Square
 

CRR3 risque d’aggraver le repli de l’immobilier résidentiel

Créé le

15.04.2024

-

Mis à jour le

16.04.2024

La forte hausse des taux a conduit à une réduction importante du volume de transactions sur le marché de l’immobilier résidentiel. Selon la Banque de France, la production de crédits a baissé de plus de 40 % en 2023 par rapport au pic de l’année précédente. Et cette tendance est encore plus marquée chez nos voisins européens.

Pourtant, l’Autorité bancaire européenne fait fi de cette situation et semble vouloir encore jeter de l’huile sur le feu. À la surprise générale, elle paraît ignorer toutes les discussions qui ont eu lieu depuis plusieurs semestres et, voulant se montrer plus vertueuse que jamais, vient de lancer une proposition qui pourrait s’avérer désastreuse dès le 1er janvier 2025 alors même que les autres juridictions, notamment américaines et anglaises, ont au contraire décidé de repousser l’entrée en vigueur de nouveaux textes chez elles.

L’Autorité bancaire européenne (EBA) souhaite en effet que les banques européennes affichent en 2025, en même temps que leur ratio établi suivant les normes votées lors de l’accord sur le règlement européen sur les exigences de fonds propres CRR3 (Capital Requirements Regulation 3) de juin 2023, un second ratio, dit « fully loaded », qui neutraliserait toutes les mesures transitoires, dont celles sur l’immobilier résidentiel. Or, ce sont des mesures européennes basées sur des spécificités reconnues pour permettre aux banques d’absorber les effets d’une calibration inadaptée des mesures en risques du Comité de Bâle. Et elles ont été fixées pour cela à échéances très éloignées (décembre 2032) et certaines pourraient être encore prolongées, voire pérennisées...

Concrètement, sur l’immobilier résidentiel français, la pondération en risque d’un crédit immobilier passerait dans ce ratio fully loaded de 10 % à 25 %, soit une multiplication au mieux par 2,5 ! Alors que la période de transition jusqu’à 2032 doit normalement permettre un passage très progressif vers cette mesure.

La multiplication des ratios, loin d'apporter de la transparence, génère de la confusion dans cette réglementation CRR3 hyper technique et les non-spécialistes s'aligneront systématiquement sur les ratios les moins favorables aux banques. Et donc le fully loaded ratio pris en compte sera la négation même de tout le travail voté en trilogue quant aux mesures transitoires européennes.

L’EBA justifie mollement son choix : cette inclusion doit permettre de fournir une estimation anticipée des montants d'exposition au risque et des ratios de fonds propres lorsque les dispositions transitoires ne seront plus applicables.

Les risques immobiliers sont ténus en France du fait de notre modèle de financement immobilier, qui bénéficie de facteurs structurels de résilience (taux d’intérêt fixe sur toute la durée du prêt, évaluation de la solvabilité de l'emprunteur basée sur l’analyse de ses revenus, en grande partie prêts garantis par un organisme de cautionnement). Le taux des crédits immobiliers non performants est à un niveau extrêmement faible de 1,8 % et le taux de pertes finales de ces encours est quasi nul.

En Europe, le taux de défaut sur les crédits immobiliers est plus de 10 fois inférieur au taux de défaut américain de 6 % lors de la crise financière, qui avait été largement été utilisé pour l’étalonnage de la méthode standard. Et l’impact sur les 4 400 milliards d’euros de prêts immobiliers accordés par les 116 banques supervisées par la Banque Centrale Européenne (BCE) dans le cadre de l’IRB (Internal Rating-Based) pourrait représenter environ 600 milliards d’euros de Risk-Weighted Assets (RWA), soit l’équivalent d’un grand groupe bancaire en Europe.

Un niveau suffisant

Comme toujours trop bon élève, l’EBA veut en faire trop ! Pourtant, le 19 décembre dernier lors d’une conférence de presse, Andrea Enria n’a-t-il pas souligné la solidité des banques européennes en capital et en liquidité, encore confortée par les résultats de l’EU-wide stress test et leur résilience en 2023 face aux défis de l’inflation, de la remontée des taux, de la faible croissance, des conséquences de l’invasion de l’Ukraine et de la suite des effets de la pandémie de Covid-19 ?

Le niveau actuel de capital des banques de la zone euro apparaît donc suffisant pour notre superviseur et ne nécessite pas de hausse supplémentaire liée à un ratio fully loaded défini par l’EBA, totalement contre-productif. Ce faisant, l’EBA ne ferait d’ailleurs que préempter une décision sur les échéances de ces transitions qui relève directement du législateur. Et afficher des écarts très lourds liés à un ratio fully loaded ainsi défini reviendrait à mettre en doute la crédibilité du travail des superviseurs, qui valident et surveillent les modèles internes des banques, notamment sur l’immobilier résidentiel.

RB