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Hausse de l’inflation et des taux d’intérêt : des défis majeurs
pour les assureurs

Créé le

10.11.2022

-

Mis à jour le

30.11.2022

Le contexte économique et financier rebat les cartes du secteur assurantiel. Les impacts seront contrastés,
selon les lignes de métier et l’horizon
de temps. Mais ils conditionnent le futur de l’assurance.

L’inflation très faible et les taux d’intérêt bas, voire négatifs, sont derrière nous, conduisant à un changement drastique des politiques monétaires qui « reprice » le risque des actifs financiers. En zone euro, comme dans les autres régions du monde, l’inflation a connu un bond, passant en moins de deux ans d’un niveau négatif (-0,3 % en décembre 2020) à +10,7 % en octobre dernier. C’est également le cas en France.

$!Inflation et taux d’intérêts en France, en %

La soudaineté et la brutalité de cette hausse ont été alimentées par la concomitance des chocs. Côté demande, une épargne forcée pendant la crise du Covid conjuguée à des plans de relance massifs. Côté offre, un choc sur le prix des matières premières, notamment énergétiques, exacerbé par la crise russo-ukrainienne et les conséquences des politiques zéro Covid de certains pays sur les chaînes d’approvisionnement mondiales. Dans le cas de la France, ajoutons la mise à l’arrêt de près de la moitié des réacteurs nucléaires. D’après l’INSEE1, l’inflation pourrait progresser de +5,2 % en 2022 en moyenne annuelle, dont 2 points de pourcentage au titre des prix de l’énergie.

Les tensions salariales deviennent légion, risquant d’enclencher une boucle prix-salaire qui installe cette inflation inédite depuis 40 ans dans la durée. En conséquence, les banquiers centraux procèdent à une transformation de leurs politiques monétaires, d’abord en mettant fin à celles dites non conventionnelles, et ensuite en entamant un nouveau cycle haussier des taux d’intérêt directeurs.

Les marchés financiers réagissent à leur tour. Les taux d’intérêt des titres obligataires sont en hausse, tout comme les spreads de crédit. Les marchés boursiers chutent et présentent une volatilité qui témoigne de la nervosité des investisseurs quant à la forme que prendrait l’atterrissage des économies, entre ralentissement pour les uns, et récession pour les autres.

Une inflation élevée et des taux hauts vont-ils durer ? Les trois « D » – pour démondialisation, démographie et décarbonation – sont les principaux facteurs explicatifs des tenants d’un nouvel environnement économique. Si les prévisions de moyen terme des principaux instituts internationaux retiennent toujours un retour progressif vers la cible communément retenue de 2 % d’inflation, les écarts de prévision sur la période récente témoignent, une fois encore, de la fragilité intrinsèque de cet exercice, dans un environnement sujet aux chocs de toutes origines, en particulier géopolitiques, sociaux et sociétaux.

L’écart de duration actifs-passifs

L’activité de l’assurance est régie par un ensemble d’exigences prudentielles, avec Solvabilité 2, qui vise à mesurer l’impact financier dans le cas de scénarios extrêmes et à veiller à ce que les fonds propres disponibles soient suffisants pour y faire face. La marge de solvabilité, ratio entre les fonds propres et le capital de solvabilité requis (SCR en anglais), mesure la solidité ou le niveau de solvabilité d’une entité d’assurance. Malgré la brutalité du choc économique et des turbulences sur les marchés financiers provoqués par la crise sanitaire, le secteur s’est montré extrêmement résilient : fin 2021, il affichait un ratio de solvabilité de 242 % pour les entreprises d’assurance vie (+18 points de pourcentage par rapport à fin 2020) et de 264 % pour les entreprises d’assurance non-vie (+2 pp).

$!Ratio de solvabilité, en %

Mettant fin à des décennies de baisse quasi ininterrompue, la remontée rapide des taux d’intérêt à laquelle nous assistons depuis 2021 a contribué à renforcer la solvabilité du secteur, en raison de l’écart de duration entre les actifs et les passifs. La duration des passifs des entreprises d’assurance est structurellement plus longue que celles des actifs obligataires, ce qui implique que la valeur de marché du portefeuille d’actifs diminue relativement moins que la valeur de marché du passif, provoquant un impact positif sur la marge de solvabilité.

Compte tenu de l’importance des engagements à long terme du risque de taux, notamment pour les assureurs vie, l’effet de la remontée des taux a, en outre, largement compensé les baisses de valeurs observées sur les actifs dits risqués comme les actions ou les obligations d’entreprise. Outre l’effet lié à la duration, une autre conséquence notable résultant de la hausse des taux est la diminution de la valeur économique des garanties accordées aux assurés (garantie plancher sur les contrats d’assurance vie), qui contribue également positivement à l’amélioration des ratios de solvabilité. Ainsi, à fin juin, les marges de solvabilité des entreprises en France ont continué de s’améliorer, progressant, respectivement, à 253 % et 271 % pour les assureurs vie et non-vie (voir le graphique).

Si les évolutions récentes des conditions de marché se sont avérées globalement positives sur la solidité financière du secteur, ce constat doit être nuancé selon les lignes d’activité, à la fois en assurance vie et non-vie.

En assurance vie, les contrats ont en général peu d’exposition directe à l’inflation : très peu de rentes et/ou de garanties sont indexées et, si elles le sont néanmoins, elles restent généralement plafonnées à la performance d’un fonds de revalorisation ou de participation propre au contrat. En revanche, les contrats sont exposés indirectement à la concurrence d’autres produits d’épargne, à l’image des livrets réglementés comme le Livret A, qui, bien que leur nature et leur objet soient intrinsèquement différents, agissent comme marqueurs.

En ce qui concerne les impacts liés à la remontée des taux, si la hausse des rendements des actifs obligataires contribue à l’amélioration de la solvabilité des entreprises et à la performance des portefeuilles, elle pose deux nouveaux défis : (i) le risque de ralentissement des souscriptions sur les contrats en euro ; (ii) l’optimisation de la politique de participation aux bénéfices pour les fonds en euro afin d’accompagner l’évolution des taux de marché. Cette stratégie d’optimisation devrait tenir compte de la dynamique des cash flows futurs des portefeuilles à un moment où ceux-ci sont en situation de moins-values latentes obligataires résultant de la récente remontée rapide des taux de marché.

En assurance non-vie, les conséquences d’une hausse combinée des taux et d’inflation sont un peu différentes. Le renchérissement du coût des sinistres, déjà observables en assurance de dommages depuis plusieurs années, aussi bien en matériels qu’en corporels, est très sensiblement amplifié et vient pénaliser l’équilibre technique des entreprises. En effet, les assureurs évoluent dans un secteur concurrentiel qui limite leur capacité à répercuter le choc de coût sur les prix, au risque d’observer une hausse des résiliations. Dans le cas particulier des branches longues (construction, responsabilité civile), l’équilibre technique est également mis en tension car il repose sur un scénario d’inflation stable, aux alentours de 2 %. En revanche, et comme en assurance vie, la remontée des taux est bénéfique, en particulier pour les branches longues où les revenus financiers contribuent significativement à l’équilibre économique de ces activités. Et, dans une certaine mesure, la remontée des taux permet également de limiter la pression à la hausse sur les cotisations du fait d’une inflation élevée.

Au total, l’environnement actuel d’une inflation très élevée conjuguée à une hausse progressive des taux est négatif pour l’assurance, bien que dans une moindre mesure que pour l’économie dans son ensemble. Ceci s’explique par le principe sur lequel repose l’assurance dit de « cycle de production inversé » qui fait qu’une hausse des taux est plutôt positivetandis qu’elle augmente le coût du capital des entreprises des autres secteurs d’activité. C’est également la lecture donnée par les marchés financiers, qui indiquent une baisse plus importante pour les principaux indices que pour ceux dédiés à la profession.

$!<span class=mln_small-caps_mln>Indices boursiers européens</span>

Piloter le risque climatique

Si le changement brutal d’environnement macroéconomique renforce dans un premier temps la solidité financière des entreprises d’assurance et les opportunités d’investissement, il n’en demeure pas moins qu’il est également porteur d’incertitudes et met de fait la profession face à plusieurs défis :

– doit-elle revisiter en profondeur sa stratégie d’investissement, à la fois pour préserver la valeur de ses actifs qu’une inflation durable pourrait éroder, mais aussi pour continuer à procurer à ses assurés une rentabilité satisfaisante ?

– comment parvenir à adapter les portefeuilles à la nouvelle donne économique tout en pilotant la gestion des risques liés au dérèglement climatique et inscrire la trajectoire des portefeuilles dans le cadre des Accords de Paris ?

Tout d’abord, quels sont les leviers à la disposition des assureurs ? Investisseurs de long terme, ils doivent en priorité s’assurer de pouvoir faire face aux engagements pris qui peuvent s’étaler sur des horizons très longs. C’est la raison pour laquelle les décisions d’allocation stratégiques résultent d’un travail d’optimisation basée sur des analyses des évolutions futures des actifs et des passifs (gestion Actif-Passif) dans un très grand nombre de scénarios économiques. Ces travaux expliquent la part majoritaire des obligations dans la structure des portefeuilles.

Le premier levier est précisément d’utiliser la remontée rapide des taux d’intérêt pour renforcer les emprunts à long terme des émetteurs souverains et corporates, ce qui permet d’améliorer substantiellement le rendement moyen des actifs obligataires. Outre ces investissements sur des titres à taux fixe, l’assureur peut envisager d’augmenter la part des obligations à taux variable indexées sur des références longues comme le CMS 10 ans ou celle des obligations indexées sur l’inflation. Ces titres procurent en effet le double avantage d’indexer le revenu du portefeuille sur l’évolution des taux ou de l’inflation tout en protégeant la valeur en capital de l’investissement.

D’autres stratégies, plus dynamiques, peuvent également être envisagées, comme celles consistant à exposer la performance au redressement de la courbe des taux, phénomène qui se produit généralement après un cycle de resserrement de politique monétaire des banques centrales.

Certains actifs offrant une rémunération espérée supérieure aux obligations peuvent se révéler particulièrement pertinents dans le contexte actuel, en raison de leur indexation explicite ou implicite à l’inflation.

Faire preuve de sélectivité

Il s’agit d’abord de l’immobilier. Via l’indexation des loyers, il procure un rendement qui va, grosso modo, suivre l’évolution de l’inflation tout en offrant une bonne protection du capital. Cependant, l’immobilier n’étant pas une classe d’actifs homogène, il faut faire preuve de sélectivité en choisissant bien le secteur et la localisation géographique et garder à l’esprit que les transformations profondes des modèles économiques des entreprises et des usages et comportement des citoyens (comme le télétravail) pourront avoir des impacts majeurs sur certains segments du marché.

Les actions peuvent constituer un excellent choix stratégique sur le moyen-long terme dans un environnement inflationniste, à condition d’être capable de supporter des périodes de volatilité des marchés. Il faut également faire preuve de discipline tactique et dérouler son programme d’achat de façon fractionnée, de préférence après une baisse marquée de marché.

Investir dans des actifs non cotés en dettes ou en capital est également une stratégie intéressante dans le contexte actuel : ces actifs offrent à la fois une prime de liquidité bien plus rémunératrice qu’il y a encore un an, au moment où la volatilité était quasi nulle.

Dernier levier que l’assureur doit activer au maximum, la recherche de la plus grande diversification possible de son portefeuille, aussi bien à l’actif qu’au passif :

– à l’actif, les risques financiers qui peuvent potentiellement l’impacter sont multiples et la période actuelle les rend particulièrement difficiles à anticiper. La diversification, qui doit aussi se développer aux niveaux géographique et sectoriel, permet de rendre le portefeuille aussi résilient que possible ;

– au passif, le mouvement engagé depuis plusieurs années en assurance vie vers un mix plus équilibré entre les fonds euros et les unités de compte (UC) participe également à cet objectif. Il rompt depuis plusieurs années avec le mouvement procyclique qui, historiquement, a pu guider la collecte en UC. Sur la période récente, les investissements en UC sont moins liés à la conjoncture financière, pour le bénéfice des épargnants ayant des perspectives d’investissement de moyen-long terme.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº874bis
Notes :
1 INSEE, « Un automne lourd de menaces pour l’Europe », note de conjoncture du 6 octobre 2022.
RB