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Du bon usage des notations

L’analyse des défaillances d’entreprise pour anticiper les véritables risques

Créé le

20.12.2021

L’environnement de taux zéro a généré le développement d’entreprises « zombies », amplifié par les crédits octroyés à l’occasion de la crise sanitaire. Des sociétés susceptibles de sortir du jeu en cas de crise économique ou de hausse des taux. Les notes de NOTA-PME proposées sur Infogreffe sont-elles un indicateur pertinent pour juger des défaillances à venir ? Que regarder d’autres ? Nos réponses.

Dans le contexte actuel des aides financières liées à la crise du Covid-19 (prêts garantis par l’État, report de charges…), les débats sont animés sur le risque d’aider sans espoir des entreprises « zombies », c'est-à-dire des sociétés déjà non viables avant la crise et qui ne le seront pas plus après. Ces entreprises ont notamment été soutenues ces dernières années par le faible niveau des taux d’intérêt. Pour débusquer les risques, et les déjouer, nous avons mené une analyse sur les défaillances d’entreprises. Approche sectorielle, taille, notation… : nombre de critères ont été étudiés.

Côté notation, le système de notation de NOTA-PME mis à disposition par Infogreffe a été développé et affiné à cet effet sur plusieurs décennies. À la différence de nombre de systèmes de notation fonctionnant par paliers, notamment la cotation de la Banque de France, il s’agit d’une note continue. La mesure n’en est que plus précise. Cette note s’étend du moins bon, 0, au meilleur, 10. Elle résulte de la notation combinée de trois critères, rentabilité, solvabilité et robustesse, eux-mêmes appréciés sur la base d’une soixantaine de ratios et indicateurs. Leur liste est accessible dans les rapports approfondis sur le site d’Infogreffe.

L’exercice a été réalisé sur la base des défaillances d’entreprises de 2019. En la matière, cette année est positionnée à un niveau relativement bas dans la période récente, à comparer à la fourchette des 60 000 à 65 000 défaillances annuelles de la période 2009-2015, mais bien loin des quelque 12 000 à 15 000 défaillances de la période 1970-1975. Pour ces défaillances, enregistrées en 2019, les derniers comptes disponibles ont été arrêtés dans leur immense majorité en 2017 (voir méthodologie).

La notation, véritable outil de prédiction

Les petits plus fragiles

Le premier exercice consiste à évaluer le profil de notre échnatillon. Le résultat est sans appel : avec 46,5 % de la population de référence, les entreprises performantes, affichant une notation NOTA-PME supérieure à 6, sont les plus nombreuses. Les entreprises en difficultés, elles, pèsent 17,75 % de l’ensemble.

Une analyse par taille d’entreprise donne un autre éclairage (voir ci-contre). Les très petites entreprises, avec moins d’un million de chiffres d’affaires, étaient les plus fragiles en 2017. Plus de 20 % d’entre elles avaient une note inférieure à 4, alors que le pourcentage d’entités concernées tombait à moins de 8 % sur les entreprises avec plus de 5 millions d’euros de chiffres d’affaires. Ce qui montre que les grosses entreprises, au-delà de 5 millions d’euros de chiffre d’affaires, maîtrisent mieux leurs équilibres fondamentaux.

La défaillance liée à la notation

Le taux de défaillance des entreprises performantes se limite à 1,65 % contre une moyenne de 3,47 %. A contrario, le taux de défaillance s’élève en moyenne à 8,56 % sur les entreprises en difficulté et il grimpe à près de 15 % sur les entreprises affichant une note inférieure à 2 (voir graphique).

Établissons simplement un taux de fiabilité en regardant le nombre de défaillances d’entreprises dont la note était inférieure à 6 en 2017, autrement dit des sociétés qualifiées de fragiles ou en difficultés. Sur la base des 25 plus importantes faillites, mesurées par le chiffre d’affaires de l’entreprise concernée (voir tableau), il s’établit à 92 %. Sur un périmètre plus large, des 100 plus importantes défaillances, il progresse pour atteindre 94 %.

Le cas des faux positifs

Comment expliquer les « faux positifs », ces entreprises défaillantes en 2019 mais qui avaient été notées performantes avec une note supérieure à 6 en 2017 ? L’analyse succincte des deux seules sociétés dans ce cas parmi les vingt-cinq plus grosses entreprises de notre classement illustre les raisons de ces inévitables erreurs de prédiction.

Société provençale d’achat et de gestion, notée 6,14/10 en 2017

En 2017, la note de 6,14/10 de cette société traduisait une structure globalement équilibrée, avec toutefois des ratios déjà un peu tendus : résultat net de 4,3 % du chiffre d’affaires, dettes à long moyen terme/fonds propres de 81 % et capacité de remboursement de ces dettes sur deux-trois ans soutenable, et donc une trésorerie assez confortable (21 % des actifs).

L’exercice suivant, en 2018, a vu sa situation se dégrader légèrement, sa note passant de 6,14/10 à 5,41. En 2019, la situation se dégrade significativement : la note descend à 2,92. Le chiffre d’affaires baisse de 15 % sans contraction des charges, induisant un excédent brut d’exploitation de -4,2 %. S’ajoutent de lourdes charges exceptionnelles, pour un résultat net de -22 % du chiffre d’affaires. Les fonds propres s’en trouvent ramenés de 13,7 millions d’euros en 2018 à 3,6 millions d’euros en 2019. Ce cas montre qu’une note très proche de 6/10, à la frontière entre performante et fragile, doit susciter une vigilance particulière.

New Look France, notée 6,65/10 en 2017

Là aussi, la seule situation de 2017 ne pouvait laisser présager de la suite. Une rentabilité d’exploitation certes faible (2,6 %) ne mettait cependant pas en péril les équilibres de bilan très robustes : très bien capitalisée (81,9 % du passif) et sans endettement, avec une trésorerie et des créances court terme hors exploitation significatives, de 42 % de l’actif. Ce n’est qu’en 2018, et plus encore en 2019 (clôture au 31 mars), que la situation s’est retournée, avec une baisse continue de l’activité, mais surtout une dépréciation massive des actifs. Les notes sont tombées à respectivement 2,39/10 en 2018 et 3,13/10 en 2019.

Ces deux cas typiques de « faux positifs », statistiquement rares, montrent l’importance de ne pas se limiter à l’observation d’une seule note synthétique et de recueillir les informations les plus récentes possible. Cette vigilance aurait pu mener à déclasser ces deux sociétés, ce qui aurait amené à 100 % le taux de capacité prédictive de défaillance.

La notation, catalyseur du rebond ?

Les mesures et la validation de la capacité prédictive des défaillances par la notation valent pour la période d’avant la crise du Covid-19. Dans le contexte exceptionnel de crise pandémique, cet instrument de mesure reste précieux, pour alerter sur la fragilité des entreprises, et ce d’un double point de vue :

– celui de l’entreprise : le suivi et le redressement de cet indicateur de performance clef et l’amélioration des diagnostics associés sont un objectif majeur de sa feuille de route ;

– celui de ses partenaires financiers et business : la relance devant se construire avec un tissu global d’acteurs souvent fragilisés, l’appréciation du risque doit s’affiner en l’appuyant sur une notation justifiée, permettant de la relativiser de manière bienveillante, pour ne pas tarir les flux d’affaires par un excès de prudence.

Cette dynamique implique une communication financière des entreprises vers leurs partenaires plus en temps réel et plus transparente qu’aujourd’hui, dans l’intérêt bien compris de toutes les parties.

Une notation défavorable ou se dégradant pour une entreprise suscite traditionnellement chez les financeurs un réflexe de précaution les amenant à restreindre leurs concours, engageant alors la société dans une spirale infernale la menant à sa perte : c’est la prophétie auto-réalisatrice. Cette dynamique délétère s’enclenche d’autant plus facilement que la dégradation de la situation s’est amplifiée. Mais ce n’est pas en cassant le thermomètre qu’on fait tomber la fièvre.

L’entreprise, ses conseils et ses partenaires, y compris financiers, doivent voir la notation comme un indicateur de performance clef, à suivre de près, comme une alerte dès qu’elle entre dans la zone de danger. À noter : quand la note passe sous la barre de 4,5-5/10, la prophétie peut s’inverser. C’est une prise de conscience de l’entreprise et son engagement vers le rebond.

Autres critères à prendre en compte

Des différences notables selon les secteurs

Parmi les les 732 codes NAF, neuf secteurs affichent un taux de casse supérieur à 20 %, dont celui de la fabrication de meubles de cuisine (26 %), fort de ses nombreuses entreprises, et la métallurgie de l’aluminium (23 %). Quatre secteurs se distinguent plus particulièrement,  avec un taux de casse supérieur à 50 % : l’aide par le travail (59 %), la fabrication de radiateurs et de chaudières pour chauffage central (61 %), l’enseignement post-secondaire non supérieur (60 %) et, en tête de liste, la fabrication de pâte à papier (74 %). Notre classement permet d’apprécier l’impact macroéconomique de leur fragilité.

Publier ou ne pas publier, quelles conséquences ?

Transparence ou opacité ? Il est intéressant de corréler le comportement des sociétés en matière de non-publication ou de confidentialité des comptes avec le sort qui leur est réservé dans le cadre d’une procédure collective.

L’occasion de quelques surprises… Les entreprises n’ayant publié aucun bilan sont moins souvent placées en liquidation judiciaire et plus en redressement judiciaire que celles ayant publié au moins un bilan. Cela peut paraître contre-intuitif (voir tableau), mais c’est peut-être un indice de volonté stratégique bien maîtrisée, incluant la confidentialité, et se traduisant in fine par l’acceptation d’aller vers un traitement juridique volontariste des difficultés dans une situation pas encore totalement compromise.

En revanche, l’interruption de publication des bilans, soit en 2017, soit même dès 2016, est très pénalisante : il y a alors une plus grande probabilité d’être placé en liquidation judiciaire et moins de chance de bénéficier d’une procédure de sauvegarde. Cette chance est même quasi nulle si le dernier bilan datait de 2015.  P. S. & J.-F. D.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº863-864