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Banques chinoises : un secteur à hauts risques

Créé le

27.09.2022

-

Mis à jour le

25.11.2022

À l’image de l’ensemble du pays, le secteur bancaire chinois est aujourd’hui confronté à des défis historiques. Radiographie des risques majeurs auxquels cette industrie sera confrontée, à brève et longue échéances.

L’histoire de la Chine nous a habitués à des changements aussi violents que soudains. Le brusque tournant de l’été 2021, mettant fin aux « Quarante glorieuses » de l’empire du Milieu de 1980 à 2020, s’inscrit dans la tradition du pays. Le secteur bancaire, directement exposé à la macroéconomie, se retrouve donc face à une nouvelle donne. Pour tenter de l’appréhender, il peut être utile de s’appuyer sur une triple analyse de risques : d’abord, les risques à court terme liés au choc macroéconomique ; ensuite, les risques résultant du choix politique d’un nouveau schéma de croissance ; enfin, les risques liés aux caractéristiques particulières de la gouvernance opérationnelle du secteur.

Le deuxième trimestre 2022 restera dans l’histoire économique comme une date charnière, ayant vu le pays maintenir son Produit national brut (PNB) à un niveau seulement stable d’année en année. Cette contre-performance s’explique par la concomitance de deux crises à court terme : l’impact des confinements liés aux tentatives inopérantes de maîtrise du Covid et l’arrêt de l’activité de la sphère immobilière, qui représente indirectement jusqu’à 30 % du PNB.

Au cœur des risques macro
à court terme

Le choix par le gouvernement chinois de la politique « Zéro Covid », souvent perçu comme incompréhensible en Occident, relève à la fois de l’idéologie et de contraintes culturelles. L’idéologie invite à s’assurer que les livres d’histoire rappelleront, dans les décennies futures, que la Chine fut la seule grande région à limiter efficacement la pandémie : seulement 14 000 morts officiels, contre plus d’un million en Europe comme aux États-Unis. Culturellement, Pékin fait de plus face au refus de la population, notamment chez les seniors, de la vaccination, perçue comme un corps étranger indésirable. Résultat : en raison d’un faible taux de vaccination (environ 20 %) des plus de 80 ans, la mise en place d’une politique « Vivre avec le Covid » à l’occidentale produirait entre 1,5 et 2 millions de morts, ce qui est politiquement inadmissible. D’où la préférence pour un coût économique astronomique à court terme, plus particulièrement pour les petites et moyennes entreprises.

À cela vient s’ajouter l’éclatement de la bulle immobilière, à la suite de l’implosion du promoteur Evergrande à la fin 2021. Si cette crise était prévisible par nature – il faut en moyenne quarante années de remboursement pour un appartement dans un immeuble d’une durée de vie moyenne de trente ans –, ce timing inopiné est avant tout dû à l’arrogance des régulateurs chinois, qui n’est pas sans rappeler celle de leurs homologues aux États-Unis de 2007 sous Ben Bernanke. Ignorant le sacro-saint principe selon lequel la contagion en immobilier n’a d’égal que celle du compotier au fruit pourri, les autorités chinoises ont d’abord laissé s’amplifier tout autant la faillite d’Evergrande à la fin 2021, au motif qu’il ne représentait que 2 % des actifs du secteur. Ensuite, durant l’été 2022, elles ont fini de tuer la confiance en réprimant la grève des remboursements des prêts hypothécaires liés aux préfinancements des nouveaux programmes par les particuliers, qui représentent désormais 90 % du financement.

La situation est, certes, très différente des subprimes des États-Unis de 2008, compte tenu à la fois de la très faible titrisation et de la « volonté de payer » comme source du problème, plutôt que la « capacité à payer ». Il n’en reste pas moins que la tentative de minimisation du problème, en soulignant que seuls 2 % à 5 % des prêts hypothécaires seraient concernés, ne semble pas atténuer la perte de confiance dans le système par le consommateur chinois, dont le patrimoine, exposé à 70 % à l’immobilier, a bénéficié pleinement de son « effet richesse » au cours des dernières décennies. C’est donc bien l’ensemble de la croissance chinoise, y compris la consommation, représentant près de la moitié du PNB, qui se retrouve ainsi remise en question. On comprend dès lors le scepticisme actuel des marchés financiers, offrant un taux d’obligations gouvernementales à 10 ans d’environ 2,8 % similaire en Chine et aux États-Unis, ce qui reflète la perception de l’absence de supériorité de taux de croissance chinois par rapport au rival américain. De quoi influencer d’autant les faibles perspectives de croissance des revenus du secteur bancaire chinois, au-delà même des problèmes de qualité d’actifs des bilans comptables.

Nouveau mode de croissance
à long terme

À ces éléments court-termistes vient s’ajouter la question plus fondamentale de la place attendue du secteur bancaire dans le nouveau mode de croissance chinois. Le tournant de l’été 2021 doit être appréhendé dans un contexte de « piège du revenu intermédiaire  », où un PNB de 12 000 dollars par habitant invite normalement un gouvernement à orienter son économie moins vers la fabrication industrielle que vers le domaine des services. Le choix politique chinois aura, au contraire, été celui du contrôle, stoppant net la progression spectaculaire des services B2C digitaux, qui étaient perçus comme un risque politique futur, notamment vis-à-vis de la jeunesse chinoise. Le schéma retenu semble être plutôt celui d’un « capitalisme rhénan à la sauce étatique », privilégiant l’industrie à forte valeur ajoutée plutôt que les services, les exportations plutôt que la consommation intérieure, une monnaie forte plutôt que les larges plans de relance, un coût du capital maintenu artificiellement bas plutôt que la rémunération des actifs et 10 000 « petits géants » plutôt que quelques multinationales privées.

Un schéma qui évoque celui de l’Allemagne de l’Après-guerre, forte de son Mittelstand, vaste réseau de PME très compétitif à l’international, et à l’opposé de l’Amérique de la spéculation immobilière et boursière. Seule réserve au modèle : l’absence de secteur bancaire domestique puissant, comme le montre encore aujourd’hui l’Allemagne, qui n’oppose toujours pas de concurrent crédible à l’hégémonie mondiale du système bancaire américain.

Le risque, pour le secteur bancaire chinois, est donc de continuer à être perçu comme une courroie de transmission d’objectifs politiques, plutôt que comme un secteur à privilégier dans le cadre de la confrontation grandissante avec les États-Unis. Malgré la taille impressionnante de leurs bilans, les principaux acteurs bancaires chinois n’impressionnent pas sur le plan mondial : les ratios de valorisation en Bourse n’atteignent en moyenne que 0,4 à 0,5 fois la valeur nette comptable, ou 3 à 5 fois le PER (Price Earning Ratio), rendant inefficace toute augmentation de capital pour financer de nouveaux axes de développement. Sans doute faut-il y voir l’expression du scepticisme des investisseurs face au troisième type de risque qui pèse sur le secteur bancaire chinois, celui de la gouvernance d’entreprise.

Un fort risque de gouvernance opérationnelle

Il convient d’abord de souligner que le risque lié à la gouvernance n’est pas nouveau dans le secteur chinois. La prédominance des acteurs étatiques et la tenue à l’écart des concurrents internationaux ont contribué à la faible productivité du secteur, tant sur le plan du retour sur capital que du travail. Cela fait plusieurs décennies déjà que circule à la City le dicton selon lequel : « In a Chinese bank, there is nothing right on the left of the balance sheet, therefore there is nothing left on the right of the balance sheet. »

Le principal risque est lié à l’absence de modernisation du secteur, en opposition radicale à ce qui a pu être observé dans des domaines industriels d’avenir comme la robotique, les semi-conducteurs ou les énergies renouvelables. L’arrêt en 2020 de l’IPO (Initial Public Offering) d’Ant Financial Services, groupe de crédit à la consommation lié à la sphère Alibaba, est à cet égard emblématique de la faible probabilité d’une réforme significative du secteur à l’avenir. En effet, le gouvernement chinois réforme traditionnellement les secteurs étatiques non performants non par la privatisation, comme en Occident, mais en favorisant la montée en puissance de nouveaux acteurs privés, tel le groupe Ant.

Cependant, l’attitude de Jack Ma vis-à-vis des régulateurs, excessivement défiante et totalement contre-productive, aura convaincu ces derniers des risques systémiques encourus à laisser les acteurs privés se développer trop librement – comme la faillite du groupe Anbang, quelques années auparavant, l’avait déjà démontré dans le secteur des assurances.

De même, il y a sans doute peu à attendre de l’arrivée de concurrents étrangers, leur part de marché domestique chinois étant limitée généralement à seulement quelques points de pourcentage. Une exception notable est celle du domaine de la gestion de l’épargne, où des acteurs étrangers ont pu signer récemment des accords de distribution avec des banques locales. Il est vrai que le gouvernement chinois a analysé l’absence de revenus financiers tirés de l’abondante épargne des particuliers comme l’un des principaux freins à la future croissance de la consommation, dans le contexte d’un marché immobilier désormais au mieux stagnant.

Un système de régulation complexe et opaque

Enfin, l’équation de la gouvernance se complique du fait de la complexité et de l’opacité du système de régulation, qui doit faire face à des contraintes souvent contradictoires, les objectifs locaux de croissance du PNB se heurtant à une surveillance centralisée des actifs non performants. La tâche ardue des régulateurs centraux s’est donc plutôt concentrée sur quatre objectifs :

– le maintien des agrégats d’endettement global du système, resté stable depuis 2017 à environ 270 % de PNB pour l’endettement à la fois privé et public, malgré la crise du Covid ;

– une présentation comptable facialement prudente du secteur, avec un taux de couverture des actifs reconnus non performants de près de 200 % ;

– une attention plus particulière envers les petites banques locales, maillon faible du système clairement identifié, représentant cependant jusqu’à 20 % de l’industrie ;

– enfin, la réduction forcée depuis 2020 des activités hors-bilan des acteurs privés les plus douteux.

Ainsi, le secteur bancaire chinois se retrouve-t-il confronté à des défis inédits, à l’image même de l’ensemble du pays. Mélange de vents fortement contraires à court terme compte tenu de l’impact prolongé du Covid et de l’éclatement de la bulle immobilière, de nouveaux modèles de croissance à inventer dans un contexte de stabilisation de l’endettement du pays, et enfin, d’une réglementation toujours mouvante, largement imprégnée de considérations politiques plus fortement teintées d’idéologie que de rationalité économique.

Face à ces nombreux défis, il y a fort à parier que le secteur cherchera à gagner du temps, en s’inspirant du « Étendre et prétendre », auxquels les experts occidentaux du private equity ont tendance à recourir en cas de difficulté, persuadés que le temps finira bien par jouer pour eux. Si la Chine devrait continuer de surprendre, sur le plan industriel, par sa montée en gamme technologique dans certains secteurs d’avenir, l’industrie bancaire chinoise risque bien de manquer de s’imposer sur le plan international à cause de son manque de productivité, tant du capital que du travail.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº872