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Retraite : une brève revue des possibles
ajustements du système français

Créé le

22.05.2023

-

Mis à jour le

25.05.2023

Le décalage de l’âge de sortie moyen du marché du travail et la sous-indexation des pensions
par rapport aux salaires constituent les paramètres les moins pénalisants sur lesquels agir pour maintenir le niveau de revenu des retraités.

Comme un effet de loupe, la réforme des retraites a mis au jour les problèmes structurels du régime d’assurance vieillesse français. Du fait de l’allongement de l’espérance de vie, pour la première fois dans l’histoire, quatre générations sont amenées à coexister et trois d’entre elles vivent aux dépens de la dernière. Ce constat tend à prouver à lui seul que les régimes par répartition font face à des difficultés qui nécessitent des mesures correctrices. L’esprit de cette note est d’explorer à grands traits les avantages et les limites des principaux scénarios de réforme rationnels sans présager des mesures qui seront mises en œuvre pour assurer la viabilité de notre système de transferts sociaux.

Un inéluctable vieillissement de la population

S’il est un constat qui devrait être partagé par tous, c’est qu’au cours des vingt prochaines années, la poursuite du vieillissement de la population est quasi certaine, et son ampleur connue. En effet, elle dépend surtout du passé, c’est-à-dire de l’augmentation de l’espérance de vie, qui s’est déjà produite, ainsi que de l’avancée en âge des générations déjà nées. Au-delà de ce terme, fécondité et migrations ont un impact sur l’évolution de la population. Nous nous appuyons sur le scénario central des projections de l’Insee.

En France, le vieillissement démographique se fait par le haut de la pyramide des âges, c’est-à-dire au travers de l’augmentation de l’espérance de vie. Ainsi, la part des 65 ans ou plus passerait de 13 % en 1970, à près de 29 % en 2070. En revanche, bien qu’historiquement inquiète sur sa fécondité, la France figure parmi les pays où elle est la plus élevée en Europe. En 2019, la descendance finale1 des femmes de la génération 1969 est de deux enfants tout au long de leur vie. Ce niveau est proche du seuil de renouvellement des générations, mais ne l’atteint pas (2,07). Les déséquilibres de nos régimes par répartition résultent donc plus des gains d’espérance de vie que du recul de la fécondité.

Ces perspectives ont conduit l’Insee à réviser ses projections2 en 2022. Sous l’effet de la hausse des taux d’activité des 55-64 ans consécutive à la réforme Touraine de 2014, la population active progresserait jusqu’en 2040, date au-delà de laquelle la tendance s’inverserait, avec une baisse annuelle moyenne d’environ 50 000 personnes actives jusqu’en 2050.

Ces évolutions ont une incidence directe sur le rapport entre nombre de cotisants et nombre de retraités. Le rapport démographique est un élément clé de l’équilibre financier des régimes par répartition. Ainsi, en 2004, avec un rapport démographique de 2, un taux de cotisation de 25 % du salaire brut moyen des actifs permettait d’attribuer une pension moyenne (ou taux de remplacement) équivalente à 50 % dudit salaire. En 2025, il faudrait augmenter ce taux à 31 % de la masse salariale brute pour maintenir le taux de remplacement moyen des retraités. En 2060, avec un rapport de 1,25, le taux nécessaire pour assurer le maintien des retraités dans l’échelle des revenus serait de 40 %.

Le tribut « invisible » des retraités

Jusqu’à présent, et avant la réforme 2023, les régimes par répartition sont pilotés en fonction des paramètres de la réforme de 2014, qui prévoient un allongement de la durée de cotisation jusqu’à 43 ans pour obtenir le taux plein pour les générations nées à partir de 1973. D’après le Conseil d’orientation des retraites (COR), l’allongement à 172 trimestres de la durée de cotisation conduirait à une remontée significative de l’âge moyen de sortie d’activité (proche de 64 ans en 2040) en dépit d’un âge légal de départ maintenu à 62 ans. Dans le scénario, le rééquilibrage financier repose sur deux leviers. Le premier, nous l’avons dit, s’appuie sur le décalage de l’âge moyen de sortie du marché du travail, le second table sur la poursuite de la sous-indexation des pensions par rapport aux salaires. Le mécanisme à l’œuvre mérite d’être détaillé, car il fait implicitement référence à un partage des progrès de productivité plus favorable aux actifs qu’aux retraités.

Historiquement, la revalorisation des pensions avait pour objectif de garantir une évolution parallèle du « niveau de vie » des actifs et des retraités. Les pensions étaient indexées sur le salaire brut moyen. Cette disposition a été suspendue à partir de 1986. Les pensions ont été revalorisées selon l’indice prévisionnel des prix, dans le but de ralentir la progression des dépenses des régimes par répartition. La réforme « Balladur » de 1993 a entériné le choix de clauses d’indexation ne couvrant que le risque d’inflation. Comme les salaires ont tendance à augmenter plus vite que les prix (hors épisode pandémique et période de guerre) à la consommation en raison des gains de productivité (composante majeure de la croissance économique), les régimes de retraite par répartition ont tiré parti du différentiel de croissance entre salaires et prix pour préserver leur équilibre financier : les ressources des régimes progressent en fonction de la croissance des salaires réels3, qui dépendent des progrès de productivité, tandis que les charges des régimes sont indexées sur les prix. Dans cette conformation, la productivité est un élément déterminant pour l’équilibre comptable des caisses de retraite : plus la croissance économique est forte, plus le recul des taux de remplacement est rapide. On constate (voir graphique) que les « taux de remplacement » macroéconomiques – qui rapportent la pension moyenne d’une génération au salaire du moment et ceci durant toute la durée de la retraite – baisseraient graduellement. Ce processus participe massivement au rééquilibrage du système de retraite sans que soit affichée dans la réforme une baisse explicite des taux de remplacement.

C’est un point souvent négligé alors que la désindexation des pensions fait « économiser » entre 3 et 4 points de PIB aux régimes selon les hypothèses de productivité. Ceux qui demandent des efforts supplémentaires aux retraités pour ne pas asphyxier les actifs d’aujourd’hui ont tendance à l’oublier. À ce sujet, c’est davantage sur les inégalités patrimoniales entre retraités que doit porter la réflexion.

Si on approuve l’idée de ne pas réduire les déficits en baissant exagérément le niveau relatif des pensions des retraités de demain et que l’on présume que la dérive des cotisations vieillesse encourage la substitution du capital au travail, alors le dernier paramètre sur lequel on peut agir pour répondre à l’allongement de l’espérance de vie est l’augmentation de la durée de vie active. C’est assurément la mesure la plus efficace pour rééquilibrer les régimes par répartition, mais c’est aussi la solution la moins injuste vis-à-vis des futurs actifs et la moins pénalisante dans une économie ouverte.

Le maintien dans l’emploi en fin de carrière

Toutefois, dans la réforme envisagée par l’exécutif, la transition d’un âge légal de 62 à 64 ans serait effective dès 2030 et couplée à un allongement de la durée de cotisation à 43 ans dès 2027. En France, avec un taux d’emploi des 60-64 ans proche de 35 % et de 7,7 % pour les 65-69 ans en 2020, un tel rythme de transition peut paraître ambitieux au regard de la réalité du marché du travail. Les comparaisons internationales déduites des statistiques de l’OCDE entre l’âge effectif (et non légal) de sortie d’activité et le taux d’emploi des 60-64 ans montrent qu’il existe une liaison positive forte entre ces deux valeurs.

Les pays dont l’âge de sortie du marché du travail est en moyenne de 64 ans sont caractérisés par un taux d’emploi des travailleurs âgés proche de 60 %.

Si l’on retient cette norme comme référence, le taux d’emploi des 60-64 ans en France devrait augmenter de presque 25 points en 7 ans. Développer l’emploi des travailleurs âgés est crucial mais la question des retraites ne peut pas se résumer à une simple équation triangulaire et réclame un certain nombre de prérequis. Pour que la réforme envisagée ne se traduise pas par une hausse concomitante du taux de chômage, il faudra repenser l’organisation du travail, casser l’ostracisme qui persiste à l’encontre des seniors. Mais le recul de l’âge de la retraite pose aussi la question des performances de nos systèmes d’éducation et de formation continue car ce sont les salariés qualifiés qui partent le plus tard. La tâche est immense.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº881bis
Part des seniors de 1970 à 2070
(scénario central Insee)
$!Retraite : une brève revue des possibles ajustements du système français
Population active observée et simulée (Insee)
$!Retraite : une brève revue des possibles ajustements du système français
Taux de remplacement moyen des retraités percevant une pension de droit direct calculée à taux plein
Régimes de base et complémentaires : indexation des pensions sur les prix
$!Retraite : une brève revue des possibles ajustements du système français
Âge effectif de sortie du marché du travail et taux d’emploi des 60-64 ans
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Notes :
1 L’indicateur le plus pertinent pour juger de l’évolution de la fécondité sur longue période n’est pas l’indice conjoncturel, mais la « descendance finale ».
2 La croissance de la population active est revue à la baisse par rapport aux projections de 2017, dans lesquelles la population active augmentait jusqu’à 2070.
4 Le salaire réel représente la quantité de biens et de services qu’un agent peut acheter avec un salaire nominal. Autrement dit le salaire réel correspond au salaire nominal déduction faite de l’inflation.