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États-Unis : les leçons à retenir
de la faillite de SVB

Créé le

22.05.2023

-

Mis à jour le

30.05.2023

Le 10 mars 2023, la Silicon Valley Bank, spécialisée dans l’offre de services financiers aux entreprises de la tech, faisait faillite. Des questions restent en suspens, une enquête est ouverte sur le rôle de Goldman Sachs, la défiance persiste... Retour sur l’origine de cette défaillance en Californie, qui fait trembler toute l’industrie bancaire.

Entre 2020 et 2023, surfant sur un fort engouement des investisseurs à la suite de la pandémie de Covid-19, de nombreuses start-up réalisent d’importantes levées de fonds. Leurs dépôts sont gérés en Californie, par la Silicon Valley Bank (SVB) : durant cette période, ils triplent pour atteindre 198 milliards de dollars, alors que l’industrie bancaire américaine n’a connu qu’une croissance de 37 % sur la même période. Disposant d’un excédent de ressources et faisant face à une baisse de la demande de prêts, la banque décide d’investir dans des bons du Trésor et des titres adossés à des hypothèques d’agences gouvernementales américaines. Un placement a priori sans risque qui permet à SVB d’aller chercher du rendement en investissant sur des maturités longues dans un contexte de taux bas.

À partir de 2022, le contexte économique évolue de manière significative : l’inflation explose, les entreprises n’arrivent plus à recruter et l’économie est en surrégime. La Réserve fédérale américaine décide alors d’augmenter ses taux directeurs pour enrayer cette tendance inflationniste. L’augmentation des taux va impacter SVB de manière importante et les portefeuilles de titres sur lesquels elle a investi ses excédents de liquidité subissent une baisse de valeur significative. Néanmoins, la direction de SVB n’est pas inquiète puisque cette perte de valeur, qui concerne en grande partie des titres détenus jusqu’à échéance, n’est pas comptabilisée. Alors que les marchés actions chutent, les investisseurs deviennent averses au risque, et se détournent du capital-risque et des start-up. Ces dernières, qui doivent maintenant faire face à des problèmes de liquidité, apprennent dans le même temps que SVB subit une dépréciation de la valeur de ses actifs. Estimant que leur banque est en danger, ils commencent à retirer leurs fonds : la confiance s’effrite.

Dans ce contexte, SVB affronte une situation où elle ne dispose plus des réserves nécessaires pour faire face à ces retraits et se voit donc contrainte de céder une partie de ses portefeuilles titres (disponible à la vente) à perte. Une perte significative de 1,8 milliard de dollars qui impacte directement le capital de SVB. La banque annonce dans la foulée vouloir procéder à une augmentation de capital, qui échoue. Cela engendre une perte totale de confiance envers la banque qui se traduit par le premier bank run digital de l’histoire. Le 10 mars 2023, les régulateurs américains déclarent officiellement la faillite de SVB et confient son administration à l’agence américaine (FDIC) en charge d’assurer les dépôts bancaires, dans la limite de 250 000 dollars.

Des signaux restés ignorés

Au regard de cette chronologie, il semble clair que les fondamentaux d’une gestion saine des risques n’ont pas été appliqués. En premier lieu, SVB n’a pas pris les mesures nécessaires en termes de diversification : concentration de ses sources de financement, concentration de sa clientèle (géographique et sectorielle). Cette concentration excessive l’a exposée à des niveaux de risques significatifs au moment du retournement.

En second lieu, SVB a fait preuve d’une mauvaise gestion actif/passif (Asset and Liability Management, ALM) et notamment du risque du taux d’intérêt en investissant sur des actifs longs à taux fixe, sans mise en place de couverture. Investir sur des actifs longs financés par des passifs à taux variables peut mener à un décalage de financement, au gré de l’évolution des taux. Dans un contexte de hausse des taux, la valeur des actifs à taux fixe diminue, alors que les passifs deviennent plus coûteux. C’est ainsi que SVB doit payer à ses déposants plus que ce que lui rapportent ses placements, ce qui se traduit par une dégradation significative de la valeur économique de ses fonds propres (Economic Value of Equity, EVE).

La banque a par ailleurs mal apprécié le niveau de stabilité de ses dépôts. En effet, leur volume ayant augmenté de manière exponentielle en très peu de temps, la direction de SVB aurait dû anticiper qu’une telle croissance pouvait être suivie d’une décroissance tout aussi rapide. À la suite de la hausse des taux, les déposants de SVB se sont tournés vers des placements plus rémunérateurs auprès de concurrents, et la banque s’est retrouvée dans l’impossibilité d’ajuster de manière suffisante la rémunération de ses dépôts aux taux du marché.

Sont apparus pour finir des problèmes de gouvernance, avec notamment l’absence d’un directeur des risques depuis avril 2022, dont le rôle est d’assurer que la banque atteigne ses objectifs en ayant une prise de risque mesurée.

Différences réglementaires

En matière de réglementation, l’Europe et les États-Unis ne sont pas logés à la même enseigne. Depuis 2018, les banques américaines dont la taille de bilan n’excède pas les 250 milliards de dollars bénéficient d’un allègement de la réglementation. Ainsi, SVB n’était pas soumise aux contraintes de liquidité à travers des indicateurs tels que le Liquidity Coverage Ratio (LCR) et le Net Stable Funding Ratio (NSFR) qui imposent aux banques de respecter un ratio minimum de 100 %.

La faillite de SVB représente la plus importante défaillance bancaire depuis la chute de Lehman Brothers, qui a précipité la crise des subprimes en 2008. Cet événement peut soulever plusieurs questions. Tout d’abord l’assurance des dépôts doit-elle systématiquement s’appliquer, et ce, quel que soit son montant ? Ensuite, le régulateur américain va-t-il revoir sa décision de limiter ses contraintes aux établissements dont la taille de bilan excède les 250 milliards de dollars ? En Europe, quelques semaines après la faillite de SVB, la Banque Centrale Européenne souhaite déjà s’assurer que le secteur bancaire est bien couvert face au risque de taux.

Ainsi, la faillite de SVB ne présente pas de risque systémique et de contagion pour le secteur bancaire. En effet, SVB était une banque atypique, et comme nous l’avons évoqué, fortement concentrée sur une typologie de clientèle, géographique et sectorielle particulière. Cet évènement découle principalement de mauvaises décisions de gestion des risques, notamment ALM, et la banque aurait dû être capable de mettre en place des actions pour réduire le niveau de risque croissant auquel elle faisait face. S’il est vrai qu’elle était assujettie à une réglementation plus souple que des banques européennes de taille comparable, le cas de SVB est aussi un rappel du rôle essentiel de la fonction Risque au sein d’un établissement bancaire, des enjeux de gouvernance associés et des mesures qu’elle doit mettre en place, sous l’impulsion ou non de contraintes réglementaires.

De l’essor au déclin

Fondée en 1983 au cœur de la Valley californienne, SVB était, jusqu’à sa chute, la 16e banque des États-Unis, avec huit filiales dans le monde. L’analyse de l’évolution du contexte économique depuis 2020 permet de comprendre ce qu’il s’est passé. Alors que la pandémie de Covid-19 fait rage, de massives injections monétaires sont effectuées par le gouvernement et les taux directeurs sont maintenus très bas par la Réserve fédérale américaine pour soutenir l’économie. Des conditions propices à la prise de risques de la part des investisseurs. La liquidité se déverse dans les start-up à travers le capital-risque, jusqu’à ce qu’un revirement de situation fasse tout basculer en 2023. Panique bancaire, ralentissement économique, hausse des taux d’intérêt et inflation mondiale ont eu raison de SVB, menant ainsi, en à peine deux jours, à la seconde plus grande faillite bancaire de l’histoire des États-Unis. Pourtant, de nombreux signes avant-coureurs étaient au rendez-vous.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº881
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