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Règlement et transparence

Champ de mines ou générateur de confiance ?

Créé le

13.01.2023

-

Mis à jour le

14.02.2023

Entre présomption de “greenwashing”, perte de confiance des consommateurs et risque pour les fonds d’y laisser leur réputation, le chemin vers l’investissement durable semble quelque peu escarpé. Et pourtant, ces investissements qu’il faudrait très vite amener au niveau de 2 500 milliards de dollars annuels sont vitaux pour l’économie d’impact.

Après un bilan désolant dû à la reclassification des fonds Article 9 en Article 8, il s’agit de redoubler d’efforts et de pédagogie pour redonner confiance aux consommateurs dans les investissements dits « durables ». L’ambition de la réglementation Sustainable Finance Disclosure Regulation (SFDR) est de renforcer la transparence des produits financiers afin d’empêcher le greenwashing et de rediriger les flux de capitaux vers des investissements durables dans le cadre du Green Deal de l’Union européenne. Alors, que s’est-il passé ? Plusieurs études et articles récents mettent en lumière les failles et la complexité de SFDR, dont la principale critique est le manque de clarté dans la définition même de ce que devrait être un investissement durable :

– SFDR dit qu’il faut rediriger les flux financiers vers une économie dite « de transition », plus juste, mais sans donner les outils pour le faire ;

– selon SFDR, les gérants d’actifs doivent promouvoir la transparence et classer leurs fonds selon leur durabilité (art. 6, 8 ou 9). Mais SFDR ne fixe pas de seuil entre ces articles, hormis pour l’Article 9, qui précise que 100 % des investissements doivent être durables. Et là encore, la loi ne définit pas encore le terme « investissement durable ».

Morningstar estime à moins de 5 % les fonds Article 9 ciblant une exposition aux investissements durables entre 90 % et 100 %. Seuls 26 fonds viseraient une allocation de 100 % aux investissements durables. En parallèle, Novethic démontre que la plupart des fonds présentent des explications peu claires quant à leurs objectifs et à la démarche suivie pour les atteindre, s’appuyant sur peu d’indicateurs d’impacts pour mesurer leurs réelles contributions. Une récente enquête d’un consortium de journalistes, publiée dans Le Monde, met en lumière les actifs carbo-intensifs de nombreux fonds verts européens classés Article 9. Enfin, certains de ces fonds sont également accusés d’avoir contribué au travail forcé des Ouïghours.

Cet écart entre les promesses de SFDR et la réalité, provenant probablement dans la plupart des cas d’une interprétation tournée à leur propre avantage, remet tout de même en question la qualité de ces produits financiers considérés comme les plus durables du marché aux yeux du grand public. Mais, comme le précisait à juste titre Philippe Zaouati, Chief Executive Officer de Mirova, un des pionniers mondiaux de l’investissement durable, « ces analyses sont utiles, mais elles tendent trop souvent à jeter le bébé avec l’eau du bain, en suspectant toute la finance verte de greenwashing et en ne faisant pas de distinction entre les différentes pratiques qui existent sur le marché ».

Voilà donc où nous en sommes, à l’aube de l’entrée en vigueur de la régulation : défiance et méfiance à l’égard de la finance durable pour les consommateurs ; réticence et risque de réputation pour les gestionnaires d’actifs. Autant dire que le contexte n’est pas très favorable pour faire avancer l’économie d’impact. Sur quoi les acteurs de la finance devront-ils se concentrer pour agir sur les deux tableaux ?

Des indicateurs et, surtout,
de l’analyse d’impact

S’il ne fallait prendre qu’une seule direction pour servir de boussole à tout le secteur, ce serait celle de recourir à des méthodologies de mesure rigoureuses et transparentes, qui soient à la hauteur des changements nécessaires pour réussir la transition écologique et sociétale de nos économies.

Les règles actuelles de SFDR ne pourront pas répondre à elles seules à l’ambition visée par la loi, c’est-à-dire renforcer la transparence des produits financiers afin de prévenir le greenwashing et de rediriger les flux de capitaux vers des investissements durables. La solution est que SFDR soit accompagnée d’outils pour mesurer et évaluer l’impact de ces investissements afin de lever le doute sur d’éventuelles interprétations.

Comme le montre le déficit en investissements destinés aux ODD (Objectifs de développement durables de l’ONU) qui s’élève à 2 500 milliards de dollars annuels, nous n’avons plus le temps d’attendre. Bien entendu, la crise de la Covid-19 ne vient en aucun cas atténuer cet effort financier nécessaire qui reste colossal.

Le système financier compte plus de 379 000 milliards de dollars d’actifs détenus par les banques, les investisseurs institutionnels et les gestionnaires d’actifs. En réallouer seulement 1,1 % suffirait pour combler le déficit de financement croissant des ODD. Les ressources sont donc disponibles.

SFDR, un rappel de la loi

Un investissement est considéré comme durable lorsque c’est un « investissement dans une activité économique qui contribue à un objectif environnemental, mesuré par exemple au moyen d’indicateurs clés [...], ou un investissement dans une activité économique qui contribue à un objectif social [...], ou un investissement dans le capital humain [...], pour autant que ces investissements ne causent de préjudice important à aucun de ces objectifs et que les sociétés dans lesquels les investissements sont réalisés appliquent des pratiques de bonne gouvernance [...]. »

En substance, la définition d’un investissement « durable » est bien trop large et la manière dont elle est interprétée diffère d’un acteur financier à l’autre. En effet, en l’absence de clarté, les investisseurs ont élaboré leurs propres cadres internes. Cependant, si SFDR ne parle pas d’impact explicitement, la loi en reprend tout de même les concepts clés : la contribution, la mesure, et ne pas causer de préjudice. Attardons-nous un moment sur ces trois concepts qui appartiennent à l’impact et que nous considérons comme le ciment d’un dispositif qui permettrait un retour à la confiance dans les investissements durables.

La contribution

Pour qu’un investissement soit qualifié de contribution positive au développement durable, l’activité financée (c’est-à-dire les produits/services de l’entreprise) devra contribuer à la réalisation des ODD, vérifiée par une analyse holistique au niveau de l’entreprise. Par impact positif, on entend un « changement durable dans la vie des parties prenantes lié à l’action d’une organisation ».

Voici un extrait d’une liste de critères que nous avons mise en place pour déterminer si une entreprise génère (ou non) un impact positif : est-ce que l’impact que l’organisation vise à générer est le résultat d’activités concrètes et continues ? L’objectif de l’activité peut-il être lié à l’une des cibles des ODD ? L’impact est-il véritablement positif ou une simple réduction d’un impact négatif ? La théorie du changement (TOC) est-elle valide et reconnue ? Comment ce changement se manifeste-t-il financièrement pour l’entreprise ?

Le chemin vers un impact positif commence par l’intentionnalité : l’entreprise a une intention claire d’atteindre les objectifs fixés et elle est en mesure d’indiquer exactement la stratégie pour y parvenir.

La mesure

Les PAI (Principal Adverse Impacts) constituent un ensemble d’indicateurs détaillés pour évaluer les impacts négatifs des entreprises. Cependant, ils ne permettent pas de rendre compte de la portée globale de l’impact.

Les entreprises doivent utiliser une série d’indicateurs et suivre leur évolution, afin de rendre tangible la réalité de la transformation recherchée. Par exemple, si un fonds se fixe comme objectif d’améliorer l’accès à une énergie propre et abordable, les PAI ne permettent pas de mesurer l’évolution de l’accès à l’énergie.

Pour mesurer la contribution positive, il faut donc utiliser d’autres indicateurs d’impact standardisés, tels que ceux proposés par IRIS+. Par exemple, pour notre entreprise d’énergies renouvelables, ces indicateurs d’impact pourraient prendre la forme suivante :

– calcul des économies d’énergie par produit vendu (en KWh) ;

– étude de la variation des réductions de GES par produit vendu ou service rendu (tonnes métriques) ;

– évaluation du pourcentage d’économies réalisées sur le budget « énergie » des ménages.

La mesure d’impact appelle un vocabulaire précis et explicite, qui va demander un niveau de pédagogie élevé de la part des acteurs.

Les informations données doivent être claires et complètes ; des preuves doivent aussi être apportées. La mesure d’impact doit renvoyer une image réaliste et honnête de l’impact d’une organisation, de ses activités, de ses projets, afin de permettre une prise de décision informée et éclairée des parties prenantes. C’est en partie en créant une mesure claire, transparente et standardisée que les consommateurs reprendront confiance dans les investissements et les fonds durables.

Ne pas causer de préjudice

Le DNSH (Do Not Significant Harm ou « ne pas causer de préjudice important ») est l’un des principes fondamentaux de SFDR. Le concept à retenir ici est simple : une activité ne peut pas contribuer positivement et donc être qualifiée de « durable » si, en parallèle, elle nuit.

Prenons un exemple concret pour illustrer ce principe avec l’entreprise danoise Vestas, spécialisée dans la fabrication d’éoliennes. 100 % du chiffre d’affaires de Vestas contribue à accroître la part de l’énergie renouvelable dans le bouquet énergétique mondial (ODD 7.2), ce qui paraît, dans un premier temps, très positif. Cependant, l’entreprise doit obligatoirement analyser les impacts négatifs environnementaux et sociaux des éoliennes sur la biodiversité, prouver sa bonne gestion du recyclage des pales en fin de vie, évaluer l’utilisation de terres rares, minéraux problématiques, s’assurer du respect des droits de l’homme, etc. En effet, ces éléments peuvent potentiellement affecter l’indicateur DNSH et annuler l’effet positif de la contribution.

Une analyse ESG sur ces DNSH se concentre encore trop sur la question de savoir si une entreprise a mis en place les politiques et procédures internes, afin d’éviter que ces impacts négatifs ne se matérialisent. Même s’il est évidemment important de répondre à cette question, il s’avère que ces données ne renseignent que les efforts de mise en œuvre de ces pratiques.

Le principe de DNSH est au cœur de la mesure d’impact, qui définit que ce n’est pas parce qu’une entreprise contribue positivement aux ODD qu’elle peut éviter de réduire ses impacts négatifs ou ne pas en tenir compte. En effet, un impact positif ne compense pas un impact négatif et il est nécessaire d’opérer une analyse approfondie et à 360° sur l’ensemble des impacts d’une entreprise.

Afin d’analyser au mieux les DNSH, au-delà de valider si l’entreprise a bien mis en place des politiques et procédures internes sur ces sujets, la mesure d’impact recommande une évaluation approfondie des véritables impacts et résultats provenant de ces pratiques.

Prenons l’exemple d’une entreprise qui dispense une formation X. L’analyse ESG va seulement relever que l’entreprise dispense une formation formelle à 451 employés, alors que l’analyse d’impact va déterminer que l’entreprise dispense une formation formelle à 451 employés, va analyser le périmètre sur lequel a été donnée la formation, évaluer les résultats en termes d’apprentissage et compétences acquises sur le terrain, puis les réévaluer au fil du temps. Ces notions ne sont pas nouvelles et se retrouvent dans les plus grands consensus mondiaux sur la mesure et la gestion de l’impact, comme l’Impact Management Platform.

La confiance dans les fonds durables ne reviendra que lorsque le consommateur ne sera plus confronté à des scandales de type Orpéa ou Téléperformance, dus à la sous-estimation patente de certains de leurs impacts négatifs. Pour ce faire, l’analyse ESG se doit de passer de l’adolescence à l’âge adulte en allant vers la mesure d’impact.

SFDR, un tremplin vers l’impact ?

Si les appels à la clarté se sont multipliés dans le secteur ces dernières semaines, notamment pour préciser ce qui est considéré comme un investissement durable, ce flou ne doit pas être une excuse à l’immobilisme, bien au contraire. Le risque réputationnel n’est pas une fatalité et s’anticipe en se dotant des bons outils.

Ce moment critique dans la mise en œuvre de la législation est une opportunité pour créer de bonnes pratiques de place, mettre en avant des méthodes déjà éprouvées, s’inspirer et collaborer afin de développer des pratiques à la hauteur de l’ambition de SFDR.

Avec une bonne analyse, les investisseurs peuvent allouer des financements aux entreprises ayant un impact positif, les écarter de celles qui ont un impact négatif, évitant ainsi les scandales de ces derniers mois et la perte de confiance qui s’ensuit immanquablement.

Bien entendu, le chemin vers la reprise de confiance va être long. Mais les enjeux pour les gestionnaires d’actifs sont tels qu’il apparaît évident qu’ils vont consacrer un peu de leur temps à la recherche d’outils qui sauront les conduire vers plus de rigueur, plus de transparence, et donc plus de confiance.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº877
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