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« Le travail est une prière »

Créé le

22.05.2023

-

Mis à jour le

06.06.2023

Système par répartition et rente viagère, hérités des siècles précédents,
sont aujourd’hui des notions caduques et inadaptées. L’assurance vie fait
partie des produits permettant
aux citoyens de disposer librement
d’un véritable capital.

Rêvons un instant. Rêvons à ce qui aurait pu être un bon système de retraite, dans lequel chaque Français aurait sa place et sa dignité de retraité serait reconnue. Péguy écrit quelque part que « le travail est une prière ». Mais on ne lit plus Péguy. Qu’aurait-il alors fallu faire et qu’en serait-il résulté si le projet prévu avant la présidentielle, qui avait reçu un écho plutôt favorable de syndicats, n’avait pas été contaminé par d’obscures forces politiques ?

Rêvons donc à un régime unique, remplaçant nos quelque 37 actuels, complexes et morcelés, uniformisant la durée de cotisation probable à 44 ans, reposant sur un système par points où chaque Français serait maître de sa retraite, avec le droit de travailler aussi longtemps que désiré, un système harmonisant la retraite à la carte, entre public et privé, une harmonisation appliquée aux pensions de réversion sans condition de ressources, aux départs anticipés, au mode de calcul (75 % public, 50 % privé).

Si l’on veut bâtir de nouveaux acquis sociaux, il faut accepter d’en reconsidérer certains, notamment les plus injustes. Ce système abandonnerait la référence aux annuités pour fonctionner par points, ou en comptes notionnels, les pensions seraient fonction de l’espérance de vie et le taux d’activité des seniors (inférieur à 40 % en France contre plus de 60 % en Suède) aurait été relevé, assurant ainsi leur pleine participation à la société civile. Nous serions peut-être dans un régime de retraite universel. Chacun, au cours de sa vie, aurait accumulé des points de retraite, transformés en prime, en fonction de l’âge atteint. Il y aurait des points gratuits pour les malades, chômeurs, personnes vulnérables, toutes celles qui subissent précarité et vulnérabilité dans leur travail. Un équilibre serait trouvé, laissant la liberté de choix, fondé sur l’écart entre l’âge légal du départ et l’âge pivot où la valeur de la pension est maximale.

Pensons justice et raisonnons arithmétique

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, il y avait 14 actifs pour 1 retraité, dont l’espérance de vie était précaire. Aujourd’hui, il y en a, pour simplifier, 2 pour 1 retraité, avec une espérance de vie plus longue. 300 000 personnes de plus, chaque année, jusqu’en 2030, vont arrêter de cotiser pour percevoir une pension. Le phénomène est sans précédent. Entièrement prévisible. Mais entièrement dissimulé au grand public à travers des rapports lénifiants, pompeux, trompeurs et politiques. Par le canal des préretraites, le phénomène a, en partie, été repoussé.

Le « rendement » d’un régime par répartition dépend principalement du rapport entre le nombre d’actifs (cotisants) et celui de retraités. Le rapport des classes d’âge 20/60 ans à celles des 60 ans et plus, décorrélé du chômage et de la structure des emplois, salariés, fonctionnaires, professions libérales, etc., passe de 2,7 en 2000, à environ 2 aujourd’hui et à 1,4 d’ici 2040. Cette équation impose soit de doubler la charge des cotisations, au risque de faire fuir les Français hors de France, soit de diviser par deux les prestations, au risque de les faire tous descendre dans la rue.

Un régime par points eût permis de gérer tranquillement la situation en trouvant chaque année le point d’équilibre entre valeur d’achat du point et valeur de service.

La retraite, une notion périmée

Il faut repenser fondamentalement la notion de retraite, concept dépassé, et lui substituer celle de ressource. Nous avons une conception mercantile et quantitative des retraites. Dépassons-la. Dans le cycle de l’épargnant, deux vecteurs qualitatifs apparaissent : la santé et l’éducation, attributs de sa propre vie. La croissance, elle, réside dans le travail, le capital et beaucoup dans le qualitatif, le résidu humain. On a donné le Prix Nobel à un économiste, Gary Becker, pour l’avoir écrit. Il est essentiel de reconnaître qu’un individu, dans sa vie, ne se limite pas à une personne qui travaille, consomme, épargne et transmet. Il faut mesurer le capital humain, l’intérêt qu’on porte à soi, aux choses et aux personnes.

Dès qu’on aura compris qu’il faut dépasser cette notion statique, bornée, qu’être retraité c’est toucher une pension de retraite, on aura fait un progrès. On n’est pas inactif parce qu’on est retraité. On ne s’arrête pas de penser ni d’agir. Réfléchissons à l’utilité sociale d’une personne, ce qu’elle peut faire une fois retraitée, apporter à elle-même, ses proches, sa famille, sa contribution à la société. Nombreux sont les engagements, activités, dévouements, sans aspects financiers et qui peuvent représenter, pour un individu, sa part de responsabilité dans une société dans laquelle il continue de vivre, même s’il n’y travaille plus.

Dans la France de demain, vont cohabiter travail, repos, loisirs, bénévolat, formation, dans une nouvelle organisation sociale. La France ne doit pas être une société d’épargne viagère. Il est choquant de dire : « À 64 ans, vous êtes formidable, à 65 ans, vous n’êtes plus rien. » Une société moderne ne saurait condamner les gens en fonction de leur état civil. La retraite est une notion périmée, conception héritée du XIXe siècle. Ainsi, pourquoi les hommes politiques peuvent-ils être actifs à un âge où d’autres prennent leur retraite ?

Réfléchir sur la notion de ressource

Engageons, nous tous, une réflexion essentielle sur la notion de ressource, et les risques qui y sont associés. Trop de risques individuels sont pris en charge par la communauté ; trop de risques collectifs sont supportés par les individus. Définissons une frontière entre risques individuels et collectifs, reconnaissons l’utilité sociale de millions d’individus qui, retraités, vont recouvrer un sens à leur vie et seront disposés différemment à l’égard de la dimension seulement financière de leur retraite. La vision comptable des retraites est d’une mauvaise espèce. Cela nous concerne particulièrement car les Français sont ceux qui passent le plus d’années en retraite : 24,5 contre 20,1 en Allemagne, ou 17,6 aux États-Unis, et une moyenne de 18,3 années dans la zone OCDE. Une fois le concept de retraite repensé, il faut s’intéresser à la psychologie de l’épargnant. C’est là où l’assurance vie est de bon conseil.

Le gouvernement entend faire de la capitalisation comme on fait de la répartition, et fiscaliser la rente à la sortie, comme les pensions de retraite sont fiscalisées. Or, elle doit être libre dans son montant, dans le temps et sans impôt. Le concept de rente viagère, c’est le Second Empire, peut-être même Louis-Philippe. Avec celle-ci, on n’a pas de visibilité : les compagnies d’assurance savent calculer des rentes futures, mais sont bien incapables de garantir en « t » quel sera le taux de rente en « t + 20 ».

L’épargne appartient aux épargnants

L’assurance vie consiste en des économies pour faire face aux aléas de la vie. Rien de plus normal que de récupérer son capital retraite. Or, dans les systèmes tunnel, on ne récupère rien. La loi PACTE a libéré le système. Il s’agit maintenant de le libérer pour que l’assurance vie soit une épargne pour tous. L’épargne est trop souvent une chance, le résidu de notre consommation. Il faut la généraliser, en faveur des plus modestes. Si la liberté est reconnue, l’épargnant n’a pas l’impression de se départir de son argent. Il ne paie pas une assurance, il augmente son capital. Les compagnies d’assurance, les Pouvoirs publics, doivent se familiariser davantage avec la psychologie de l’épargnant.

L’Afer y a contribué. Elle estime que l’’épargne appartient aux épargnants. Dans un système de répartition, on cotise. Dans un système de capitalisation, on augmente son capital. Épargner, c’est s’épargner les aléas de la vie. À la différence de la consommation, l’épargne n’a pas de but prédéterminé. Elle a quelque chose d’instinctif, quasi naturel. On met de côté, sans nécessairement savoir pourquoi. Tellement d’épargnants ne profiteront jamais de leur épargne. Dans un système capitaliste, il faut du capital, plutôt que des rentes. La capitalisation a cette qualité fondamentale d’autoriser la liberté des versements et retraits. La vie est un risque. Il est souhaitable que des individus puissent toucher leur capital dans des cas exceptionnels.

Le gouvernement aborde les retraites du 21e siècle avec une conception héritée du temps de Zola. D’où la montée des radicalités, des mouvements de foule, de contestations des périls, toutes les fois où l’exécutif, avec courage, s’attache à une réforme des retraites. Nous estimons, à l’Afer, que les épargnants savent mieux que l’État ce qui est bon pour eux. Il ne sert à rien de décider à leur place. La rente viagère, c’est une rente pour l’administration, pas pour des Français qui aspirent à vivre leur retraite comme ils l’entendent. À des millions de citoyens, on tient un discours technocratique du genre : « Le modèle qui doit vous plaire pour vos vieux jours, ce n’est pas une retraite, mais une épargne viagère ; l’État va décider à votre place parce qu’il sait ce qui est bon pour vous, même si ce qu’il vous propose vous déplaît. » Les millions d’épargnants sont des citoyens libres et conscients.

Avec les rentes, on a, certes, une parfaite visibilité comptable, mais aucune garantie financière. Le capital, c’est le fruit du travail, des économies de toute une vie, qui ont déjà été taxées. Pourquoi veut-on imposer aux épargnants une rente viagère qui, en plus, est fiscalisée alors que l’assurance vie l’est bien moins ?

Le capital, plutôt que la rente

Donnons un exemple : un capital procure 12 000 euros de rente par an, avec une tranche d’impôt de 30 %, l’épargnant paie 3 600 euros d’impôts. S’il avait mis 12 000 euros en assurance vie, il ne paierait aucun impôt. La rente viagère actuelle, c’est le passé ; l’assurance vie en capital, c’est l’avenir. On peut aussi l’utiliser comme outil de nantissement et de garantie en récupérant le capital-retraite, alors que dans les sombres systèmes tunnel des retraites, on ne récupère rien.

Si tout devient libre, les versements, le capital, les retraits, les épargnants n’ont pas l’impression de cotiser, mais d’augmenter leur capital ; ils ne se départissent pas de ce qui leur appartient, ils le mettent de côté pour les aléas de la vie, et l’aléa final : la retraite et la transmission. Avec un système de retraites et de versements libres, on garde jusqu’à la fin de son existence la maîtrise de son épargne en quasi-franchise fiscale. L’exonération de droits de succession s’est aussi révélée un stabilisateur parfait de l’épargne.

L’épargnant n’est pas un souscripteur de contrats avec l’espoir de toucher une rente incertaine, bloquée et fiscalisée. L’assurance vie a une vocation sociale car elle est le vecteur d’épargne le plus sain, le plus naturel et le plus libre de constitution des retraites. L’encours de l’Afer représente à lui seul près de la moitié de l’encours de tous les produits d’épargne retraite de type PERP, PERE, Perco, 83, 39. Voilà le fruit de la liberté d’un bon contrat. Et le triste résultat d’une conception archaïque des retraites de la part des gouvernements passés, avec des produits d’un autre âge.

Il est bien trop tard maintenant pour constituer progressivement une épargne afin de compléter honorablement la diminution des prestations des régimes obligatoires. Il faudrait sans doute l’équivalent de 500 milliards d’euros pour que l’assurance vie contribue efficacement au financement des retraites.

Fort heureusement, les Français ont constitué, à travers l’assurance vie, une « réserve » de quelque 1 900 milliards d’euros, dont un bon tiers a été épargné en vue de la retraite. Sous cet angle, le compte est bon.

Aucune solution aux retraites ne saurait reposer sur une nouvelle taxation de l’assurance vie, à commencer par son intégration à la dévolution successorale. Le petit gain fiscal sera d’un faible poids au regard des conséquences économiques en termes de consommation, de ressources, de croissance et de confiance. Le ministre des Finances a « bien tenu » depuis six ans. Souhaitons-lui six années de plus, ici ou ailleurs. Depuis 1980, la fiscalité de l’assurance vie a été modifiée plus de vingt fois. Il n’y avait alors pas de droits de succession, pas de taxation sur les plus-values et revenus, et une réduction d’impôt. Les réformes se sont succédé et ont sensiblement limité ses avantages fiscaux. L’érosion continue des avantages de l’assurance vie est une atteinte à la démocratie financière. Nous disons aujourd’hui : « Stop, ne touchez plus à l’assurance vie ! » Elle n’est pas malade. Laissons-la tranquille.

Répartition vs capitalisation, une opposition stérile

L’assurance vie n’est pas une « niche ». Elle a drainé quelque 1 900 milliards d’euros, finançant le développement de l’entreprise et 20 millions d’emplois privés pour la France, grâce aux 700 milliards en titres d’entreprises, obligations et actions, y compris 28 milliards investis dans les PME, sans oublier les 450 milliards en obligations d’État, qui financent la dette publique : une véritable mission de « service public ».

L’allongement de la durée moyenne de la vie a tout bouleversé. Un trimestre de plus d’espérance de vie chaque année est un véritable défi. Sous cet angle, il n’y a rien d’anormal à ce que le rallongement de la durée de cotisation suive celui de la durée de vie. Édifiés à la Libération, les régimes de base par répartition, socles indispensables à notre société, ne reposent plus que sur des sables mouvants et créent une charge qui n’est plus supportable pour la collectivité active. D’autant que la répartition ne répartit plus grand chose. Il n’y a pas de solution viable sans allongement de l’âge de la retraite, qui doit tenir compte de la pénibilité du travail. L’espérance de vie d’un ouvrier, à 35 ans, est inférieure de 6 ans à celle d’un cadre. Enfin, il n’y aura pas de solution viable sans révision des cotisations. Ceux qui ont commencé à travailler jeunes doivent pouvoir partir plus tôt en retraite. La pénibilité doit tenir compte des contraintes matérielles d’exposition aux tâches dangereuses ou aux charges physiques d’horaires.

L’idéologie est mauvaise conseillère. Cessons d’opposer inutilement notre vieux système de répartition fondé sur la solidarité entre jeunes et vieux à un système par capitalisation qui n’introduit pas de discrimination nécessaire entre riches et pauvres. Courage et bon sens doivent être au rendez-vous. Et espérons que la réforme, maintenant qu’elle entre en vigueur, soit une opportunité pour aller plus loin dans ce qui est libre et juste.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº881bis
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