande place aux externalités des projets, en particulier à leur impact écologique et climatique, notamment lors de la prise de décision d’investissement. Il faut surtout s’assurer de correctement mesurer les risques, qu’ils soient physiques, assurantiels, sécuritaires, réglementaires, réputationnels, d’approvisionnement, et opportunités des entreprises et projets. La viabilité de certains modèles d’affaires est en jeu.

Plusieurs pistes existent pour mieux appréhender leurs impacts. Certaines passent par la mesure du CO2. Malgré certaines limites, elle constitue une boussole physique utile. Ainsi, Getlink, maison mère d’Eurotunnel, calcule et publie sa marge décarbonée, indicateur financier qui relie performances financière et climatique. Sa méthodologie évalue la résistance climatique des produits ou services d’une entreprise et valorise ainsi les moins émissives et celles proposant des solutions de lutte contre le changement climatique. L’approche de l’association Dividendes Climat évalue la contribution d’un investisseur à l’impact positif sur le climat d’une entreprise dans laquelle il investit. Un dividende climat est ensuite « distribué » aux actionnaires investis dans les projets contribuant à la décarbonation de l’économie.

Plus largement, le principe de double matérialité, porté par l’Europe, va imposer aux acteurs financiers de suivre l’impact de leur portefeuille d’actifs notamment sur le changement climatique et la perte de biodiversité, ainsi que la vulnérabilité de ce même portefeuille à ces deux éléments. La mise en œuvre de ce principe, dont l’entrée en vigueur est prévue entre 2024 et 2028, est un réel défi, mais elle peut devenir un outil structurant pour accompagner l’émergence de modèles d’affaires soutenables.

Protéger la valeur actuelle

L’introduction de la double matérialité permettra de disposer d’outils méthodologiques de mesure. Les données contribueront à confirmer la relation entre le poids carbone d’un projet ou d’une entreprise et son risque climatique propre. Et ainsi de démontrer une intuition forte : les projets les plus chargés en carbone sont majoritairement aussi les plus exposés aux risques climatiques. À l’inverse, les projets les plus vertueux font partie de la solution pour limiter le changement climatique et ils ont globalement un profil de risque climatique plus faible. En se projetant dans un monde dans lequel la neutralité carbone devient la règle (dans quelques années), on comprend instantanément le lien entre une approche durable, décarbonée, et le TRI in fine du projet financé.

La meilleure mesure des risques climatiques se traduira par l’introduction d’une prime de risque climatique dans l’analyse du rendement, rendant bien plus onéreux les projets les plus carbonés.

Certaines sociétés de gestion et investisseurs anticipent ce changement de paradigme, en intégrant les risques climatiques dans leurs décisions d’investissement. S’agit-il des mêmes qui investissent largement dans les projets bas-carbone ? C’est ma conviction. Pour des investisseurs de long terme, l’approche est rationnelle : d’un point de vue strictement financier, la valeur d’un actif/projet se mesure par l’actualisation des flux financiers qu’il dégage. Le dernier flux financier – dit valeur terminale – est un des déterminants clés de la valeur actuelle qu’il faut donc absolument protéger. Or cette valeur, c’est une valeur dans 10 ans, 20 ans, voire 30 pour certains projets d’infrastructure. Ne pas avoir intégré la dimension bas carbone au moment de la décision d’investissement fera chuter – voire annihilera – la valeur du projet/actif au moment de la « sortie ».

C’est dans cette dynamique que s’inscrit Épopée Gestion avec son fonds Infrastructures et Climat. Ce fonds accompagne des projets innovants et bas-carbone, tels que des navires à propulsion par le vent. Ce type de porte-conteneurs coûte plus cher que leurs équivalents conventionnels et nécessite par conséquent une structuration contractuelle et financière forte pour viabiliser le projet. Mais ces cargos véliques répondent aux impératifs de décarbonation du secteur, offrant une alternative solide aux investissements traditionnels exposés aux risques climatiques et réglementaires.

Agir en investisseur rationnel et de long terme impose désormais d’anticiper un monde bas-carbone pour contribuer à la transition écologique ; cela permet aussi de protéger et valoriser le capital confié par les investisseurs. 

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº887-888
Notes :
1 Les actifs échoués (en anglais, stranded assets) sont des projets susceptibles de devenir obsolètes ou dépréciés, en raison notamment de changements réglementaires, du progrès technologique, de l’évolution des préférences des consommateurs ou de risques de litiges.
2 Le Net Zéro se réfère à zéro émission nette de gaz à effet de serre. Il signifie que les émissions de gaz à effet de serre sont réduites à un niveau aussi proche de zéro que possible, les émissions résiduelles étant réabsorbées, par les forêts ou les océans par exemple.
RB