Comment une BFI se prépare aux risques climatiques

Face &agrave; un r&eacute;chauffement climatique dont les effets n&eacute;gatifs se manifestent de plus en plus clairement chaque jour, les acteurs financiers sont confront&eacute;s au d&eacute;fi de financer le d&eacute;veloppement d&rsquo;une &eacute;conomie plus faiblement carbon&eacute;e mais qui r&eacute;ponde n&eacute;anmoins aux besoins de la population mondiale. Le d&eacute;r&egrave;glement climatique pr&eacute;sente &eacute;galement, pour l&rsquo;ensemble des acteurs &eacute;conomiques, des enjeux de risques li&eacute;s tant aux cons&eacute;quences sur l&rsquo;activit&eacute; &eacute;conomique et les populations (risques physiques) qu&rsquo;aux incertitudes entourant la mise en œuvre de mesures d&rsquo;att&eacute;nuation (risques de transition). Les acteurs financiers devant appr&eacute;cier et g&eacute;rer ces nouveaux risques, au-del&agrave; de l&rsquo;optimisation de leur empreinte carbone directe, une politique sur le climat doit n&eacute;cessairement comporter deux volets compl&eacute;mentaires pour un acteur financier : financer la transition &eacute;nerg&eacute;tique et appr&eacute;cier et g&eacute;rer ses risques climatiques. Du fait de son origine mutualiste et de l&rsquo;importance donn&eacute;e aux valeurs soci&eacute;tales qui en r&eacute;sulte, le groupe Cr&eacute;dit Agricole a pris conscience tr&egrave;s t&ocirc;t de l&rsquo;importance de ces enjeux. Continuer &agrave; financer la transition &eacute;nerg&eacute;tique Depuis de nombreuses ann&eacute;es, le financement des &eacute;nergies renouvelables fait partie int&eacute;grante de la strat&eacute;gie du groupe Cr&eacute;dit Agricole. Cr&eacute;dit Agricole CIB (CACIB) s&rsquo;est ainsi engag&eacute; sur ce secteur d&egrave;s 1997 avec le financement de ses premiers parcs &eacute;oliens et, en 2008, avec le financement d&rsquo;un projet d&rsquo;&eacute;nergie solaire en Espagne. Fin 2016, la ligne M&eacute;tier des financements de projets a financ&eacute; au total 359 fermes &eacute;oliennes totalisant plus de 18 500 m&eacute;gawatts (MW) et 100 fermes solaires totalisant plus de 3 000 MW de capacit&eacute; install&eacute;e. En nombre de dossiers, les &eacute;nergies renouvelables ont repr&eacute;sent&eacute; plus de 75 % de l&rsquo;activit&eacute; de financement de projets de g&eacute;n&eacute;ration &eacute;lectrique en 2016. Les obligations vertes &eacute;tant &eacute;galement susceptibles de jouer un r&ocirc;le capital dans l&rsquo;orientation des march&eacute;s obligataires vers le financement de la lutte contre le d&eacute;r&egrave;glement climatique, CACIB s&rsquo;est engag&eacute; sur ce march&eacute; depuis 2010 et a arrang&eacute; en 2016 plus de 21 milliards de dollars de green bonds, social bonds et sustainability bonds pour ses grands clients, ainsi que de nombreuses transactions pour son compte propre, confortant ainsi sa place de premier ordre comme arrangeur sur ce march&eacute; &agrave; l&rsquo;&eacute;chelle mondiale. Lors de la COP21, CACIB s&rsquo;est en cons&eacute;quence fix&eacute; l&rsquo;objectif ambitieux de structurer au moins 60 milliards d&rsquo;euros de nouveaux financements entre d&eacute;cembre 2015 et fin 2018, et cet objectif appara&icirc;t d&egrave;s &agrave; pr&eacute;sent en bonne voie d&rsquo;&ecirc;tre d&eacute;pass&eacute;. CACIB est &eacute;galement l&rsquo;une des tr&egrave;s rares banques commerciales &agrave; &ecirc;tre habilit&eacute;e par le fonds vert sur le climat (Green Climate Fund), dont le r&ocirc;le devrait &ecirc;tre amen&eacute; &agrave; cro&icirc;tre fortement afin que les objectifs de la COP soient atteints. Mesurer notre impact sur le climat Parall&egrave;lement &agrave; cet effort important de financement de la transition &eacute;nerg&eacute;tique, CACIB a entrepris tr&egrave;s t&ocirc;t de mesurer son empreinte sur le climat. Afin d&rsquo;appr&eacute;hender correctement les enjeux climatiques, il est, en effet, vite apparu n&eacute;cessaire de quantifier les &eacute;missions de gaz &agrave; effet de serre induites par les financements accord&eacute;s qui s&rsquo;av&egrave;rent &ecirc;tre, pour une banque de financement et d&rsquo;investissement (BFI) telle que CACIB, environ 1 000 fois sup&eacute;rieures aux &eacute;missions de fonctionnement, les seules mesur&eacute;es par les banques dans le cadre de leurs bilans carbone. La t&acirc;che &eacute;tait immense puisqu&rsquo;une BFI telle que CACIB compte des dizaines de milliers de clients r&eacute;partis dans une grande vari&eacute;t&eacute; de secteurs &eacute;conomiques et de pays. La consolidation de bilans carbone n&rsquo;&eacute;tait ainsi pas une option du fait de ce grand nombre d&rsquo;entit&eacute;s, du manque g&eacute;n&eacute;ral d&rsquo;information et de l&rsquo;importance du comptage multiple qui aurait enlev&eacute; la pertinence de l&rsquo;ordre de grandeur qui aurait pu &ecirc;tre trouv&eacute;. Des travaux r&eacute;alis&eacute;s dans le cadre d&rsquo;une initiative de recherche financ&eacute;e par CACIB &agrave; l&rsquo;Universit&eacute; de Paris Dauphine ont permis, en 2011, d&rsquo;aboutir &agrave; une m&eacute;thodologie, d&eacute;nomm&eacute;e P9XCA, de nature macro&eacute;conomique, qui affecte les &eacute;missions de gaz &agrave; effet de serre mesur&eacute;es par les inventaires nationaux aux agents &eacute;conomiques poss&eacute;dant les leviers d&rsquo;action pour les r&eacute;duire. Cette vision novatrice par enjeu [1] permet de f&eacute;d&eacute;rer tous les acteurs d&rsquo;une cha&icirc;ne de valeur autour de l&rsquo;enjeu principal (r&eacute;duire les &eacute;missions li&eacute;es &agrave; l&rsquo;alimentation, &agrave; la mobilit&eacute;, &agrave; la construction, &agrave; la production d&rsquo;&eacute;nergie&hellip;), et ce sans comptage multiple. Les &eacute;missions sont ensuite allou&eacute;es aux financeurs de ces activit&eacute;s de production au prorata des dettes et des capitaux propres. CACIB publie ainsi chaque ann&eacute;e, depuis 6 ans, dans son document de r&eacute;f&eacute;rence, le niveau de l&rsquo;empreinte carbone de la totalit&eacute; de ses financements et investissements. L&rsquo;ordre de grandeur des &eacute;missions induites (&eacute;missions des clients dans tous secteurs et tous pays) est de 100 millions de tonnes de CO2, ce qui &eacute;quivaut &agrave; environ 30 % des &eacute;missions &eacute;mises sur le territoire fran&ccedil;ais. Appr&eacute;cier et g&eacute;rer le risque de transition La m&eacute;thodologie P9XCA a aussi permis de r&eacute;aliser une cartographie de ces &eacute;missions dites financ&eacute;es, par secteurs &eacute;conomiques et pays, qui a orient&eacute; notre action. Aujourd&rsquo;hui, les deux macrosecteurs de l&rsquo;&eacute;nergie et des transports, qui repr&eacute;sentent ensemble 80 % des &eacute;missions induites, sont couverts par des politiques sectorielles RSE qui d&eacute;finissent des crit&egrave;res d&rsquo;analyse et d&rsquo;exclusion sp&eacute;cifiques aux secteurs qui les composent. Par exemple, l&rsquo;efficacit&eacute; &eacute;nerg&eacute;tique nous est apparue comme un crit&egrave;re pertinent dans le transport a&eacute;rien (avec une certaine analogie avec ce qui appara&icirc;t de mani&egrave;re plus &eacute;vidente pour la production d&rsquo;&eacute;lectricit&eacute;), ce qui a conduit &agrave; nous fixer des r&egrave;gles concernant l&rsquo;&acirc;ge des avions et moteurs financ&eacute;s. Dans le domaine de l&rsquo;&eacute;nergie, le charbon est tr&egrave;s rapidement apparu comme une &eacute;nergie du pass&eacute; (en l&rsquo;absence de g&eacute;n&eacute;ralisation de technologie de capture et s&eacute;questration du CO2) et Cr&eacute;dit Agricole a &eacute;t&eacute; la premi&egrave;re banque commerciale &agrave; amorcer un d&eacute;sengagement du financement de ce secteur, en s&rsquo;interdisant, d&egrave;s mai 2015, de financer les mines de charbon puis progressivement les nouvelles centrales &eacute;lectriques au charbon. Hors certaines activit&eacute;s tr&egrave;s sp&eacute;cifiques telles que la production de charbon et d&rsquo;&eacute;lectricit&eacute; ex-charbon, il n&rsquo;est cependant pas apparu souhaitable de formuler d&lsquo;autres exclusions aussi g&eacute;n&eacute;rales. La question centrale est celle de la n&eacute;cessaire transformation de l&rsquo;&eacute;conomie vers un mod&egrave;le de moins en moins carbon&eacute; et le r&ocirc;le du banquier est d&rsquo;accompagner ses clients dans ce processus, progressif mais qui doit n&eacute;anmoins &ecirc;tre rapide, de &laquo; transition &eacute;nerg&eacute;tique &raquo;. Plusieurs &eacute;tudes r&eacute;centes [2] nous confortent dans l&rsquo;opinion qu&rsquo;une transition correctement ma&icirc;tris&eacute;e n&rsquo;est pas destructrice de valeur et de croissance. Les incertitudes entourant l&rsquo;ampleur et le calendrier de la transition constituent, a contrario , des facteurs de risque additionnels importants pour les acteurs &eacute;conomiques et donc les banques qui les financent. La capacit&eacute; de ces acteurs &agrave; comprendre, anticiper et finalement g&eacute;rer les changements &agrave; venir constitue un facteur essentiel pour d&eacute;terminer si un acteur se place parmi les gagnants ou les perdants de la transition &eacute;nerg&eacute;tique. Aussi, en combinant le niveau d&rsquo;enjeu sectoriel &eacute;valu&eacute; par la m&eacute;thodologie P9XCA, le niveau d&rsquo;ambition national de r&eacute;duction des &eacute;missions de gaz &agrave; effet de serre (GES) r&eacute;sultant des contributions volontaires dans le cadre des n&eacute;gociations internationales (INDC) et le niveau relatif de maturit&eacute; des clients face aux enjeux climatiques &eacute;valu&eacute;s gr&acirc;ce &agrave; une agence extra-financi&egrave;re (ou extrapol&eacute; par moyenne g&eacute;ographique), on peut calculer un indice de risque de transition &agrave; moyen terme pour les grands clients entreprises de la banque de financement et d&rsquo;investissement. L&rsquo;int&eacute;r&ecirc;t de construire de tels outils est soulign&eacute; par les calculs de mat&eacute;rialit&eacute;s utilisant des sc&eacute;narios climatiques que nous avons r&eacute;alis&eacute;s. Ces travaux indiquent que le principal risque &agrave; moyen terme pour les acteurs financiers est le risque de transition dans un sc&eacute;nario de rupture. A contrario , le risque climatique physique (li&eacute;s aux cons&eacute;quences des effets physiques du r&eacute;chauffement climatique) appara&icirc;t globalement tr&egrave;s limit&eacute; &agrave; moyen terme dans tous nos sc&eacute;narios mais il croit significativement dans tous les cas &agrave; long voire tr&egrave;s long terme. Appr&eacute;cier le risque physique Paradoxalement, le risque physique semble &agrave; la fois plus intuitif et plus difficile &agrave; cerner quantitativement. Des &eacute;chelles sectorielle et g&eacute;ographique d&rsquo;appr&eacute;ciation de ce risque existent. Il est donc d&eacute;j&agrave; possible de les combiner pour &eacute;tablir une premi&egrave;re cartographie du risque climatique physique. On peut anticiper que des premi&egrave;res notations sp&eacute;cifiques aux clients seront assez prochainement disponibles, ce qui permettrait de concevoir un indicateur de risque physique sp&eacute;cifique aux clients de m&ecirc;me que ce qui est faisable pour le risque de transition. Mais il n&rsquo;est pas certain que cela suffise &agrave; appr&eacute;hender pleinement ce risque. Prenons un simple exemple. Le transport ferroviaire est g&eacute;n&eacute;ralement vu &agrave; risque faible et la France se classe parmi les pays les moins risqu&eacute;s du point de vue de ce risque. L&rsquo;activit&eacute; ferroviaire en France peut ainsi logiquement appara&icirc;tre comme faiblement risqu&eacute;e. N&eacute;anmoins, les feux de for&ecirc;ts qui ont lourdement affect&eacute; le sud de la France cet &eacute;t&eacute; ont conduit &agrave; une longue interruption du trafic ferroviaire dans la r&eacute;gion de Marseille le 18 ao&ucirc;t. Avec pour cons&eacute;quence plus de 20 000 passagers affect&eacute;s durant ce week-end estival et un co&ucirc;t pour la SNCF qui serait de l&rsquo;ordre du million d&rsquo;euros. Cet exemple illustre la grande complexit&eacute; d&rsquo;analyse de ce risque et incite &agrave; lancer d&egrave;s aujourd&rsquo;hui des r&eacute;flexions, m&ecirc;me si les analyses de mat&eacute;rialit&eacute; indiquent qu&rsquo;il s&rsquo;agit plut&ocirc;t d&rsquo;un risque de long terme. Un besoin de disposer d&rsquo;informations pertinentes Pour les acteurs financiers, se pr&eacute;parer correctement aux risques climatiques demandera de disposer d&rsquo;information de qualit&eacute; concernant l&rsquo;impact de ces risques sur leurs clients et de savoir les agr&eacute;ger de mani&egrave;re pertinente. Les travaux m&eacute;thodologiques que nous avons r&eacute;alis&eacute;s et que nous poursuivons donnent des r&eacute;sultats prometteurs concernant le d&eacute;veloppement de mod&egrave;les d&rsquo;appr&eacute;ciation des risques climatiques. Reste la question de l&rsquo;information disponible. Il s&rsquo;agit d&rsquo;une question essentielle et nous ne pouvons que nous r&eacute;jouir des conclusions de la Task Force on Climate-related Financial Disclosures (TCFD) proposant &agrave; toutes les entreprises un cadre de reporting homog&egrave;ne de leurs risques climatiques. La mise en œuvre effective de ce cadre est importante afin que les acteurs financiers puissent tirer des conclusions pertinentes des mod&egrave;les d&rsquo;appr&eacute;ciations qu&rsquo;ils pourront mettre en œuvre. 1 La m&eacute;thodologie P9XCA est pr&eacute;sent&eacute;e en d&eacute;tail dans le guide sectoriel pour le secteur financier &laquo; R&eacute;alisation d&rsquo;un bilan des &eacute;missions de gaz &agrave; effet de serre &raquo; publi&eacute; en 2014 par l&rsquo;Agence de l&rsquo;environnement et de la ma&icirc;trise de l&rsquo;&eacute;nergie, l&rsquo;Observatoire de la responsabilit&eacute; soci&eacute;tale des entreprises et l&rsquo;Association Bilan Carbone. La vision par enjeu s&rsquo;oppose &agrave; la vision traditionnelle &laquo; par scope &raquo; qui quantifie les &eacute;missions selon trois p&eacute;rim&egrave;tres (directes, indirectes li&eacute;es &agrave; l&rsquo;&eacute;nergie et autres &eacute;missions indirectes li&eacute;es &agrave; l&rsquo;activit&eacute;) et est source de comptages multiples. 2 Cf. notamment &laquo; Un mix &eacute;lectrique 100 % renouvelable ? Analyses et optimisations &raquo;, ADEME, 2016, et &laquo; Investing in Climate, investing in Growth &raquo;, OCDE, 2017.

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