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L’Allemagne muscle
son marché de capitaux

Créé le

22.10.2023

-

Mis à jour le

25.10.2023

Le gouvernement allemand a lancé cet été une réforme du marché des capitaux, avec notamment la réintroduction d’actions à droit de vote multiple. Son objectif : encourager les start-up et entreprises familiales à chercher des investisseurs en bourse tout en gardant la main sur les décisions stratégiques.

Le départ de deux symboles de l’économie allemande pour la Bourse de New York, BioNtech et ses vaccins anti-Covid en 2019, Birkenstock et ses sandales à semelle de liège en octobre 2023, fait l’effet d’un électrochoc à Berlin. « Depuis de nombreuses années, des entreprises très prometteuses, notamment celles qui sont axées sur la technologie et qui ont leurs racines intellectuelles en Allemagne, se tournent vers les marchés des capitaux étrangers », a regretté le ministre allemand de la Justice, Marco Buschmann, en défendant sa réforme du marché des capitaux au Bundestag, fin septembre.

Élément clef du paquet législatif sur le « financement d’avenir » présenté cet été avec le ministre des Finances, Christian Lindner, cette réforme doit encourager les start-up et les petites entreprises à accéder aux capitaux sur le marché allemand. Dans une économie très marquée par le poids des PME, le fameux « Mittelstand », « la capitalisation des entreprises cotées ne représente que 60 % du PIB contre 130 % aux Pays-Bas et 140 % en Suède, a rappelé Marco Buschmann. Nous ne pouvons pas rester les bras croisés. »

Le projet de loi en cours d’adoption prévoit notamment d’abaisser le seuil de capitalisation nécessaire pour entrer en bourse, de 1,25 million d’euros actuellement à 1 million. Il ne sera plus nécessaire non plus d’avoir un codemandeur, autrement dit une banque ou organisme de crédit, pour être introduit sur certaines parties du marché réglementé, ce qui permettra de réduire les coûts d’introduction en bourse, explique le gouvernement.

Un temps d’avance sur la France

Reprenant le modèle américain des véhicules spéciaux d’introduction en bourse, les SPAC (Special Purpose Acquisition Companies), l’Allemagne créerait des sociétés anonymes à enveloppe boursière (BMAG), afin que de jeunes entreprises puissent être introduites en bourse par paquet, « tout en garantissant la protection des investisseurs ».

L’Allemagne devrait surtout autoriser les actions à droit de vote multiple pour les sociétés cotées, qu’elle avait interdites en 1998. Elle aurait ainsi un temps d’avance sur la réforme européenne du marché des capitaux proposée en décembre 2022 par la Commission européenne, mais aussi sur la France, où la réflexion a été lancée par le rapport du Haut Comité juridique de la Place financière de Paris (HCJP) du 15 septembre 2022.

Pour l’heure, l’Allemagne et la France sont pratiquement les seules grandes places financières européennes où cette pratique des actions à vote multiple est proscrite. Le Royaume-Uni bien sûr, mais aussi la Suède, l’Italie ou les Pays-Bas, notamment, l’autorisent, ce qui explique aussi le succès de la Bourse d’Amsterdam auprès des entreprises allemandes en croissance.

Ces actions préférentielles, qui concernent environ 40 % des entreprises dans le monde, ont notamment fait la fortune des fondateurs de Google ou Facebook. En Allemagne, elles répondent au souhait des créateurs d’entreprise de « garder le contrôle stratégique de leur entreprise tout en trouvant des investisseurs sur le marché des capitaux », a expliqué le ministre de la Justice.

L’Allemagne réintroduirait donc les actions préférentielles, mais avec des garde-fous. Elles seront limitées à dix votes par action, pour une durée de 20 ans maximum et disparaîtront en cas de transfert, en appliquant une sunset clause. Des dispositions légales doivent aussi assurer aux autres actionnaires que la répartition des droits de vote est transparente. Seules les actions nominatives pourront être dotées de droits de vote multiple et l’introduction de nouvelles actions préférentielles devra recueillir l’unanimité des actionnaires concernés.

Reste que ces actions préférentielles ont surtout pour vertu d’empêcher une reprise contre la volonté du propriétaire, « autrement dit les OPA », rappelle l’avocat spécialisé Alexander Herzog. Ce qui manque en Allemagne, c’est la culture du risque et surtout les capitaux eux-mêmes. « En d’autres termes, l’argent manque ! », écrit ce fin connaisseur du dossier. Une nouvelle réforme, annoncée pour le début 2024, devrait entre autres encourager les investisseurs institutionnels à s’engager en bourse et auprès des start-up, en s’inspirant des fonds « Tibi » à la française.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº885
RB