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Moyens de paiement : Ce cheval de Troie qui menace la souveraineté européenne

Créé le

07.11.2023

-

Mis à jour le

07.12.2023

European Payments Initiative, euro numérique : ces projets montrent la difficulté à mettre en œuvre une Europe des paiements. Pour la Fondation Concorde, les cartes, chèques et autres moyens de payer sans manipuler pièces et billets, doivent, comme la monnaie, rester à la main des États. Ses travaux ont été divulgués aux Assises des technologies financières et en avant-première sur revue-banque.fr.

La crise sanitaire du Covid-19 et la guerre en Ukraine ont cruellement rappelé la dépendance de la France vis-à-vis de pays étrangers dans de trop nombreux domaines. Dans un contexte de « polycrises », le concept de souveraineté, il n’y a pas si longtemps considéré comme l’un des marqueurs d’un monde révolu, est sur toutes les lèvres et en tête de (presque) tous les programmes politiques. Cependant, et assez paradoxalement, l’urgence semble moins de mise quand il s’agit des menaces que fait peser sur notre souveraineté économique et monétaire notre dépendance chaque jour plus grande aux plateformes américaines de paiement auxquelles il convient d’ajouter désormais les Google (Alphabet), Apple, Facebook (Meta), Amazon et Microsoft (GAFAM) dont les offensives dans ce domaine sont de plus en plus massives.

La triste actualité de la guerre en Ukraine nous rappelle que l’État américain est en capacité d’utiliser cette dépendance pour faire pression sur des pays avec lesquels il est en conflit. C’est ce qui s’est passé à deux reprises avec les sociétés Visa et Mastercard, qui ont toutes deux suspendu leurs opérations en Russie et en Biélorussie au lendemain de l’invasion de l’Ukraine. Une décision qui n’est pas une première puisqu’elle avait déjà été prise en 2014, à la suite de l’invasion de la Crimée. Ainsi, et par deux fois, il a été prouvé que le système de paiement de ces entreprises est à la main de l’État américain et que, bien que pays ami, ce dernier est non seulement en mesure de peser sur le fonctionnement d’une économie européenne de plus en plus convertie aux moyens de paiement numériques mais encore de capter à son profit les précieuses données qui en résultent, ainsi que la toute aussi précieuse relation client. En constante évolution, les systèmes de paiement sont ainsi devenus un moyen de pression non seulement économique mais encore politique à la main de ceux qui les gouvernent, qu’ils soient des États ou des entreprises privées.

L’Europe des paiements, vite !

Alors que la monnaie unique européenne existe depuis plus de deux décennies et que la preuve est faite de l’urgence de la construction d’une Europe des paiements, le manque d’ambition, de cadre et de volonté politique, mais également l’ignorance de ces enjeux au sein de notre personnel politique, conduisent aujourd’hui des géants internationaux à nous imposer leurs solutions, et rien que leurs solutions.

C’est dans ce contexte que, portée par des acteurs privés (majoritairement des banques) et encouragée par la Banque Centrale Européenne (BCE), l’European Payments Initiative (EPI) a été créée afin de proposer un réseau de paiements paneuropéen, alternative crédible à Visa et Mastercard et offrant un large éventail de services, avec des paiements de pair à pair basés sur un portefeuille numérique (wallet). Cependant, et en dépit de son caractère éminemment stratégique pour la souveraineté européenne et de la volonté politique qui le sous-tend, le projet de système européen de carte n’a pas réussi à aboutir. Il a néanmoins maintenu les projets de paiement instantané et de portefeuille numérique sur lesquels repose aujourd’hui l’espoir de s’affranchir des solutions américaines. C’est dans le même esprit que la BCE a lancé en 2021 un projet d’euro numérique, une monnaie numérique de banque centrale destinée à répondre à la demande croissante de moyens de paiement électroniques en offrant une alternative fiable et sécurisée aux moyens de paiement disponibles sur le marché européen. Un moyen également de garantir la souveraineté numérique et monétaire de la zone euro en contenant les initiatives asiatiques et américaines dans le domaine des monnaies numériques.

Quatre propositions phares

Dans son dernier rapport intitulé « Relocaliser l’industrie des paiements : un impératif de souveraineté européenne », la Fondation Concorde propose des recommandations concrètes et opérationnelles pour reconquérir notre souveraineté sur les paiements.

La première est un effort urgent de pédagogie et d’information car si la question des paiements numériques n’a pas été suffisamment prise en compte par nos politiques, ni suscité de réactions à la hauteur des enjeux tant de la part des consommateurs que du monde du commerce, c’est bien parce que le sujet est complexe et souvent mal compris. La priorité, pour la Fondation Concorde, est de faire savoir que la France dispose d’un système de paiement souverain, parfaitement sécurisé et qui a fait la preuve à la fois de son efficacité et de sa résilience. Ce système est le réseau CB, un GIE interbancaire qui, depuis près de 40 ans, n’a cessé de développer le paiement par carte et par mobile, en y intégrant les dernières évolutions technologiques pour le rendre toujours plus ergonomique, performant et sécurisé. Pour promouvoir l’utilisation de ce système de paiement, il convient d’exiger des banques qu’elles le proposent de façon lisible aux consommateurs en leur imposant le co-badgeage de leurs cartes avec le logo CB.

La deuxième recommandation concerne l’adaptation de la régulation européenne au développement du paiement instantané, en particulier par une réévaluation des obligations de lutte contre le blanchiment d’argent, la fixation d’une règle sur le niveau de la commission sur les retraits et un encadrement des commissions d’interchange sur les cartes commerciales d’entreprises.

La troisième recommandation concerne le projet d’euro numérique avec la proposition d’un débat démocratique sur sa mise en œuvre et la fourniture de garanties quant à la confidentialité et la protection des données.

La quatrième recommandation porte sur la promotion du développement d’acteurs bancaires et industriels européens plus forts et de portée mondiale, en particulier en finalisant l’Union bancaire et en encourageant les consolidations transfrontalières par une révision de la jurisprudence et de la politique européenne en matière de concurrence afin de permettre la constitution de grands acteurs industriels internationaux européens.

L’atout fintech de la France

Enfin, la Fondation Concorde rappelle que la France dispose d’un écosystème de fintechs qui est devenu le n° 1 de l’Union européenne, avec près de 900 fintechs qui ont permis la création de près de 40 000 emplois. Un développement exemplaire à la faveur d’une politique audacieuse qui, loin de mettre en danger l’édifice financier européen comme certains le craignaient, a fait des fintechs françaises à la fois des partenaires stratégiques et un atout pour les banques traditionnelles en les encourageant à opérer leur transformation numérique et en leur offrant des solutions innovantes. Cependant, cet écosystème peut également se révéler être une menace pour notre souveraineté en tant que nos fintechs, y compris nos licornes, restent des proies faciles pour des géants de la tech dont les moyens, comme les ambitions, semblent désormais illimités. Protéger nos actifs stratégiques dans le secteur des services financiers, qu’il s’agisse de nos systèmes de paiement ou de nos fintechs, n’est ainsi plus une option mais un véritable impératif, si l’on veut éviter la vassalisation de l’Europe par les grandes puissances technologiques.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº886
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