« À court terme, l’Allemagne ne bougera pas sur la mutualisation »

Le pilier Garantie des d&eacute;p&ocirc;ts est-il indispensable &agrave; l&rsquo;Union bancaire ? La zone euro a affirm&eacute; souhaiter rompre le lien entre les banques et les &Eacute;tats dans lesquels elles si&egrave;gent, car ce lien a jou&eacute; un r&ocirc;le moteur central dans la crise financi&egrave;re. Pour rompre le cercle vicieux banques-souverains, il faut agir sur plusieurs m&eacute;canismes et notamment cr&eacute;er une garantie des d&eacute;p&ocirc;ts commune. Pourquoi l&rsquo;Allemagne repousse-t-elle ce projet ? Il convient d&rsquo;abord de noter que la cr&eacute;ation d&rsquo;une garantie unique des d&eacute;p&ocirc;ts n&rsquo;est probablement pas l&rsquo;aspect le plus urgent de l&rsquo;agenda de l&rsquo;Union bancaire, m&ecirc;me apr&egrave;s la mise en place (avec succ&egrave;s) du M&eacute;canisme de supervision unique (MSU), il y a un peu plus d&rsquo;un an. L&rsquo;Allemagne dit souhaiter que les &Eacute;tats mettent d&rsquo;abord en œuvre les diff&eacute;rentes r&eacute;formes qui ont &eacute;t&eacute; act&eacute;es avant de d&eacute;cider toute nouvelle initiative. Et en effet, certains &Eacute;tats membres ont pris beaucoup de retard pour ratifier l&rsquo;accord intergouvernemental sur le fonctionnement du Fonds de r&eacute;solution unique (FRU) et pour transposer la directive BRRD. Toutefois, ces probl&egrave;mes devraient &ecirc;tre r&eacute;gl&eacute;s assez rapidement. L&agrave; o&ugrave; certains Allemands sombrent dans l&rsquo;exc&egrave;s, c&rsquo;est lorsqu&rsquo;ils affirment qu&rsquo;avant de construire une garantie des d&eacute;p&ocirc;ts commune, il faut attendre d&rsquo;observer une mise en pratique du m&eacute;canisme de r&eacute;solution unique sur un cas concret de crise bancaire, pour s&rsquo;assurer qu&rsquo;il fonctionne comme pr&eacute;vu. Mais le but est pr&eacute;cis&eacute;ment de diminuer la probabilit&eacute; d&rsquo;une crise future ! Autre demande excessive : Wolfgang Sch&auml;uble a d&eacute;clar&eacute; qu&rsquo;une modification des trait&eacute;s s&rsquo;impose avant la construction du pilier manquant, notamment pour s&eacute;parer le MSU du reste de la BCE. Cela peut &ecirc;tre analys&eacute; comme une manœuvre d&rsquo;obstruction. Pour comprendre ces prises de position, il faut tenir compte du contexte politique : les citoyens allemands, relay&eacute;s par le Bundestag, ont le sentiment, en partie &agrave; tort, d&rsquo;avoir d&eacute;j&agrave; beaucoup pay&eacute; pour la crise. Ils apparaissent hostiles &agrave; une mutualisation suppl&eacute;mentaire des risques financiers. Mais la dure r&eacute;alit&eacute; est que l&rsquo;objectif de rompre le cercle vicieux entre banques et souverains, que M. Sch&auml;uble dit partager, exige une mutualisation de certains risques au sein de la zone euro. La position allemande n&rsquo;est donc pas exempte d&rsquo;incoh&eacute;rences. Que pensez-vous de la d&eacute;marche de la Commission qui, malgr&eacute; l&rsquo;opposition allemande, cherche &agrave; faire progresser le troisi&egrave;me pilier en imaginant un syst&egrave;me de r&eacute;assurance ? Ce projet se situe entre la situation actuelle o&ugrave; les garanties sont exclusivement nationales et l&rsquo;ambition de l&rsquo;Union bancaire o&ugrave; tout serait mutualis&eacute;. Il est toutefois difficile de commenter cette solution interm&eacute;diaire tant que nous n&rsquo;avons pas plus d&rsquo;&eacute;l&eacute;ments [1] , mais elle sera sans doute complexe et la complexit&eacute; constitue par elle-m&ecirc;me un facteur de risque. Donc ce projet peut constituer une r&eacute;ponse partielle &agrave; l&rsquo;impasse politique actuelle sur le troisi&egrave;me pilier, mais pourrait aussi cr&eacute;er une situation pire que l&rsquo;actuelle. Le pilier r&eacute;solution de l&rsquo;Union bancaire est-il satisfaisant ? Si le MSU r&eacute;pond r&eacute;ellement &agrave; l&rsquo;objectif de rupture du lien banques-souverains, le pilier r&eacute;solution (cr&eacute;ation du Conseil de r&eacute;solution unique, trait&eacute; intergouvernemental pour le FRU, directive BRRD) quant &agrave; lui n&rsquo;atteint pas du tout le m&ecirc;me niveau de coh&eacute;rence. Il n&rsquo;y a pas de r&eacute;elle mise en commun des ressources ni de la d&eacute;cision. C&rsquo;est un hybride entre responsabilit&eacute; nationale et responsabilit&eacute; europ&eacute;enne, tr&egrave;s complexe &ndash; et probablement probl&eacute;matique en termes de mise en œuvre. La r&eacute;solution ne m&eacute;rite pas vraiment le qualificatif &laquo; unique &raquo; puisqu&rsquo;elle pr&eacute;serve une large part d&rsquo;autonomie pour les autorit&eacute;s nationales et qu&rsquo;elle &eacute;tablit par ailleurs un calendrier tr&egrave;s progressif (jusqu&rsquo;en 2024) pour la mise en commun des ressources au sein du FRU. En attendant que le FRU soit pleinement op&eacute;rationnel, un backstop serait-il n&eacute;cessaire ? Comme la garantie unique des d&eacute;p&ocirc;ts, le backstop rel&egrave;ve du th&egrave;me de la mutualisation des risques. Et la r&eacute;ponse de l&rsquo;Allemagne est la m&ecirc;me : Nein ! &Agrave; l&rsquo;inverse, la France et le pr&eacute;sident de la Commission Jean-Claude Juncker d&eacute;fendent le principe de la mutualisation, mais leur insistance ne conduira pas forc&eacute;ment &agrave; une solution constructive. En effet, il me semble illusoire d&rsquo;esp&eacute;rer sur ce point un engagement r&eacute;el de l&rsquo;Allemagne et d&rsquo;autres &Eacute;tats r&eacute;ticents, au moins &agrave; court terme. Un exemple illustre mon propos : l&rsquo;instrument de recapitalisation directe du M&eacute;canisme europ&eacute;en de stabilit&eacute; (MES). Celui-ci devait en principe permettre au MES de recapitaliser les banques directement (au lieu de passer par un pr&ecirc;t &agrave; un &Eacute;tat membre, comme en Espagne), ce qui permettrait de r&eacute;duire le lien entre banques et &Eacute;tats. Mais les r&egrave;gles de fonctionnement de cet instrument, adopt&eacute;es fin 2014, sont tellement restrictives qu&rsquo;elles le rendent inutilisable. Je crains que la r&eacute;assurance des d&eacute;p&ocirc;ts propos&eacute;e par la Commission subisse un sort comparable. La r&eacute;alit&eacute; est qu&rsquo;en cas de crise, il reste possible que les &Eacute;tats se mettent d&rsquo;accord pour autoriser le MES &agrave; faire un pr&ecirc;t au FRU en un week-end. Mais la volont&eacute; de clarifier les choses ex ante par &eacute;crit conduit l&rsquo;Allemagne (et d&rsquo;autres) &agrave; accumuler les conditions restrictives. Il serait peut-&ecirc;tre pr&eacute;f&eacute;rable de ne pas chercher &agrave; r&eacute;gler cette question maintenant. Mon sentiment est que l&rsquo;Allemagne ne bougera pas &agrave; court terme sur la mutualisation. Dans cette hypoth&egrave;se, il serait pr&eacute;f&eacute;rable de se concentrer sur d&rsquo;autres chantiers importants pour l&rsquo;Union bancaire : harmonisation du droit des faillites bancaires, de la comptabilit&eacute; bancaire, etc. Intimement li&eacute;e au pilier r&eacute;solution, la BRRD n&rsquo;est-elle pas contrari&eacute;e par les droits des faillites des diff&eacute;rents &Eacute;tats ? La r&eacute;solution pr&eacute;vue dans BRRD est d&eacute;finie comme une alternative pr&eacute;f&eacute;rable, pour tous les ayants droit, &agrave; une faillite judiciaire ; or le droit des faillites diff&egrave;re fortement d&rsquo;un pays &agrave; l&rsquo;autre, donc la r&eacute;solution prendra une forme diff&eacute;rente d&rsquo;un &Eacute;tat &agrave; l&rsquo;autre. Les uns apr&egrave;s les autres, les &Eacute;tats r&eacute;forment leur l&eacute;gislation sur les faillites mais sans r&eacute;elle coh&eacute;rence. Des pr&eacute;cisions ont &eacute;t&eacute; apport&eacute;es le 9 novembre sur le TLAC. Voyez-vous des incoh&eacute;rences avec le MREL ? Et le ratio europ&eacute;en &eacute;tait-il vraiment insuffisant ? Chacun de ces ratios constitue une exigence minimale de capacit&eacute; &agrave; absorber des pertes futures. Le ratio TLAC est une sorte de MREL adapt&eacute; aux &eacute;tablissements syst&eacute;miques. Il n&rsquo;y a pas n&eacute;cessairement d&rsquo;incoh&eacute;rence entre les deux. En Grande-Bretagne, le TLAC est bien accueilli et n&rsquo;est pas per&ccedil;u comme &eacute;tant en contradiction avec le MREL. En r&eacute;alit&eacute;, cette question d&eacute;pendra de la mise en œuvre concr&egrave;te du MREL qui va avoir lieu dans le courant de l&rsquo;ann&eacute;e 2016. Quelles sont concr&egrave;tement les difficult&eacute;s de mise en œuvre pos&eacute;es par le MREL et le TLAC ? La question du statut de la dette senior au regard des exigences de TLAC et MREL d&eacute;pend du droit des faillites de chaque &Eacute;tat. La r&eacute;ponse n&rsquo;est donc pas identique dans tous les &Eacute;tats membres et d&eacute;pend des r&eacute;formes en cours du droit des faillites. Selon les Britanniques, la dette senior traditionnelle ne doit pas &ecirc;tre int&eacute;gr&eacute;e au TLAC et pour se conformer &agrave; la r&eacute;glementation, les banques doivent &eacute;mettre de nouvelles obligations qui sont plus risqu&eacute;es que les titres senior mais moins que les instruments de capital. L&rsquo;Allemagne quant &agrave; elle a choisi de &laquo; junioriser &raquo; la dette senior des banques par une r&eacute;forme du droit des faillites. Pour les Britanniques, faire absorber des pertes par la dette senior dans une banque syst&eacute;mique n&rsquo;est pas prudent du point de vue de la stabilit&eacute; financi&egrave;re. On est donc loin d&rsquo;un consensus europ&eacute;en sur ce th&egrave;me. Dans le TLAC et le MREL, les d&eacute;p&ocirc;ts sont-ils pris en compte dans le ratio ? Non, les d&eacute;p&ocirc;ts ne sont pas inclus dans ces concepts qui sont cens&eacute;s correspondre &agrave; une capacit&eacute; concr&egrave;te d&rsquo;absorption des pertes. Il n&rsquo;y a pas d&rsquo;identit&eacute; entre d&rsquo;une part le TLAC/MREL et d&rsquo;autre part le champ d&rsquo;application potentiel du bail-in en application de BRRD, qui est plus large et inclut en th&eacute;orie les d&eacute;p&ocirc;ts non garantis. Le pilier supervision de l&rsquo;Union bancaire est-il totalement satisfaisant ? Le pilier Supervision est de loin le plus abouti des trois, mais il n&rsquo;est pas non plus exempt de d&eacute;fis. Le conseil de surveillance du MSU donne la majorit&eacute; aux repr&eacute;sentants d&rsquo;autorit&eacute;s nationales et est par ailleurs subordonn&eacute; au conseil des gouverneurs de la BCE. Cette gouvernance ne garantit pas un alignement parfait avec le mandat prudentiel europ&eacute;en du MSU. Par exemple, chaque superviseur national peut, aujourd&rsquo;hui encore, demander aux &eacute;tablissements qu&rsquo;il surveille de maintenir du capital ou de la liquidit&eacute; dans l&rsquo;&Eacute;tat o&ugrave; il op&egrave;re, alors que ce ring-fencing ne devrait plus exister dans un m&eacute;canisme de supervision unique. Autre exemple, Danielle Nouy a d&eacute;clar&eacute; souhaiter imposer une limite (par exemple 25 % du capital r&eacute;glementaire) &agrave; l&rsquo;exposition des banques &agrave; leur souverain d&rsquo;origine, par exemple via la d&eacute;tention d&rsquo;obligations d&rsquo;&Eacute;tat. Or la BCE n&rsquo;a pour l&rsquo;instant d&eacute;cid&eacute; aucune action allant dans ce sens. Ces deux exemples illustrent les limitations du processus de prise de d&eacute;cision et la difficult&eacute; &agrave; atteindre l&rsquo;objectif proclam&eacute; de d&eacute;couplage entre banques et &Eacute;tats au sein de la zone euro. 1 La proposition de la Commission a &eacute;t&eacute; publi&eacute;e entre le moment o&ugrave; cette interview a &eacute;t&eacute; r&eacute;alis&eacute;e et celui de sa publication.

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