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Rencontre avec... Hubert Blanc-Jouvan,
responsable de la pratique Regulatory, ASHURST

Hubert Blanc-Jouvan : « Leur transposition communautaire aura
une portée plus large que les objectifs bâlois »

Créé le

20.10.2023

-

Mis à jour le

23.10.2023

Des éléments de CRR 3 et CRD 6 qui ne découlent pas stricto sensu des accords de Bâle affecteront de façon significative le secteur bancaire européen.

À l’heure où les dernières réformes de CRR et CRD sont en passe d’être finalisées, quel regard posez-vous sur cette transposition des accords de Bâle 3 dans le droit européen ?

Le champ des sujets couverts par les accords de Bâle 3 est très étendu et n’a jamais cessé de s’enrichir avec de nouveaux sujets. Il en est de même pour leur mise en œuvre au niveau communautaire, engagée depuis 2013, et que l’on espère pouvoir finaliser dans les semaines ou mois qui viennent.

La réglementation issue de ces accords est protéiforme, tant et si bien qu’il est indispensable de s'accorder sur ce qu'on entend couvrir s'agissant de ceux-ci. En l’occurrence, nous nous situons dans le cadre des accords de Bâle de décembre 2017, dont il est prévu d'assurer la transposition en droit communautaire au travers du « paquet bancaire » CRR3 et CRD6. De façon générale, cette transposition reflète un alignement assez important par rapport aux objectifs de Bâle 3, l’Union européenne (UE) ne s’en éloigne pas tant que ça. Néanmoins, elle se fait au moyen d'instruments à la portée plus importante et qui contiennent des éléments d’ordre « prudentiel » au sens large qui ne sont pas stricto sensu des objectifs bâlois et, pourtant, affecteront de façon significative le secteur bancaire européen.

Quels sont ces éléments ?

Deux d’entre eux me semblent importants à souligner. Le premier concerne l’implantation de succursales de banques de pays tiers (par opposition aux intra-communautaires), qui seront sujettes à un cadre réglementaire plus strict et harmonisé. Le second point d'attention a trait à la prise en compte des risques environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG). Il est question de prendre en compte ces risques à la fois dans l’évaluation de l’ensemble des risques auxquels les banques sont exposées, et dans les choix à effectuer par les banques en matière de stratégie et de gouvernance.

Qu’est-ce que la mise en œuvre des mesures concernant l’ESG change pour le secteur bancaire ?

Pour l'essentiel, l’objectif est de contraindre les établissements bancaires à analyser leur exposition aux risques ESG, à mieux les identifier pour en faire un élément de supervision. Concernant les risques environnementaux, il s'agit de vérifier que les banques sont correctement préparées et en mesure de faire face aux changements réglementaires ou politiques découlant de la transition écologique.

La prise en compte de ces risques s'est immiscée dans tous les aspects de la vie économique et financière. Leur intégration dans le paquet bancaire CRR3 et CRD6 devrait permettre, selon ses promoteurs, de renforcer la résilience du secteur face à ceux-ci, mais aussi d'améliorer l'alignement de la stratégie des banques sur les objectifs notamment environnementaux, et climatiques, de l'UE.

Que modifie la nouvelle réglementation pour les succursales de pays tiers ?

Pour l’heure, le régime réglementaire des succursales de pays tiers dépend du pays d’implantation. La nouvelle réglementation prévoit d’harmoniser les contraintes dans l’ensemble de l’UE, avec certaines exigences minimales de fonds propres, de gouvernance, de déclaration annuelle de lutte contre le blanchiment, etc., ainsi que des pouvoirs de surveillance renforcés. Le droit de regard de l’autorité de supervision s’appliquerait en matière de gouvernance, jusqu’à imposer la filialisation dans certains cas : ces filiales seraient alors soumises pleinement aux règles européennes, plus contraignantes.

Ce régime resterait moins contraignant que celui applicable aux entités européennes. Des pays jusque-là moins-disants sur ces sujets seront néanmoins alignés sur les autres États membres. En France, l’impact serait assez mesuré, entraînant finalement peu de changements.

Pourquoi de telles mesures, puisqu’elles n’entrent pas directement dans le champ de Bâle 3 ?

Le fait que les accords de Bâle 3 ne se soient pas prononcés sur ces éléments s'explique sans doute par les spécificités européennes. L’UE est particulièrement sensible aux risques ESG, et plus encline que d'autres à les intégrer dans le champ de la supervision prudentielle. C'est également une particularité européenne, par nature, que de poursuivre l'objectif d'une harmonisation poussée des règles applicables aux établissements de pays tiers.

Un mouvement général donne une place de plus en plus prépondérante aux risques ESG et à leur intégration à l’activité financière et économique. Quant au resserrement des règles d’implantation des succursales de pays tiers, l’objectif est sans doute, ici, la protection du client européen, quelles que soient la nationalité de l’établissement et la forme de sa présence sur le territoire communautaire. Cette mesure revêt également une dimension peut-être un peu plus politique, maintenant que le Royaume-Uni ne fait plus partie de l’UE.

C’est aussi une certaine forme de protectionnisme. L’application des règles prudentielles représente un coût très important pour les banques, en termes de fonds propres, de conformité et de contrôle interne. Il s’agit de définir un « terrain de jeux » commun afin de garantir a minima une égalité de traitement entre établissements. Sur un terrain harmonisé, il convient de maintenir la capacité des acteurs à entrer dans le jeu de la concurrence.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº885
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