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Conséquences du Brexit

Une opportunité pour l'autonomie stratégique de l’Union européenne

Créé le

30.11.2021

On sait que le Brexit a bouleversé le monde de la finance en Europe. C’est une chance à la fois pour Euronext et pour l’Union européenne.

 

La première conséquence du Brexit est mécanique. La sortie du marché unique conduit à un transfert progressif de substance de Londres vers l'Union européenne. Les grands gagnants sont les places d’Amsterdam, Paris et Dublin. Ce mouvement a été très visible en janvier 2021, au moment de la fin de l’équivalence des plateformes de négociation basées au Royaume-Uni. Toutes les plateformes alternatives de négociation doivent depuis être basées sur le territoire de l’Union européenne pour pouvoir continuer à servir les entreprises d’investissement basées dans l'Union européenne.

Actions : Amsterdam devant Londres

Aquis a choisi Paris, CBOE et Turquoise Amsterdam. Ce mouvement a significativement changé le paysage européen. Avec le transfert de CBOE et Turquoise de Londres vers la capitale néerlandaise, le volume total d’actions qui y sont négociées, incluant Euronext Amsterdam, a dépassé le volume total d’actions négociées à Londres, y compris celles du London Stock Exchange Group. Ce premier mouvement n’a traduit aucune évolution de la compétitivité – la part de marché d’Euronext Amsterdam est d’ailleurs restée globalement stable sur la période. Mais il a simplement été la conséquence mécanique d’un changement réglementaire induisant une relocalisation du siège de certaines activités initialement établies dans la capitale britannique. Pour autant, cela a incontestablement constitué un momentum en faveur de l’Union européenne.

La dynamique d’Euronext sur les introductions

Autre transfert significatif de substance, celui des marchés primaires, au premier rang desquels les introductions en bourse. Depuis le début 2021, un nombre important d’entreprises internationales ont choisi d’entrer en bourse sur Euronext Amsterdam ou Euronext Paris, alors que dans un monde pré-Brexit, ces entreprises auraient peut-être hésité avec le London Stock Exchange. C'est le cas notamment de l’Espagnole Allfunds, de la Polonaise Inpost, du groupe Universal Music, originaire des États-Unis, du fonds d’investissement franco-britannique Antin IP : tous ont choisi les marchés d’Euronext pour entrer en Bourse.

Pour les entreprises actives à la fois en Angleterre et en Irlande, l’usage a longtemps été de mettre en place une cotation double, à Dublin et à Londres. Mais la décision récente de Ryanair d’abandonner la cotation à Londres pourrait accentuer le mouvement de cotation sur Euronext Dublin. Cette dynamique est aussi la conséquence de l’intégration de la bourse irlandaise dans le groupe Euronext en 2019, qui a permis aux émetteurs irlandais d’avoir accès à une plateforme unique, un carnet d’ordres unique et un pool de liquidité unique, où s’échangent désormais près de 25 % des actions négociées en Europe.

C’est la création de ce pool de liquidité unique en Europe, renforcé par l’expansion européenne d’Euronext, marqué par l’acquisition de la bourse de Dublin en 2018, d’Oslo en 2019, du dépositaire central danois VP Securities en 2020 et de Borsa Italiana en avril 2021, qui a permis à Euronext de bénéficier de ce momentum lié au Brexit.

Le lieu unique remis en cause par le Covid

Dans ce contexte, les transferts d’emploi sont une réalité tangible. Londres a longtemps bénéficié des externalités liées à la concentration en un lieu unique de tous les métiers de la finance. Cet écosystème a été affaibli par les effets du Brexit, mais aussi bouleversé par la pandémie de Covid-19. Le télétravail a durablement relativisé l’importance de la présence de tous les acteurs de l’écosystème dans une même ville.

Après le Brexit, il y a donc d’abord un succès européen. On observe la substitution progressive d’un centre financier unique, la City, par un groupe de places plus spécialisées, profondément interconnectées et intégrées, qui remplacent peu à peu Londres pour de nombreux services destinés aux marchés de l’Union européenne. Cette dynamique n’est d’ailleurs pas propre aux infrastructures de marché, comme l’illustre le transfert des activités de marchés de plusieurs banques américaines de Londres vers Paris.

L’Europe, condamnée à être importateur de services financiers ?

Plus généralement, le Brexit confronte l’Union européenne à cette question fondamentale : notre continent peut-il se satisfaire d’être un importateur de services financiers développés et produits en dehors de l’Union européenne ou doit-il construire une autonomie stratégique en matière de services financiers ? Quand la principale place financière de l’Union européenne était Londres, qui assurait la transformation des capitaux extra-européens pour satisfaire aux besoins de financement des Européens, le statu quo était à la fois très confortable et inévitable.

La situation a radicalement changé avec le Brexit. L’Union européenne dépend de capitaux qui sont toujours extra-européens, mais ne peut désormais plus dépendre d’un intermédiaire devenu également extra-européen. Nous devons respecter le Brexit, mais nous ne pouvons le subir dans la résignation.

Ré-européennisons les chambres de compensation

Dans le cadre de son nouveau plan stratégique « Growth for Impact 2024 », Euronext a décidé de transformer la chambre de compensation des marchés italiens, CC&G, en « Euronext Clearing », pour offrir des services de compensation à tous les marchés européens d'Euronext. Il s’agit d’une décision stratégique importante pour intégrer au sein de l’Union européenne les activités de compensation du groupe.

Euronext est jusqu'à présent la seule infrastructure de marché de taille significative qui ne gère pas directement ses activités de compensation. Il y a près de vingt ans, Euronext a cédé progressivement le contrôle de sa chambre de compensation, Clearnet, qui opère aujourd'hui sous le nom de LCH SA, société contrôlée par le London Stock Exchange Group. Cette situation était naturelle, aussi longtemps que Londres demeurait dans l’Union européenne. Malgré de nombreuses tentatives, Euronext n’a jamais réussi à reprendre le contrôle de LCH SA.

Depuis avril 2021, avec l'acquisition de Borsa Italiana Group, dont le périmètre comprend la chambre de compensation CC&G, Euronext contrôle à 100 % une chambre de compensation multi-actifs. L'expansion européenne des activités de CC&G, qui devient Euronext Clearing, permettra à Euronext de gérer directement ses activités de compensation.

Au-delà des avantages stratégiques, opérationnels et financiers de cette décision pour Euronext, la portée de cette évolution pour l’autonomie stratégique européenne est significative. Le centre de décision ultime et la définition de la stratégie en matière de compensation des flux d’Euronext, qui représente notamment un quart des actions échangées en Europe, tout comme le développement dans les années à venir de la technologie associée seront transférés du Royaume-Uni vers l’Union européenne.

Bouleversons le statu quo ante

De façon similaire, Euronext a décidé de transférer son centre de données principal de Basildon, au Royaume-Uni, vers Bergame, en Italie. Cette décision découle d’une logique stratégique, opérationnelle et financière. Dans le monde post-Brexit, Euronext a fait le choix de relocaliser son centre de données principal dans l’Union européenne.

Ces deux exemples, qui, au-delà d’Euronext et du secteur des infrastructures de marché, seront sûrement suivis par d’autres, illustrent l’alternative à laquelle sont confrontés les Européens : soutenir les initiatives contribuant à construire l’autonomie stratégique de l’Union européenne ou préserver le plus longtemps possible le statu quo ante d’une répartition de la finance mondiale longtemps jugée immuable, mais qui appartient au monde d’hier.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº862bis