Après la crise du Covid-19 : une très forte instabilité financière

La crise du Covid a fait appara&icirc;tre une configuration jamais observ&eacute;e dans le pass&eacute; pour les politiques &eacute;conomiques. Le confinement des populations a conduit &agrave; une chute tr&egrave;s importante de la production et on attend un recul du Produit Int&eacute;rieur Brut (PIB) de 7 % en 2020 pour l&rsquo;ensemble de l&rsquo;OCDE. Mais les gouvernements ont d&eacute;cid&eacute; de prendre &agrave; leur charge la totalit&eacute; de la perte de revenu. Une expansion budg&eacute;taire sans pr&eacute;c&eacute;dent Sans la crise, le d&eacute;ficit public de l&rsquo;ensemble de l&rsquo;OCDE aurait &eacute;t&eacute; en 2020 de 4 % du PIB ; avec la crise, il va &ecirc;tre de l&rsquo;ordre de 14 % du PIB : cette hausse de 10 points du d&eacute;ficit public correspond &agrave; la perte de 9 points du PIB (PIB qui aurait d&ucirc; augmenter de 2 % et qui va baisser probablement de 7 %). En moyenne, le revenu des m&eacute;nages et des entreprises est maintenu malgr&eacute; la chute de la production. Il s&rsquo;agit bien s&ucirc;r d&rsquo;une moyenne : il y a des perdants (ind&eacute;pendants et artisans, salari&eacute;s ayant des contrats de travail courts ; automobile, transport a&eacute;rien, h&ocirc;tellerie, a&eacute;ronautique&hellip;), des gagnants (entreprises technologiques, m&eacute;dicament, pharmacie&hellip;) et des personnes prot&eacute;g&eacute;es (salari&eacute;s ayant des contrats de travail longs). Mais au total, les &Eacute;tats absorbent la perte globale de revenu. La mon&eacute;tisation massive des dettes publiques Ceci n&rsquo;aurait pas &eacute;t&eacute; possible sans l&rsquo;intervention des banques centrales. L&rsquo;&eacute;mission de 10 points de PIB suppl&eacute;mentaires, sans cette intervention, de dettes publiques sur les march&eacute;s financiers, aurait provoqu&eacute; une forte hausse des taux d&rsquo;int&eacute;r&ecirc;t &agrave; long terme, mena&ccedil;ant la solvabilit&eacute; des &Eacute;tats et compromettant la reprise, apr&egrave;s la fin du confinement, de l&rsquo;investissement des entreprises et des achats de logements. Les banques centrales n&rsquo;ont donc pas eu le choix : elles ont mon&eacute;tis&eacute; la totalit&eacute; des dettes publiques &eacute;mises en raison de la crise. Les obligations &eacute;mises par les &Eacute;tats ont &eacute;t&eacute; achet&eacute;es par les banques centrales avec la cr&eacute;ation mon&eacute;taire. Il faut &agrave; ce stade comprendre que la dette publique irr&eacute;versiblement achet&eacute;e par une banque centrale est de fait annul&eacute;e. D&rsquo;une part, elle est gratuite, puisque les banques centrales reversent leurs profits aux &Eacute;tats, donc leur rendent les int&eacute;r&ecirc;ts sur la dette publique d&eacute;tenue qu&rsquo;elles re&ccedil;oivent ; d&rsquo;autre part elle n&rsquo;est jamais rembours&eacute;e si la banque centrale la conserve dans son bilan et la renouvelle &agrave; l&rsquo;&eacute;ch&eacute;ance. Une dette non remboursable (une perp&eacute;tuit&eacute;) et gratuite de fait n&rsquo;existe pas. L&rsquo;annulation par les banques centrales des dettes publiques &eacute;mises en raison de la crise et leur remplacement par de la monnaie dans le portefeuille des &eacute;pargnants-investisseurs, ont donc permis la mise en place de ces d&eacute;ficits publics consid&eacute;rables. Une &eacute;norme quantit&eacute; de monnaie fournie par les banques centrales Les banques centrales vont donc mon&eacute;tiser les d&eacute;ficits publics en 2020, mais vont aussi acheter des dettes priv&eacute;es (elles ach&egrave;tent des obligations d&rsquo;entreprises, des cr&eacute;dits aux PME). Il va donc y avoir une augmentation massive de la taille du bilan des banques centrales, donc de la monnaie cr&eacute;&eacute;e par les banques centrales. En 2020, la R&eacute;serve F&eacute;d&eacute;rale pourrait accro&icirc;tre la taille de son bilan de 6 000 milliards de dollars, la BCE de 1 000 milliards d&rsquo;euros au moins, et la Banque du Japon pourrait accro&icirc;tre son bilan de 2000 milliards de dollars pour maintenir le taux d&rsquo;int&eacute;r&ecirc;t &agrave; 10 ans sur le yen &agrave; 0 %, ce qui est son objectif officiel. Au total, on voit que la base mon&eacute;taire de l&rsquo;OCDE, la monnaie cr&eacute;&eacute;e par les banques centrales des pays de l&rsquo;OCDE, pourrait augmenter de 10 000 milliards de dollars, alors qu&rsquo;elle &eacute;tait de 14 000 milliards de dollars au d&eacute;but de l&rsquo;ann&eacute;e : il y aurait une hausse de 70 % en un an de l&rsquo;offre de monnaie en 2020. Pas d&rsquo;inflation des prix des biens et services, de l&rsquo;inflation des prix des actifs Il ne faut pas croire qu&rsquo;on peut augmenter sans cons&eacute;quence, sans co&ucirc;t, l&rsquo;offre de monnaie de 70 % en un an. Mais le co&ucirc;t de cette politique n&rsquo;est plus l&rsquo;inflation (des prix des biens et services). Dans la th&eacute;orie mon&eacute;taire traditionnelle, la monnaie sert &agrave; acheter des biens et services, et si l&rsquo;offre de monnaie est accrue, il faut &agrave; long terme une hausse des prix pour &eacute;quilibrer l&rsquo;offre de monnaie et la demande de monnaie qui est li&eacute;e &agrave; la valeur des biens et services achet&eacute;s. Mais depuis 30 ans, cette th&eacute;orie ne fonctionne plus. Il n&rsquo;y a plus aucune corr&eacute;lation entre la cr&eacute;ation mon&eacute;taire et l&rsquo;inflation (des prix des biens et services). Cette corr&eacute;lation a &eacute;t&eacute; remplac&eacute;e par celle entre la cr&eacute;ation mon&eacute;taire et les prix des actifs financiers et immobiliers. Le cadre th&eacute;orique est celui du mod&egrave;le de r&eacute;&eacute;quilibrage de portefeuilles. S&rsquo;il y a hausse de la quantit&eacute; de monnaie, initialement les agents &eacute;conomiques d&eacute;tiennent trop de monnaie par rapport &agrave; leurs souhaits ; ils r&eacute;&eacute;quilibrent alors la structure de leurs portefeuilles en achetant d&rsquo;autres actifs (obligations, actions, immobilier&hellip;) avec l&rsquo;exc&egrave;s d&rsquo;actifs mon&eacute;taires dont ils disposent. &Agrave; l&rsquo;&eacute;quilibre, il y a donc hausse des prix de ces autres actifs, ce qui s&rsquo;&eacute;tait bien observ&eacute; apr&egrave;s la crise des subprime et la mise en place des premiers Quantitative Easings (achat de dette publique par les banques centrales). De 2012 &agrave; 2019, les prix de l&rsquo;immobilier augmentent de 54 % dans les pays de l&rsquo;OCDE, les indices boursiers de 120 %, avec sur cette p&eacute;riode une hausse de l&rsquo;offre de monnaie de banque centrale de 110 %. Le probl&egrave;me va donc bien &ecirc;tre l&rsquo;instabilit&eacute; financi&egrave;re Le co&ucirc;t &agrave; payer pour l&rsquo;in&eacute;vitable mon&eacute;tisation des dettes publiques &eacute;mises en raison de la crise du coronavirus va donc &ecirc;tre l&rsquo;instabilit&eacute; financi&egrave;re. Quand la confiance reviendra, quand l&rsquo;incertitude diminuera, comme on l&rsquo;a vu plus haut, dans la logique de r&eacute;&eacute;quilibrage des portefeuilles, les agents &eacute;conomiques utiliseront l&rsquo;&eacute;norme masse de monnaie cr&eacute;&eacute;e, et qui est aujourd&rsquo;hui essentiellement d&eacute;tenue sous forme d&rsquo;actifs mon&eacute;taires, pour investir en actifs risqu&eacute;s, et il faut donc s&rsquo;attendre &agrave; l&rsquo;apparition de bulles sur les actions, sur l&rsquo;immobilier. L&rsquo;exc&egrave;s de liquidit&eacute; a aussi comme effet d&rsquo;accro&icirc;tre la taille et la variabilit&eacute; des flux de capitaux entre les diff&eacute;rents actifs financiers et les diff&eacute;rentes devises (les diff&eacute;rents pays). Prenons l&rsquo;exemple des pays &eacute;mergents. Avant la crise des subprime, les flux de capitaux vers ou depuis les pays &eacute;mergents avaient une taille maximale de 40 milliards de dollars par mois. Avec la monnaie cr&eacute;&eacute;e depuis la crise des subprime, on est pass&eacute; &agrave; des flux de capitaux mensuels pouvant atteindre, dans un sens ou dans l&rsquo;autre, 200 milliards de dollars. Ceci est l&rsquo;origine de l&rsquo;&eacute;norme variabilit&eacute; des taux de change des pays &eacute;mergents depuis la crise de 2008-2009 (prenons par exemple le real Br&eacute;silien, son taux de change vis-&agrave;-vis du dollar passe de 1,80 en 2010 &agrave; 4,10 en 2015, 3,20 en 2017, 5,90 en mai 2020). On doit donc attendre, apr&egrave;s la crise du coronavirus, et en raison de l&rsquo;&eacute;norme quantit&eacute; de monnaie cr&eacute;&eacute;e avec cette crise, des bulles sur les prix des actifs et, plus tard, l&rsquo;explosion de ces bulles, des flux de capitaux de grande taille et erratiques, une forte variabilit&eacute; des prix des actifs et des taux de change&hellip; Appelons cela l&rsquo;instabilit&eacute; financi&egrave;re, qui est le prix &agrave; payer pour la mon&eacute;tisation massive des dettes publiques. Comment corriger l&rsquo;instabilit&eacute; financi&egrave;re ? Les politiques macroprudentielles Les banques centrales ne pourront pas, apr&egrave;s la crise du coronavirus, revenir &agrave; des politiques mon&eacute;taires plus restrictives, ce qui serait d&eacute;sastreux avec le niveau tr&egrave;s &eacute;lev&eacute; de taux d&rsquo;endettement public (qui augmente de 21 points de PIB en 2020 pour l&rsquo;ensemble de l&rsquo;OCDE) et le risque de crise des dettes publiques si les taux d&rsquo;int&eacute;r&ecirc;t augmentent. Ce ne seront donc probablement pas les hausses des taux d&rsquo;int&eacute;r&ecirc;t ou la r&eacute;duction de la taille des bilans des banques centrales qui pourront &ecirc;tre utilis&eacute;es pour lutter contre l&rsquo;instabilit&eacute; financi&egrave;re. Il restera alors une seule possibilit&eacute;, qui est d&rsquo;utiliser plus activement les politiques macroprudentielles au sens large. Il peut s&rsquo;agir de la modification des ratios prudentiels des banques et des assureurs (ratios de fonds propres&hellip;), de l&rsquo;utilisation du loan-to-value ratio (ratio entre l&rsquo;endettement autoris&eacute; et la valeur du bien achet&eacute;), de la taxation plus forte des plus-values en capital &agrave; court terme ; en ce qui concerne les flux de capitaux en particulier vers les pays &eacute;mergents, il s&rsquo;agit de mettre en place des contr&ocirc;les des capitaux s&eacute;lectifs, pour r&eacute;duire la taille des capitaux sp&eacute;culatifs &agrave; court terme. Reste &agrave; savoir si les &Eacute;tats auront le courage de mettre en place ces mesures, qui sont impopulaires aupr&egrave;s des m&eacute;nages et des investisseurs, pour contr&ocirc;ler l&rsquo;instabilit&eacute; financi&egrave;re.

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