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Vers un nouvel équilibre mondial

Créé le

14.11.2022

-

Mis à jour le

06.12.2022

L’actualité est brûlante. À la recherche de nouveaux équilibres, nous voyons que les matières premières constituent des facteurs de déséquilibres qui risquent de durer, à l’aune de ce que nous avons vécu en 2022.

Nous venons de vivre des chocs extrêmement profonds sur les prix. Nous avons d’abord connu un choc énergétique ; le pétrole et le gaz naturel plus encore ont été touchés. Nous avons également vécu le feuilleton de la sortie des navires chargés de céréales des ports ukrainiens. Enfin, sur les marchés des minerais et métaux, nous avons vécu les contre-chocs de la crise ukrainienne et de la crise énergétique, nombre de métaux (en particulier l’aluminium ou le zinc) étant particulièrement énergivores.

Fin août, la relative détente sur le marché pétrolier, avec une légère diminution des prix à la pompe, la légère détente sur les marchés agricoles du fait d’excellentes récoltes et, enfin, celle sur les marchés des métaux liée à l’anticipation du ralentissement de la croissance économique mondiale ressemblent à de bonnes nouvelles. En revanche, les tensions extrêmement fortes sur le gaz naturel, avec un prix dépassant les 300 euros le mégawatt/heure – alors qu’entre 2010 et 2019, ce prix variait entre 5 et 15 euros –, ont entraîné celui de l’électricité vers des sommets. On a ainsi vu des prix de marché de l’électricité dépasser les 700 euros le mégawatt/heure, alors que les factures EDF affichent, elles, des prix de l’électricité à 70 euros le mégawatt.

Ces tensions sur le gaz naturel et l’électricité sont bien évidemment liées à la guerre en Ukraine, mais elles proviennent également de la situation dans laquelle nous nous trouvons du fait de la transition énergétique et de notre plus grande dépendance au gaz naturel.

La formation du prix

Un prix d’équilibre sur un marché est habituellement obtenu à partir de la rencontre de l’offre et de la demande. Sur les marchés des matières premières, les prix sont davantage la résultante des anticipations de l’ensemble des opérateurs. L’essentiel, dans la formation des prix, résulte alors des anticipations de l’offre et de la demande qui constituent ensemble les fondamentaux de marché.

Du côté de la demande, les opérateurs anticipent clairement un ralentissement de la croissance mondiale pour l’ensemble des pays de l’OCDE, mais également pour un pays essentiel dans le domaine des matières premières, la Chine. On peut estimer que la Chine afficherait une croissance zéro sur les mois de juin et juillet, et les derniers chiffres non encore publiés peuvent inquiéter.

La Chine détient une puissance extraordinaire sur les marchés de matières premières puisqu’elle a cette force géopolitique d’être le premier acheteur solvable de la planète. Elle est en effet aujourd’hui le premier consommateur, le premier importateur et parfois le premier producteur de matières premières.

La Chine est aujourd’hui le premier importateur mondial de pétrole et pèse de plus en plus lourd dans les importations de gaz naturel liquéfié. Elle devient également un acteur majeur sur les marchés des produits agricoles comme les céréales. La flambée observée sur le prix de celles-ci ces derniers mois est beaucoup moins liée à la crise en Ukraine qu’aux importations chinoises massives, passées d’un peu moins de 20 millions de tonnes en 2019 à 62 millions de tonnes en 2021.

Les besoins en matières premières chinois impliquent un jeu subtil au niveau géopolitique et influencent les relations qu’elle entretient avec ses partenaires commerciaux. Ce pays est le premier importateur mondial de minerai de fer : elle en transforme chaque année un milliard de tonnes. Les deux tiers de ce minerai proviennent d’Australie, avec laquelle la Chine entretient des relations extrêmement tendues et dont elle boycotte un certain nombre de produits tels que le charbon. Mais, compte tenu de ses besoins, elle ne peut faire autrement que de continuer à importer ce minerai de fer. Le pétrole a ainsi influencé les relations entre la Chine et l’Iran, dont la Chine est l’unique acheteur régulier. La Chine s’est également ruée sur le pétrole russe moins cher que le Brent, et la Russie a désormais pris la place de l’Arabie Saoudite. Les besoins en céréales influencent également ses relations géopolitiques. Elle doit à la fois ménager les États-Unis et le Brésil. La Chine importe enfin du maïs ukrainien et les premiers navires sortis des ports ukrainiens depuis le début de la guerre sont partis vers cette destination.

Même si l’on observe actuellement un passage à vide, il ne faut pas oublier le formidable potentiel chinois, qui pourrait de nouveau entraîner la demande mondiale de matières premières dans un futur proche.

Du côté de l’offre, on peut rappeler en préambule que très rares sont les pays qui ont su s’affranchir de la malédiction des matières premières. Malédiction qui induit une instabilité naturelle dans les systèmes de production. Ainsi, au lendemain de la crise des années 1970, les investisseurs ont privilégié les pays stables et sûrs.

Cette crise marque le début de l’eldorado australien dans les domaines minier et énergétique, notamment pour le gaz. Elle marque également le début du développement du Brésil dans le domaine agricole, du Chili pour le cuivre, de la mer du Nord pour l’énergie. Nous assistons à l’apparition d’une nouvelle géographie des matières premières. L’Australie continue certes à jouer un rôle important, comme le Golfe et le Brésil.

Mais la grande nouveauté tient dans le retour de la Russie et, plus largement, de la Mer Noire (Russie, Ukraine et Kazakhstan) dans le domaine de l’énergie et bien entendu dans celui des grains. La zone représente aujourd’hui le premier bassin d’exportation de grains, qu’il s’agisse de blé, de maïs ou de tournesol. Les matières premières deviennent alors pour la Russie une arme géopolitique à double tranchant. Elle peut exercer une pression en limitant ses exportations, mais risque de limiter ses recettes quand les prix se détendent.

Cette arme des matières premières a déjà été utilisée par le passé. L’embargo de 1973 est, par exemple, la première utilisation politique de l’arme du pétrole. Il a permis à l’OPEP de prendre le contrôle du marché jusque-là contrôlé par les grandes compagnies pétrolières. Les États-Unis ont également utilisé l’arme du blé, avec moins de succès, quand l’URSS a envahi l’Afghanistan. Le président Carter a décidé d’un embargo céréalier à l’encontre de l’URSS, alors premier importateur mondial de céréales, le 4 janvier 1980, avant que le nouveau président Reagan le lève l’année suivante.

De nouveaux axes se dessinent

Nous assistons aujourd’hui, au-delà de cette dimension guerrière des matières premières, à une modification des flux. La Russie a bien conscience que, dans ce climat de guerre, ses débouchés vers l’Occident sont et resteront limités. Elle utilise aujourd’hui la totale dépendance de l’Europe occidentale vis-à-vis du gaz russe pour la tenir à la gorge. Mais elle projette d’exporter de plus en plus de pétrole vers la Chine, avec la construction d’un nouveau gazoduc en Sibérie.

Plus généralement, un véritable axe Russie-Chine se dessine aujourd’hui sur le pétrole, le gaz naturel, le bois, les minerais et métaux, et à l’avenir dans le domaine du blé. Le Brésil trouve également avec la Chine des débouchés pour ses exportations de minerai de fer, de soja, mais aussi de maïs. La Chine s’est retournée pour ses approvisionnements vers le Brésil dès la fermeture des ports ukrainiens. L’Algérie a comme premier partenaire commercial la Chine.

On voit finalement se dessiner, dans ces flux, un nouvel axe des despotismes. Cet axe marque une nouvelle fracture dans le monde qui, au-delà d’un certain réalisme du commerce international, marque les approvisionnements en matières premières et provoque des changements dans les flux pour les années à venir.

Les matières premières au cœur des conflits

Les matières premières se retrouvent de facto au cœur des conflits. Lorsque la Russie a envahi l’Ukraine, nous avions tous anticipé les conséquences sur le gaz naturel. En revanche, les conséquences en matières céréalières n’avaient pas été anticipées, tout comme les difficultés de l’Europe dans l’approvisionnement en acier. Il est difficile aujourd’hui de tirer des conclusions de ce que nous observons au-delà des axes nouveaux qui apparaissent, de la position ambiguë de l’Europe et de celle, toute aussi ambiguë, des États-Unis. Les États-Unis ont longtemps été et restent encore aujourd’hui le premier exportateur mondial de matières premières agricoles et de gaz naturel liquéfié. Il sera intéressant de suivre, au travers du prisme de Taïwan, l’évolution des relations commerciales entre la Chine et les États-Unis.

Article issu de l’UeAM 2022 « Risques géopolitiques, choc pétrolier et inflation – Retour aux 70’s ? », organisée à l’Université de Paris Dauphine-PSL par la House of Finance, Sanso IS et Quantalys, en partenariat presse avec Revue Banque.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº874bis