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Le crédit immobilier allemand dans le brouillard

Créé le

16.06.2023

-

Mis à jour le

20.06.2023

Alors que les mesures prudentielles de la BaFin contribuent à resserrer les conditions d’octroi des prêts immobiliers, les marges brutes des banques allemandes sont au plus bas depuis dix ans.

Signe que l’hiver s’installe sur le crédit à l’immobilier résidentiel en Allemagne, Deutsche Bank commence à rationnaliser les activités de ses trois branches spécialisées. La fin du boum était annoncée depuis des mois par la Bundesbank, qui signalait une chute de 50 % des nouvelles affaires au premier semestre 2023 par rapport à l’année précédente. En avril, les nouveaux contrats de prêts hypothécaires s’élevaient à 13 milliards d’euros, « le plus mauvais résultat jamais enregistré » depuis vingt ans, confirme le cabinet Barkow Consulting.

La hausse des taux d’intérêt moyen, qui frisent les 4 % pour les nouveaux prêts sur 10 ans, calme les appétits. Les acheteurs temporisent aussi en attendant une nouvelle baisse des prix. La Bundesbank leur donne raison en martelant que les prix immobiliers dans les villes étaient de 15 % à 40 % surévalués fin 2022. Or, « le financement immobilier est un élément central du modèle commercial de nombreuses banques allemandes et constitue donc un pilier essentiel de leurs revenus », soulignait Joachim Wuermeling, membre du directoire de la Bundesbank en octobre 2022. « Environ 35 % de l’ensemble des crédits accordés par les banques allemandes aux établissements non bancaires sont des prêts au logement », ajoutait-il. Ceci alors que la moitié seulement des Allemands sont propriétaires de leur logement.

Un coussin prudentiel contesté

L’autorité de surveillance des marchés financiers, la BaFin, qui partage ces craintes, a imposé aux banques allemandes de constituer depuis février 2023 un coussin de fonds propres de 2 % pour couvrir les risques systémiques dans le secteur du crédit immobilier résidentiel. Cette mesure, prévenant une « bulle », contribue déjà à durcir les conditions d’octroi des crédits.

Pourtant, « la situation actuelle sur le marché de l’immobilier résidentiel ne justifie pas une mesure d’une telle ampleur », assure Jens Tolckmitt, le directeur général de la Fédération des banques de lettres de gage hypothécaire (VDP). « Le risque réside plutôt dans la pénurie de logement », confirme Hans-Peter Burghof, professeur d’économie bancaire à l’université de Hohenheim. Pour le moment, « le recul du secteur de la construction ne se fait pas sentir, parce que le BTP était assis sur d’énormes carnets de commandes qui n’ont pas encore pu être honorés en raison de problèmes dans les chaînes d’approvisionnement et la hausse des prix des matériaux ». En revanche, poursuit le spécialiste, « cet automne ou au début de l’année prochaine, la chute pourrait être violente ».

Vers une hausse des NPL

Dans ce contexte, la concurrence s’intensifie pour les financements à faible risque et la baisse des rendements va se poursuivre, prévient le cabinet PwC. Selon sa dernière analyse du crédit à la construction, la marge nette après frais de refinancement est tombée en moyenne à 1,04 % par an en 2021 et abordait en 2022 son taux le plus bas depuis dix ans.

Il y a un an, Joachim Wuermeling restait serein face aux risques de crédit non performant (NPL), dont le taux était inférieur à 1 % en 2022, mais « reste à savoir si cela restera ainsi à l’avenir », prévenait-il. Le problème n’était pas du côté des crédits anciens contractés par des ménages à haut revenu, mais de ceux financés ces dernières années en pleine vague de taux bas avec un service de la dette élevée par rapport aux revenus, précise-t-il. Un sondage publié en avril par le cabinet EY confirme ses doutes : 97 % des managers bancaires s’attendent à une hausse des NPL, le score le plus élevé depuis le début de cette enquête régulière d’EY. « Même au plus fort de la pandémie, le pessimisme n’était pas aussi prononcé ». Pour autant, note l’analyste d’EY, Christoph Roessle, « les personnes interrogées ne considèrent pas que la balle est dans leur camp » : 48 % n’ont pas prévu de transferts de risques au sein de la banque. Emblématique des « signaux contradictoires » des autorités de contrôle, note le professeur Hans-Peter Burghof, c’est dans ce contexte trouble que la Bundesbank et la BaFin ont relancé le débat sur la titrisation des crédits immobiliers.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº882
Promesses de prêts immobiliers en Allemagne
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