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Données de marché

CTP : une réforme décisive
mais qui manque d’ambition

Créé le

22.10.2023

Fin juin, le trilogue européen a abouti à un accord pour l’instauration d’une base de données consolidée. Si les professionnels se félicitent de cette indéniable avancée, ils la considèrent cependant comme insuffisante en matière de publication de données pré-trade.

Dans son livre blanc sur les nouvelles technologies publiées en 2023, l’Association française de l’industrie financière (AFG) indiquait que « la donnée est le combustible au cœur du réacteur d’une société de gestion ». Pour l’ensemble de l’industrie financière, la donnée constitue bel et bien un nouvel or noir aux mains d’oligopoles comme les bourses et/ou quelques grands fournisseurs d’envergure mondiale, comme l’américain Bloomberg. « Les fournisseurs de données ont la capacité d’imposer leur prix et tous les ans, au moment du renouvellement des contrats, ils appliquent des hausses parfois considérables », déplore Christophe Kieffer, directeur général d’Amundi Intermédiation.

Outre leur coût, les données sont fragmentées, ce qui les rend parfois peu accessibles. « L’industrie financière a besoin aujourd’hui de données de plus en plus nombreuses, granulaires et qui ne se limitent pas forcément aux données financières, à savoir les prix et les volumes de marché, ces derniers peuvent par ailleurs varier entre les places de marché et les plateformes, même s’ils convergent par définition », précise Nicolas Rivard, expert données chez Euronext.

Les professionnels dénoncent dans ce cadre une situation parfois inégalitaire. « Nous appartenons à un grand groupe et pouvons supporter des coûts importants. Nous mettons ainsi nos services à la disposition d’autres sociétés de gestion, en particulier des acteurs plus petits qui n’ont pas les moyens d’acheter en direct de la donnée. Pour autant, en tant que spécialiste de l’intermédiation (RTO), nous ne bénéficions pas des mêmes accords avec les bourses que les spécialistes du trading algorithmique. Il existe de forts déséquilibres de concurrence sur le marché de la donnée », commente Christophe Kieffer.

Une démocratisation nécessaire

Pour démocratiser l’accès aux données, y compris pour les particuliers, la Commission européenne a décidé, dans le cadre de la révision de la directive MiFID 2, de créer une base de données consolidée (consolidated tape ou CTP) qui intègre l’ensemble des transactions, qu’elles interviennent sur les grandes places de marché ou via des plateformes de transaction comme les MTFs (Managed Filed Transfers).

Après plusieurs années de discussion, un accord a été trouvé au mois de juin, dans le cadre du trilogue (réunissant le Conseil, le Parlement et la Commission européenne). Il s’agit d’un compromis entre les demandes de l’industrie (banques, sociétés de gestion...) et les fournisseurs de données, en particulier les bourses, qui commercialisent les informations de marché. « La CTP divulguera un prix consolidé pour les actions en temps réel qui reflétera la meilleure offre du moment et deux prix (à l’achat et à la vente) pour les ETFs, ces prix seront associés à un volume de transactions anonymisé. Ces informations constituent des indicateurs intéressants pour les investisseurs. Ce projet nous semble par ailleurs en l’état viable et préserve notre business model. Nous allons pouvoir continuer à commercialiser les données pré-trade (les ordres d’achat et de vente présents dans les carnets d’ordre) et post-trade (les transactions exécutées) en termes de prix et de volumes qui transitent par les Places de marché », explique Nicolas Rivard.

Pour l’industrie, l’accord obtenu constitue une étape décisive, mais il ne va pas assez loin en termes de transparence. « Il est nécessaire d’intégrer des informations pré-trade avec une profondeur de marché suffisante d’au moins 5 niveaux d’ordres d’achats et de ventes. Cette profondeur permettra d’éclairer la stratégie des gestionnaires d’actifs en termes de taille des ordres et de choix des lieux de négociations répondant ainsi au meilleur intérêt des investisseurs », précise Myriam Dana-Thomae, chef de pôle, métiers transverses à l’AFG.

Quelle que soit la version finale retenue par les institutions européennes, la mise en musique de ce projet soulève par ailleurs des défis techniques. « Il va falloir déterminer comment collecter les données, à quelle vitesse, sous quel format et par quel canal les diffuser. L’industrie et les régulateurs doivent travailler ensemble pour définir ces modalités », souligne Nicolas Rivard.

Les enjeux sont multiples : ils vont de la cybersécurité à la nécessité d’assurer une égalité d’accès pour tous les opérateurs, tout en minimisant les temps de latence. Dans cette perspective, le régulateur laisse la main à l’industrie pour s’organiser. L’Autorité européenne des marchés financiers (Esma) mettra ainsi en place un appel d’offres afin de sélectionner le meilleur projet.

L’industrie s’organise
autour de deux projets

Deux projets sont pour l’instant en lice. Le premier, le plus abouti, est porté par les principales bourses européennes (Euronext, Deutsche Boerse Group, Bulgarian Stock Exchange, Malta Stock Exchange, Zagreb Stock Exchange, Nasdaq, etc.) regroupées dans une joint-venture, EuroCTP. « Nous sommes des spécialistes reconnus dans la fourniture de données de marché fiables et de haute qualité, combinant des décennies d’expérience et d’expertise dans l’exploitation d’infrastructures de marché critiques », avance Niels Tomm, porte-parole de EuroCTP. Mais certains observateurs craignent plutôt que ce projet ne relève d’une entente pour conserver la mainmise sur les tarifs pratiqués...

Les banques et les assets managers (parmi lesquelles BNP Paribas, Société Générale, Crédit Agricole CIB, Barclays, BlackRock, Amundi, Deutsche Bank et UniCredit...) ont ainsi décidé de mener une étude de faisabilité qu’elles ont confiée au cabinet Adamantia, afin de déterminer s’ils pouvaient, de leur côté, proposer une solution regroupant des données à la fois post- et pré-trade. « L’industrie veut éviter de reproduire le modèle américain dans lequel la gouvernance de la CTP est entièrement pilotée par les bourses. Elle privilégie une approche garantissant la prise en compte des intérêts des utilisateurs, avec une gouvernance équitablement répartie entre les différentes parties prenantes », indique Antoine Pertriaux, consultant en stratégie chez Adamantia, qui coordonne l’initiative. « Nous avons identifié de nombreux cas d’usage pour lesquels la CTP pourrait apporter une réelle valeur ajoutée, notamment en termes de transparence et d’analyse de la liquidité, avec un accès facilité pour l’ensemble des participants de marché, institutionnels ou retail. Avec évidemment le prérequis d’un coût raisonnable pour les utilisateurs. » L’étude a également montré qu’une CTP actions limitée à des flux d’information post-trade réduirait considérablement son attractivité et par conséquent sa viabilité.

D’un point de vue technique, si le chantier est d’ampleur, sa nouveauté réside surtout dans l’assemblage de différentes briques technologiques déjà opérationnelles. « La CTP devra capturer auprès des bourses et des MTFs (plateformes d’échange) l’ensemble des flux de données, les stocker et les diffuser auprès des utilisateurs via les canaux appropriés (terminaux, écrans...). Nous analysons actuellement les meilleurs partenaires au montage d’une telle opération, parmi les acteurs technologiques et ceux du marché », détaille Antoine Pertriaux.

Reste à déterminer la viabilité économique de ce projet. « Notre étude économique est conclusive sur la base d’une CTP actions incluant les données pré- et post-trade. Mais nous devons aujourd’hui ré-évaluer notre business case à la suite du consensus du trilogue européen. Nous réalisons actuellement une analyse de marché et avons lancé un sondage afin de déterminer le marché potentiel, ce qui permettra d’envisager le lancement d’une candidature pour la CTP auprès de l’Esma, en alternative à la proposition des bourses », explique Antoine Pertriaux. Un sujet à suivre donc.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº885
RB