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Le nouveau règlement délégué Solvabilité 2 intègre les risques de « durabilité »

Créé le

29.08.2022

-

Mis à jour le

09.09.2022

Le texte est entré en vigueur ce mois d’août. Il vise
à introduire une dimension ESG dans la gouvernance
et la gestion des risques
en assurance. Décryptage du dernier règlement délégué de Solvabilité 2.

À la suite de l’accord de Paris en 2015, la Commission européenne a élaboré un plan d’action sur la finance durable destiné à renforcer la contribution du secteur financier européen à la transition vers une économie bas-carbone. Ce plan comprend deux dimensions : le financement de la transition écologique, alors qu’environ 180 milliards d’euros d’investissements supplémentaires par an sont considérés comme nécessaires pour que l’Union européenne puisse atteindre les objectifs pour 2030 fixés lors du sommet de Paris, et la maîtrise des risques financiers liés au changement climatique.

Dans la ligne de ce deuxième objectif, l’Autorité européenne des assurances et des pensions professionnelles (EIOPA) a rendu un avis à la Commission européenne en avril 2019 portant sur l’intégration des risques liés au changement climatique dans le pilier 2 de Solvabilité 2. Des amendements aux règlements délégués aux directives Solvabilité 2 et Distribution d’Assurances (DDA) en ont découlé, qui viennent d’entrer en application le 2 août 2022.

Ces amendements introduisent une nouvelle catégorie de risques dits « de durabilité » et cherchent à allonger l’horizon de prise en compte du risque ainsi qu’à introduire une référence aux préférences environnementales des consommateurs. Ils contribuent aussi à élargir le mandat du superviseur.

Une catégorie de risques inédite

Une nouvelle notion est introduite dans la réglementation, celle de « risques de durabilité » (sustainability risks), qui va bien au-delà du seul risque climatique relatif aux catastrophes naturelles déjà pris en compte dans le calcul de l’exigence de capital des assureurs (qui couvre les risques dits « physiques » liés aux événements climatiques extrêmes – sécheresses, inondations, tempêtes, etc. – amenés à se multiplier et à augmenter en intensité avec le changement climatique). Les risques de durabilité couvrent aussi, en matière environnementale, les risques dits de « transition », affectant les actifs menacés de dépréciation du fait de réglementations contraignantes destinées à satisfaire les engagements climatiques, ainsi que les risques de responsabilité, liés aux procès et litiges auxquels les organismes pourraient être confrontés du fait de la mise en jeu de leur responsabilité dans le changement climatique, du fait de leurs investissements.

Enfin, les risques de durabilité incluent les « risques sociaux », c’est-à-dire les risques financiers issus de sujets sociaux comme les droits, le bien-être et les intérêts des peuples et communautés1. Il s’agit de la première prise en compte de ces risques dans la réglementation prudentielle. Jusqu’à présent, ces risques étaient principalement traités via la responsabilité sociale et environnementale (RSE) plutôt que comme une source de risque financier, même si certaines évaluations internes des risques (Own Risk and Solvency Assessment – ORSA) réalisées par les établissements identifiaient déjà les risques sociaux comme des sources du risque de réputation, ce qui sera désormais requis avec cette nouvelle réglementation.

L’horizon de prise en compte allongé

Un aspect clé du nouveau règlement délégué Solvabilité 2 est l’intégration de l’impératif de durabilité (sustainability) dans le principe de la personne prudente : les assureurs devront désormais prendre en compte les risques de durabilité lorsqu’ils évaluent la sécurité, la qualité, la liquidité et la profitabilité de leur portefeuille d’actifs et, sans préjudice de cette évaluation, refléter les préférences environnementales, sociales et de gouvernance (ESG) de leurs clients dans leurs choix d’investissement. La politique de rémunération des dirigeants et du personnel des organismes d’assurance devra aussi inclure des informations sur sa compatibilité avec la prise en compte des risques de durabilité par les assureurs (par exemple, via des objectifs liés à la mesure et la gestion du risque climatique).

L’ORSA devra également être enrichi avec l’intégration de ces risques dans la détermination du besoin global de solvabilité (BGS), l’évaluation d’un besoin de capital dont l’horizon temporel est plus long que celui utilisé pour le calcul des exigences de capital annuelles et donc plus adapté à la prise en compte des risques liés au changement climatique. En termes de politiques écrites, les risques de durabilité devront être couverts par la politique interne de gestion des risques et pris en compte par la fonction gestion des risques dans ses missions. L’ORSA pourrait être de nouveau enrichi dans le cadre des discussions en cours sur la revue de Solvabilité 2.

Ces nouvelles obligations qui viennent d’entrer en application dans l’Union européenne pourraient inspirer d’autres juridictions puisque les dispositions relatives à la fonction clé gestion des risques, à l’ORSA et à la rémunération ont été reprises dans un papier du Sustainable Insurance Forum (SIF), regroupant les principaux superviseurs dans le domaine de l’assurance, intitulé « La supervision des risques liés au climat dans le secteur de l’assurance » publié en mai 2021 : régulièrement en avance de phase sur ces sujets, les Européens contribuent ainsi à bâtir, via la participation aux groupes de travail internationaux, une doctrine internationale sur les nouveaux risques auxquels les assureurs sont confrontés.

La supervision étoffée

L’intégration des risques de long terme, que les effets du changement climatique font notamment peser sur les assureurs, s’inscrit pleinement dans la mission de préservation de la stabilité financière confiée aux superviseurs. En outre, comme le souligne le NGFS (Network for Greening the Financial System), les risques financiers – qu’ils soient physiques ou de transition – générés par le changement climatique peuvent affecter significativement les variables macroéconomiques (impact sur les prix énergétiques par exemple).

En revanche, la prise en compte de l’impact des activités financières sur le changement climatique, notamment via les investissements (concept de double matérialité), dont la prise en compte des préférences ESG des consommateurs constitue une des dimensions, est un élargissement des préoccupations du superviseur. Le contrôle des rapports d’impact néfaste des activités d’investissement des assureurs par les superviseurs, requis par le règlement SFDR (Sustainable Finance Disclosure Regulation), entré en application en mars 2021, est une autre illustration de cette évolution.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº871
Notes :
1 Voir Avis technique d’EIOPA sur l’intégration des risques et facteurs de durabilité dans les actes délégués de Solvabilité 2 et d’IDD, avril 2019 : https://register.eiopa.europa.eu/Publications/EIOPA-BoS-19-172_Final_Report_Technical_advice_for_the_integration_of_sustainability_risks_and_factors.pdf
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